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Liste des extraits

** Extrait offert par Sabrina Jeffries **

Chapitre 2

La comtesse de Blackmore a récemment offert un héritier à son mari. La mère et l’enfant se portent à merveille. Nous ne devrions pas tarder à voir Lady Blackmore quitter le lit et reprendre ses actions en faveur des déshérités. Un tel dévouement chez une personne aussi engagée mérite d’être salué, notamment parce qu’il est rare.

* * *

Le boulet rouge qui passa devant la fenêtre du bureau de Miss Felicity Taylor avait tout l’air d’un fruit. On entendit alors un fiacre freiner dans un bruit strident et un cocher proférer des insanités. Il n’en fallut pas plus pour qu’elle bondisse de sa chaise et se précipite dans le couloir.

— William, George, Ansel, sortez de là tout de suite ! cria-t-elle en direction de l’escalier qui menait à l’étage supérieur.

Un silence inquiet s’installa. Puis, un par un, trois enfants de six ans apparurent, les cheveux en bataille. Trois petits sosies qui la regardaient par-dessus la balustrade. Leurs mines sombres trahissaient la même culpabilité.

— Pour la dernière fois, les garçons, vous ne devez pas bombarder des fiacres avec des fruits, gronda-t-elle. Vous m’entendez ? Bien, lequel de vous trois a jeté cette pomme ?

Lorsque les enfants murmurèrent leurs protestations habituelles, elle ajouta :

— Tout le monde sera privé de pudding au dîner tant que quelqu’un n’aura pas avoué.

Aussitôt, deux têtes se tournèrent pour jeter un œil accusateur à la troisième. George. Évidemment que c’était lui. Il était aussi imprévisible que deux de ses célèbres homonymes — le précédent roi, qui était fou, et son écervelé de fils, qui avait accédé au trône quelques mois plus tôt.

Se voir lâcher par ses frères le fit blêmir.

— Je ne l’ai pas jeté, ce fruit, Lissy, je te jure. Je le mangeais, et il était très juteux, alors quand je me suis penché par la fenêtre…

— Ce que tu n’es pas censé faire non plus, le coupa-t-elle. Je te l’ai déjà dit plusieurs fois : seuls les voyous mal éduqués se penchent par les fenêtres et jettent des choses sur les passants qui ne se doutent de rien.

— Je n’ai rien jeté ! protesta-t-il. Ça a glissé !

— Tiens donc. Comme hier soir, quand ta grammaire latine a « glissé » et qu’elle a failli faire un trou dans le toit d’un fiacre, ou comme ce matin : la boule de neige qui a atterri sur le pasteur avait « glissé », elle aussi.

Georgie agita sa petite tête de haut en bas.

— Oui. C’est ça.

Elle lui jeta un regard noir. Hélas, les regards noirs n’avaient strictement aucun effet sur cet incorrigible chenapan.

Il n’y avait rien à faire. Cela dit, c’était compréhensible. Les triplés ne s’étaient toujours pas remis de la mort de leur père, l’année précédente. Elle non plus, d’ailleurs. Les pauvres petits n’avaient jamais connu leur mère, qui était morte quelques heures après leur naissance.

Tant bien que mal, Felicity avait tâché de la remplacer. Mais, avec les dettes que leur architecte de père avait laissées derrière lui, elle devait se démener pour qu’ils aient de quoi se nourrir. Elle n’avait guère de temps pour les éduquer.

Les mains plantées sur les hanches, elle fixa Ansel, celui qui cafardait le plus souvent.

— Où est James ?

— Je suis là.

Au-dessus des trois petites têtes baissées, elle vit apparaître la silhouette malingre de son quatrième frère.

— Moi qui pensais que tu les surveillais à ma place, dit-elle sans cacher son agacement.

Elle regretta ce ton cassant en le voyant rougir.

— Je… Je suis désolé, Lissy. J’étais en train de lire. Je révise mes cours en attendant de pouvoir retourner à la Islington Academy.

James adorait cette école. Hélas, ils n’avaient plus les moyens de payer. C’était un doux rêve, comme avoir de la vaisselle en or ou des chemises en soie !

— C’est bien, James. Il faut que tu continues tes études.

