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CHAPITRE PREMIER
Matt Campion était un violent, un fougueux. Assis, seul, près de la fenêtre aux glaces striées du grill-room, dans la chaleur meurtrière de l'été, il regardait la rue déserte. Dans l'unique salle qui servait de restaurant, le seul à Harmony, résonnait le bruit des ustensiles de cuisine : le chef préparait le repas du soir. Tout ici était calme.
Cependant, Matt pressentait une source de danger, là, tout près, la même tension suffocante l'oppressait. Il avait vécu cela dans bien d'autres villes, durant les années passées. Si le temps lui avait acquis une grande expérience, il lui avait surtout appris que la réponse à la violence était une violence plus grande encore. Maintenant, il se sentait prêt.
Son visage rude, buriné par le vent, se détendit. Les doigts de sa main qui agrippaient le bord de la table s'ouvrirent. Il est très dur de se débarrasser de vieilles habitudes. Les troubles de la ville d'Harmony, quels qu'ils fussent, ne pouvaient en aucune façon le toucher. Il était comme un pèlerin en route vers un nouveau destin ; un étranger sur une terre nouvelle, laissant derrière lui les chemins de sa vie turbulente.
À Harmony il se reposait, simplement. Il cherchait seulement de la nourriture pour son ventre, un lit pour sa carcasse fatiguée. Après, il reprendrait son chemin.
Qu'elle était longue la route suivie depuis qu'il avait quitté ses vieux à Kansas, sur les bords du Missouri ! Combien avait-il parcouru de miles, souvent exposé au danger ! Mais il ne regrettait pas ces années passées, où il avait bourlingué sans but.
La guerre finie, il ne restait que des ruines de la ferme que ses parents lui destinaient. Il subit l'influence des cendres grises, des champs sans vie, stériles, dévastés.
Dans les années qui suivirent il partit à l'aventure, erra, traversa les vastes territoires de l'Ouest, s'employant à de petites besognes ingrates lorsqu'il en trouvait, jouant dans les tripots des villes quand il avait de l'argent. Il ne pensait jamais au futur. Son colt devint le trop fidèle compagnon en qui il plaça toute sa confiance.
Une drôle d'existence que celle de Matt Campion. Longtemps, il s'estima satisfait de son sort. Puis vînt le jour où il éprouva le besoin de s'arrêter, de trouver une place à son goût, de faire souche, d'oublier sa vie de violence ainsi que le pistolet suspendu à sa hanche, pour retrouver le calme de son enfance.
À Wichita, à la fin d'un rodéo, il s'installa à une table de jeu, et eut une chance extraordinaire au faro. Il gagna plus de mille dollars. Toujours en veine, cette même nuit il entendit parler d'un petit ranch qu'il pourrait acheter, au comptant, dans cette belle région si fertile du Cloverdale, sur le territoire du Nouveau-Mexique. Ce n'était pas très loin des limites de l'Arizona et seulement à quelques miles de la frontière mexicaine.
Pour un homme débrouillard, il était facile de se tirer d'affaire. Il y avait un marché sûr, où les ranchers pouvaient vendre et acheter le bétail par l'entremise des Indiens qui avaient un besoin constant de viande. C'était décidé, il prendrait bientôt la piste, en direction de l'ouest. Mais une longue chevauchée le séparait encore de ces lieux qu'il avait choisis.
L'impatience le gagna, il éprouvait le besoin de fumer. Il avait oublié d'acheter une provision de cigarettes : il la ferait après le dîner.
De l'endroit où il était assis il voyait l'écurie qui logeait son cheval. Il avait acheté ce grand alezan avant d'atteindre Harmony, et s'était préoccupé, d'abord, des soins que l'on donnerait à sa monture, éprouvée par ces deux derniers jours rudes et chauds. Ce qu'il voulait maintenant ?… ne pas attendre pour son repas du soir.
Campion jeta un coup d'œil par-dessus la cloison basse, au fond de la pièce où s'affairait le cuisinier.
— Hé, cuistot ! Est-ce que la mangeaille sera bientôt prête ?
— Encore un petit instant, monsieur, et je vous sers.
Afficher en entierMatt Campion se retourna comme on lui en intimait l'ordre. Son interlocuteur était blond, le visage aplati, une étoile épinglée sur la poche de sa chemise en satinette noire. Trois hommes l'entouraient, dont un Mexicain mince qui portait aussi un insigne. Les joues de Campion blêmirent. Le temps et les événements n'avaient pas apporté dans son cœur de doux sentiments pour les hommes de loi. Il allait une fois de plus apprendre comment travaillent les représentants de l'ordre.
— Qu'avez-vous contre moi ? demanda-t-il rudement.
La bouche du policier se tordit dans une grimace.
— Fais pas le malin avec moi… Désarme-le Juan.
Le Mexicain s'exécuta, il passa derrière Matt. Campion ne sentit plus contre sa hanche, que la légèreté du holster.
— Je vous demande encore une fois, Marshal… Qu'avez-vous contre moi ?
Dans un geste d'impatience le shérif haussa les épaules.
— N'essaye pas de me flatter en m'appelant Marshal ! Le diable t'emporte ! Tu sais très bien que je ne suis que le shérif. Si tu veux savoir ce qui te pend au nez, je t'arrête pour meurtre. Pour deux meurtres, et inculpation de vol, par-dessus le marché.
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