Extraits

L’odeur rance d’adolescent mal lavé taquina les narines de Bruce quelques secondes avant qu’il ne découvre le gamin a l’aspect sauvageon qui l’interpelait. Sa chemise, qui avait dû être bleue un jour, était constellée de taches de sueur et de boue et portait le même symbole que la jeune femme. On pouvait y lire une inscription :

« Les Pépinières de Mary, jardinage, paysages et abris de jardin ».

Cela aurait dû être une agréable promenade de faire le tour de la grosse maison de brique, mais les parterres, autrefois méticuleusement entretenus, étaient à présent envahis par les mauvaises herbes ; le jardin de simples et d’aromates, souvent récompensé par des prix, n’était plus qu’un vieux souvenir ; les arbres fruitiers n’avaient pas été taillés et la cabane de son enfance, transformée en abri de jardin, aurait eu bien besoin d’un coup de pinceau.

C’était une réponse de pure forme. Le genre de réponse qu’on se sentait oblige de donner à la plus banale manifestation d’affection. Peut-être sa mère l’aimait—elle encore, mais en tout cas certainement plus d’un amour inconditionnel. La faute en incombait à l’inexpiable péché de Mary, l’enfant rebelle qu’ultraconservatrice Donna Pierce n’avait jamais réussi à accepter. Comment une mère et une fille pouvaient-elles être de caractères si opposés ? Aussi inconcevable que cela fut, il en était pourtant ainsi.

S’étant dirigée à petits pas vers un placard pour y prendre un verre, sa mère y versa un peu d’eau, puis, les mains tremblantes, saisit dans sa poche un Bacon. Elle en fit glisser une pilule blanche.

Tu es malade ? demanda Mary en s’approchant d’elle.

Non. C’est juste... juste un médicament que le Dr Bourke m’a prescrit pour calmer mes nerfs quand...quand je suis à cran.

Oui, c’était la bonne méthode : s’accrocher a des sujets de conversation futiles pour tenter de jeter entre elles un pont enjambant le passé. Jusqu’à présent, malgré tous les efforts de Mary pour tenter de réparer les torts qu’elle avait causés à sa mère en tombant enceinte à l’adolescence, celle—ci se complaisait dans son ressentiment.