Pourtant, Dieu seul savait quand il pourrait reprendre les cours — s’il y parvenait un jour…

Felicity laissa échapper un soupir inquiet. Elle n’aurait pas dû confier cette responsabilité à un enfant de onze ans. Si studieux soit-il, son frère avait bien du mal à jouer les gardes-chiourmes face à ces trois garnements. Autant confier trois louveteaux à un chiot. Seulement, elle ne pouvait pas se permettre d’avoir une vraie nounou.

Mais qu’importe. Il fallait faire une peur bleue à Georgie avant que les deux autres ne commencent à imiter ses bêtises.

— Eh bien, j’imagine que nous allons devoir appeler le docteur.

Georgie ouvrit la bouche à s’en décrocher la mâchoire.

— Comment ça ?

— Tu sembles avoir du mal à tenir les objets, c’est que tes mains doivent avoir un problème. Peut-être que tu as la tremblote. Je vais faire venir le docteur pour qu’il t’examine.

— Je n’ai pas besoin d’un docteur, Lissy ! Je te jure, je n’en ai pas besoin ! s’écria-t-il en tendant les mains par-dessus la rambarde. Tu vois ? Elles n’ont rien.

Felicity tapota sa joue d’un doigt, en faisant mine de réfléchir intensément.

— Je ne sais pas. Un docteur pourrait soigner cette maladie qui t’est tombée dessus. Il va peut-être te prescrire un traitement. Des lamelles d’œil de grenouille, ou quelque chose dans ce goût-là.

Georgie vira au vert.

— De… de l’œil de grenouille ?

— Ou de l’huile de foie de morue. Trois ou quatre fois par jour.

Lui qui détestait ça…

— Promis, Lissy, bafouilla-t-il aussitôt, ça n’arrivera plus. Je serai très prudent la prochaine fois que je me pencherai… Enfin, la prochaine fois que je serai près d’une fenêtre.

— À la bonne heure.

Elle surprit l’air amusé des deux autres.

— Et si vous avez les mains qui tremblent, vous aussi, ajouta-t-elle à leur intention, je me ferai une joie d’appeler le docteur pour qu’il vous examine à votre tour.

Ce qui eut le mérite de les calmer.

— Maintenant, filez. Et jouez sagement, par pitié.

Ils ne bougèrent pas d’un cheveu. Accroché à la rambarde, Ansel lui lança un regard suppliant.

— Et si tu nous racontais une histoire ?

— Celle du paon qui mange le dragon, renchérit William d’un ton plein d’espoir.

William ne jurait que par les paons et les créatures fantastiques, depuis quelque temps.

— Pas celle-là, lâcha George. Raconte-nous celle où le méchant chevalier tombe de son cheval et se retrouve dans de la bave de crapaud.

Le voir si enthousiaste lui serra le cœur. Elle aurait tant aimé leur faire ce plaisir…

— Pas maintenant, chaton. Désolée, je dois finir cet article. Mr Pilkington envoie Mr Winston le chercher, et je ne peux pas le faire attendre.

— Moi, je n’aime pas Mr Winston, se plaignit Ansel. C’est lui qui devrait tomber dans de la bave de crapaud.

Felicity se retint d’avouer qu’elle s’était bel et bien inspirée de lui pour l’histoire du chevalier.

— Il sent mauvais et il n’est pas beau, Mr Winston, ajouta George. Quand il te regarde, j’ai envie de lui casser la figure. Ce n’est rien qu’un gros tas !

— George !

Elle essaya d’avoir l’air choquée, mais elle eut bien du mal car l’expression était particulièrement bien choisie.

— Surveille ton vocabulaire ou je vais te nettoyer la bouche à l’huile de foie de morue !

En voyant son frère cadet grimacer, elle poursuivit :

— Et puis, même si nous n’aimons pas Mr Winston, nous devons être polis avec lui pour que je puisse continuer d’écrire pour le journal.

— Mais je le déteste ! s’exclama George. On le déteste tous, pas vrai ?

— Oui. Et, s’il était là, je lui collerais mon poing dans son gros nez, dit Ansel d’un ton véhément.

— Et moi, je… je…

James hésita. Il n’avait pas l’instinct bagarreur de ses frères.

— Eh bien, je ferais quelque chose.

— Non, tu ne ferais rien du tout. Car je ne te le permettrais pas.

Elle imagina ses soldats en culotte courte fondre sur le mielleux Mr Winston. Comment ne pas avoir envie de sourire ?

— Écoutez un peu. Si vous restez sagement dans la nurserie pendant l’heure qui vient, je vous raconterai deux histoires. Celle sur le paon qui mange le dragon et celle sur le méchant chevalier. Promis.

— Hourra ! Le paon qui mange le dragon et le méchant chevalier ! crièrent en chœur les triplés avant de se précipiter vers la nurserie.

Décidément, ces enfants ne savaient pas se contenter de marcher.

D’en haut de l’escalier, James la regarda :

— Je les surveillerai mieux la prochaine fois, c’est juré.

— Je sais que tu y arriveras, mon cœur, répondit-elle avec une tendresse toute maternelle. Tu es un brave garçon et tu m’aides énormément. Allez, file.

Felicity le vit rosir avant de courir après ses frères. Inutile de le gronder quand ce n’était pas nécessaire. Ce pauvre petit était aussi sensible qu’un poète.

Mais pas autant que leur père, oh non.

La colère l’envahit et elle regarda le ciel d’un œil mauvais.

— Vous voyez ce que vous avez fait, Seigneur ? Pourquoi avez-vous laissé mon père tomber dans la Tamise alors qu’il était ivre ? J’espère qu’il vous mène une vie d’enfer, là-haut. Qu’il joue aux cartes avec saint Pierre et qu’il boit avec les anges.

Les larmes grossirent au coin de ses yeux.

— J’espère qu’il vous construit des palais tout de travers.

En baissant la tête, elle tomba sur une servante qui la fixait. La fille détourna le regard et recommença à balayer énergiquement le tapis.

Felicity se sentit toute honteuse. Oh ! qu’ils aillent au diable ! À la longue, toute la maisonnée avait dû s’habituer à l’entendre réprimander le Très-Haut. Comme si une maison remplie de petits garnements ne donnait pas envie à une personne normalement constituée de s’en prendre à Dieu ! Comment pourrait-elle s’en sortir avec tous ces enfants sur les bras ? Grâce au ciel, Mrs Box les garderait quelques jours pendant qu’elle partirait en voyage. Elle avait besoin d’échapper à ses obligations familiales, et surtout aux trois tornades.

Mais, d’abord, au travail. Elle rejoignit vivement le bureau plein de courants d’air qui avait été celui de son père et s’assit à la table de travail près de la fenêtre. Devant elle, une pile de feuillets couverts d’encre.

Bien, où en était-elle, déjà ? Ah oui.

Enfin, pour des conseils en matière de mode, méditez l’avis profond du duc de Pelham : « Ce dont les jeunes filles ont besoin pour dompter leurs passions, c’est cet antique accessoire, la ceinture de chasteté. Grâce à lui, tous ces mariages sans le consentement des familles n’existeraient plus. »

Elle plongea sa plume dans l’encrier et rajouta un si avant le mot profond. Pour être tout à fait honnête, il aurait fallu dire cette phrase d’une voix empâtée par l’alcool. Mais c’était assez dur à imiter à l’écrit.

Quant aux passions en question, c’était celles du duc que les jeunes filles avaient intérêt à éviter. Elle-même ne le savait que trop bien. Et si on le forçait lui à porter une ceinture de chasteté ? Voilà qui réjouirait toutes les femmes ! Encore que. Pour bien faire, il aurait fallu attacher ses mains baladeuses et bâillonner sa bouche dégoûtante.

Cette idée était si tentante qu’elle s’adossa à sa chaise et savoura le tableau : Pelham ligoté et hors d’état de nuire, pour une fois. On aurait aussi pu attacher ce satyre à un fiacre lancé à pleine vitesse…

Felicity entendit alors le bruit sourd des roues d’un véhicule — sauf que ce n’était pas le fruit de son imagination, cette fois ! Elle bondit de son siège. À travers la fenêtre, elle aperçut une voiture qui remontait lentement la rue cernée par la neige. Les roues faisaient jaillir de l’eau glacée à chaque nid-de-poule. Quand le véhicule fit halte devant la maison, elle laissa échapper un juron fort déplacé pour une dame. L’odieux Mr Winston était arrivé.

Elle reporta son attention sur son article. Sapristi ! Elle n’avait pas encore fini de repérer les fautes et il y avait cette satanée phrase du deuxième paragraphe qu’elle comptait rectifier. Vite…

* * *

Au bout de la rue, Ian se tenait tapi dans l’ombre et observait Mr Winston qui fouillait dans sa poche pour payer sa course. En deux enjambées, il approcha et héla le cocher avant de lui tendre quelques pièces.

— Attendez une minute, voulez-vous ? Ce gentleman doit encore aller quelque part.

Sur ces mots, il adressa un grand sourire à l’employé du journal.

— Une chance que je vous aie rattrapé, Pilkington en avait des sueurs froides.

— Mais qui êtes-vous ? demanda Winston en lui jetant un regard surpris.

— Pilkington m’a embauché ce matin même.

En réalité, le patron de l’Evening Gazette était encore en train de s’entretenir avec plusieurs candidats, à la suite d’une annonce qu’il avait passée. Mais, ça, Winston ne pouvait pas le savoir.

— Il a besoin de vous à Haymarket. Il m’a dit de vous retrouver et de vous envoyer là-bas. Comme je suis nouveau, je peux m’occuper de l’article de Lord X.

Devant l’air soupçonneux de son interlocuteur, il s’empressa d’ajouter :

— Il y a une émeute, et il veut que vous vous rendiez sur place sans perdre une minute.

— Une émeute ?

L’étincelle qui brilla subitement dans les yeux de ce gros bonhomme ne voulait dire qu’une chose : Ian avait bien cerné sa cible. C’était comme si Winston se pourléchait les babines à l’idée de voir des scènes de violence en pleine rue.

— Je vois. Bien…

Après l’avoir brièvement jaugé, l’homme sembla manifestement convaincu par le manteau en laine bon marché et la toque qu’il avait enfilés pour ressembler à un employé, et non à un vicomte.

— C’est entendu. Frappez à la porte et dites-leur qui vous êtes.

Tandis que Mr Winston grimpait dans la cabine et ordonnait au cocher de lancer les chevaux, Ian eut un sourire. Ces trois jours passés à soudoyer des employés et à suivre ce nain ventripotent avaient porté leurs fruits, finalement. Toutes ces techniques qu’il avait perfectionnées pendant la guerre lui étaient décidément bien utiles. Avait-il besoin du véritable nom de Lord X maintenant ? Non. Il avait localisé la maison de cette canaille, et c’était bien suffisant.

Tout en gravissant prudemment les marches verglacées de la demeure, il remarqua l’allure gothique de la porte et le heurtoir en forme de griffon. Pas banal. Mais il lui semblait familier. Il avait vu le même quelque part, mais où ? La réponse tardant à venir, il mit l’information dans un coin de sa tête. Il fouillerait dans ses souvenirs plus tard. Il examina ensuite la façade du bâtiment à travers cette neige qui tombait en abondance. Cette maison était une illustration superbe du style gothique, avec des fenêtres en ogive et un magnifique travail de tracerie. C’était la demeure d’un gentleman. Mais il s’y attendait.

La plume vénéneuse de Lord X était celle d’un aristocrate, à n’en pas douter. Il avait étudié consciencieusement les articles de cet individu et, même s’il les considérait comme de vrais torchons, il comprenait pourquoi les duchesses décalaient des dîners pour les lire, et pourquoi toutes les femmes de chambre et tous les valets londoniens dépensaient leurs sous si durement gagnés pour acheter l’Evening Gazette. Et il comprenait aussi pourquoi Pilkington protégeait aussi étroitement sa poule aux œufs d’or.

Lord X était le rêve de n’importe quel patron de presse — incisif et brillant, avec un style plaisant et une capacité hors du commun à découvrir les secrets les mieux cachés. Il maniait l’éloge et le blâme avec beaucoup de brio. Ian se souvenait d’un de ses professeurs d’Eton, qui préférait les subtilités du sarcasme aux traditionnels coups de bâton. Comme lui, Lord X critiquait avec finesse. Ses cibles étaient principalement ces membres de la haute société qui illustraient ce qu’elle avait de pire — ce mépris hautain pour les besoins ou les sentiments des autres, une arrogance mal placée et le goût des comportements licencieux.

Voilà sans doute pourquoi il était apparu dans cette chronique. Vu les innombrables méfaits qu’on lui prêtait en tant que vicomte Saint Clair, Lord X le considérait certainement comme le fils du diable en personne. Ian haussa les épaules. C’était peut-être à moitié vrai, mais qu’importe la vérité : ce scribouillard avait besoin d’apprendre à choisir ses cibles avec plus de discernement. Et c’était bien ce qu’il comptait lui faire entrer dans le crâne.

On répondit immédiatement à son bref coup de heurtoir, même si, en ouvrant, la femme aux cheveux blancs comme la neige qui apparut devant lui sembla surprise de le voir.

— Oui, sir ? Je peux vous aider ?

Il retira sa toque, ce qui fit voler quelques flocons.

— Je suis Mr Lennard, de la Gazette.

Autant qu’il utilise son vrai nom. Lord X ne connaissait certainement que son titre.

— Je suis venu récupérer l’article.

La femme essuya ses mains mouillées et rougies sur son tablier puis s’écarta.

— Entrez, je vous prie.

Le temps qu’il s’exécute, elle lança joyeusement :

— Je suis Mrs Box, la gouvernante. Mr Winston n’est pas là, aujourd’hui ?

— Il a été appelé ailleurs. Je le remplace.

— Oh. Bien, attendez ici, mon mignon, je vais chercher l’article.

— En fait, dit-il au moment où elle prenait le chemin de l’imposant escalier en chêne, Mr Pilkington souhaiterait que je m’entretienne personnellement avec votre maître.

— Mon maître ?

L’air étonné de la vieille dame creusa les rides de son front. Et tout à coup elle partit dans un grand éclat de rire.

— Ce Mr Pilkington, quel plaisantin. Il ne vous a rien dit, c’est ça ?

— Qu’aurait-il dû me dire ?

— Peu importe. Inutile de lui gâcher sa petite farce. Je vais prévenir mon « maître » que vous êtes là.

Elle leva ses jupons et prit son temps pour gravir l’escalier, sans cesser de murmurer « mon maître, hein ? », entre deux ricanements.

Ian la suivit des yeux. Drôle de domestique. Elle ne l’avait même pas débarrassé de son manteau et de son chapeau. Et il n’y avait ni majordome ni valet de pied ? En voilà une maisonnée excentrique.

Après avoir pendu ses affaires à un portemanteau en fer forgé, il observa le hall en marbre. Ces six années passées à jouer les espions lui avaient appris comment se servir de ses yeux pour mettre au jour les secrets d’une cible. Reste que ce décor était aussi énigmatique que le propriétaire des lieux.

La pièce était sobre, dépourvue de cette bimbeloterie que d’aucuns affectionnaient. Un meuble en acajou sur lequel était posé un simple plateau en argent pour le courrier. Au-dessus, un grand miroir rappelait, en miniature, le motif du griffon, délicatement sculpté sur le cadre. Comment pouvait-on décrire aussi crânement les pires travers de la haute société et avoir des goûts si raffinés ? Voilà qui était étrange.

Peut-être que l’épouse du maître des lieux s’était chargée de la décoration. Cela expliquerait les touches féminines — ici, un napperon en dentelle, là, un joli tapis. Mais, s’il y avait une femme dans les parages, pourquoi cette maison était-elle aussi mal tenue ? Les montants en cuivre de la rampe d’escalier avaient grandement besoin d’être lustrés et un coup de balai n’aurait pas été inutile. Où étaient les domestiques qui s’activaient toujours beaucoup à ce moment de la matinée ? Il y avait aussi cette forte odeur de suif, mais cela voulait juste dire que Lord X ne pouvait pas se payer de cire d’abeille. Ce qui n’était pas si inhabituel.

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** Extrait offert par Sabrina Jeffries **

Chapitre 1

Décembre 1820

Londres, Angleterre

La liberté de la presse est le deuxième des privilèges les plus chers aux Anglais. Elle doit être préservée même quand ses manifestations nous inquiètent, car l’inquiétude induit des réformes, et la possibilité de réformer la société est le premier des privilèges les plus chers aux Anglais.

* * *

Un imbécile était en train de colporter des rumeurs sur son compte — une fois de plus ! Voilà la conclusion que tira Ian Lennard, vicomte Saint Clair, presque aussitôt après être entré dans son club. Le majordome le salua d’un clin d’œil entendu au moment de le débarrasser de son manteau.

Quelque chose n’allait pas. Le majordome sinistre du Brooks’s Club lui avait fait un clin d’œil. Un clin d’œil. Pourquoi tant de familiarité ? Peut-être que le gaillard avait encore forcé sur la bouteille pendant ses heures de service… Et s’il l’avait pris pour quelqu’un d’autre, tout simplement ?

Ian secoua la tête et remonta le couloir recouvert d’un épais tapis qui menait à la Salle des Souscriptions, où il était censé voir son ami Jordan, le comte de Blackmore. Sur son passage, plusieurs hommes qu’il connaissait à peine interrompirent leur conversation pour le féliciter. Leurs commentaires — « Qui est l’heureuse élue ? » et « Alors comme ça vous avez recommencé, sacré farceur ? » — étaient accompagnés par de nouveaux clins d’œil. Encore ? Mais quelle mouche les piquait tous aujourd’hui ? Et puis pourquoi lui adressait-on des compliments ? Sans parler de cette histoire d’« heureuse élue »? qui ne lui disait rien qui vaille…

Et c’est là qu’il songea à la possibilité d’une nouvelle rumeur.

Non sans mal, Ian étouffa un grognement. Dieu seul savait en quoi consistait la fable du moment ! Il en avait entendu plusieurs. Il avait un faible pour celle où il sauvait la fille illégitime du roi d’Espagne d’une bande de pirates barbaresques qu’il avait étrillés en un tournemain. Après quoi, il avait reçu un manoir à Madrid en guise de récompense. Le roi d’Espagne n’avait évidemment aucune fille, illégitime ou non, et pour sa part Ian n’avait jamais croisé de pirates barbaresques. Le seul élément véridique de ce récit, c’était qu’il avait été présenté au monarque espagnol et que la famille de sa mère possédait un manoir à Madrid.

L’ennui, c’était que les rumeurs, par définition, n’avaient pas besoin d’un fond de vérité. Nier ne servait à rien. Pourquoi aurait-on dû le croire, lui, alors que les on-dit étaient bien plus intéressants ? Il répondit donc comme à son habitude — par une phrase neutre et un regard ironique qui lui permit de se débarrasser de ces imbéciles.

Il était tout près de la Salle des Souscriptions quand le duc de Pelham vint à sa rencontre.

— Bonsoir, vieille branche, lança l’aristocrate bedonnant d’un ton jovial qui ne lui ressemblait guère. Je donne un dîner demain soir, en toute simplicité, et je voulais vous inviter, vous, quelques autres amis et vos amoureuses respectives. Veillez bien à amener votre nouvelle dulcinée. J’aimerais faire sa connaissance.

Ian toisa ce butor si antipathique, qu’il dépassait d’une bonne tête.

— Ma nouvelle dulcinée ?

Pelham lui tapota le bras.

— N’essayez pas de nous cacher cette merveilleuse créature, Saint Clair. Vous avez peut-être déniché l’oiseau rare — l’oiselle rare, plutôt —, mais tout le monde veut savoir si son ramage se rapporte à son plumage, et jusqu’à quel point elle vous tient dans ses serres.

Ian n’en revenait pas. On lui prêtait une nouvelle conquête ? C’était donc ça, la rumeur ? Quelle déception. Ils auraient au moins pu lui inventer un passé de bandit de grand chemin.

— Vous savez quoi, Pelham ? Dès que je mettrai la main sur cette fameuse dulcinée, soyez assuré que je l’amènerai à l’un de vos dîners. En attendant, je me vois contraint de décliner cette invitation. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai rendez-vous.

Il passa devant le duc qui resta là à le fixer, bouche bée, et entra dans la Salle des Souscriptions. Une dulcinée… Il ne se rappelait même pas la dernière fois où il en avait eu une. C’était bien avant son retour en Angleterre, à n’en pas douter. Avant qu’on le force à se trouver une épouse.

Oh ! il aurait pu prendre une maîtresse s’il l’avait voulu, mais il tenait à concentrer toute son énergie sur ses manœuvres de séduction. Pas question qu’une autre femme l’accable de questions, par jalousie. Pelham était incapable de comprendre une chose pareille. Le seul but qu’il poursuivait, de jour en jour, c’était de débaucher toutes les jeunes innocentes sur lesquelles il pouvait poser ses sales pattes. Cet homme était un porc.

Dans la pièce, Ian repéra immédiatement la chevelure auburn de Jordan, qui se détachait du tissu damassé d’un fauteuil à oreilles noir, pareille à une flamme sur du charbon. Il était assis à côté d’une console en acajou, en train de lire un journal.

Ian se laissa tomber dans le fauteuil en face et attrapa un cigare dans une boîte. Quoi de mieux que de passer une soirée agréable à fumer, à lire la presse et à s’entretenir avec son meilleur ami ?

Tandis qu’il coupait le bout de son cigare, Jordan leva les yeux vers lui.

— Vous voilà. Je me demandais ce qui vous retenait. Alors, que s’est-il passé ? Dites-moi tout, j’ai hâte. Elle a accepté ? A-t-on le droit de vous féliciter ?

Ah non, pas encore ! Jordan faisait-il allusion à cette fameuse dulcinée dont il aurait été l’amant ? Une minute. Peut-être pas.

— Ah, vous voulez parler de Katherine.

— La fille de Sir Richard Hastings, bien sûr, qui d’autre ? Avez-vous demandé une autre femme en mariage, récemment ?

— Non, seulement Katherine, répondit-il en souriant. Une seule suffit, vous ne croyez pas ?

— À quand le mariage, donc ?

— Rien n’est décidé pour le moment.

Jordan plissa les yeux.

— Elle n’a quand même pas refusé votre demande ?

— Pas exactement.

Après avoir allumé son cigare à la flamme d’une bougie juste à côté, Ian tira une grande bouffée.

— Elle m’a supplié de lui laisser du temps « pour étudier ma demande ». Une vieille technique du beau sexe. C’est très certainement une idée de Lady Hastings. Cette femme est un requin en jupons. Elle pousse sa fille à jouer les fines mouches pour qu’elle décroche le meilleur parti possible. L’ennui, c’est que cette pauvre Katherine ne brille pas par ses talents d’actrice. Ça m’a fait de la peine de la voir bafouiller pendant qu’elle me demandait un délai de réflexion.

— Pardonnez-moi de vous dire ça, l’interrompit Jordan, mais je ne comprends pas ce que vous lui trouvez. Elle est quelconque et atrocement timide. Elle est incapable d’aligner deux mots quand nous nous croisons. Et, de toute évidence, vous ne l’épousez pas pour son immense fortune ou pour ses relations. Après tout, son père n’est qu’un baronnet.

— Votre femme n’est pas riche, et son père n’est que pasteur. Cela ne vous a pas empêché de l’épouser et de faire d’elle une comtesse.

Le visage de son ami s’illumina à l’évocation d’Emily.

— Non, mais elle a un tas d’autres qualités qui compensent tout ce que vous décrivez.

— Toujours amoureux, à ce que je vois, ricana Ian. En fait, je ne cherche pas l’amour, Jordan. Je cherche une épouse. Or avoir l’un et l’autre reste rare, même si vous êtes la preuve du contraire. Tout ce que je demande à une femme, c’est d’être respectable et d’avoir bon caractère.

En réalité, s’il y avait bien une chose dont il n’avait pas besoin, c’était d’une jeune femme aussi belle qu’intelligente, et capable de charmer le premier venu ! Il s’en voulait déjà beaucoup d’avoir à entraîner quelqu’un dans la situation délicate où il se trouvait. Au moins, il était sûr d’une chose : celle dont il serait le mari y gagnerait quelque chose qu’elle n’aurait jamais pu obtenir auparavant.

— Eh bien, vous savez que Miss Hastings ne vous dira pas non au bout du compte, conclut son ami en retournant à la lecture de son journal. Ce serait idiot de sa part.

— En effet, admit-il.

Pourtant, il souhaitait presque qu’elle le fasse. Il n’était guère enthousiaste à l’idée de se marier.

Tant pis pour l’enthousiasme. Cette jeune femme pouvait lui être utile.

Si seulement elle ne se dérobait pas dès qu’il la regardait… Ou ne sursautait pas dès qu’il lui adressait la parole. Oh ! il savait pourquoi elle agissait de la sorte : les rumeurs qui couraient sur lui la rendaient réticente, et c’était bien compréhensible. Mais en même temps cette timidité l’irritait. Certes, lorsqu’ils seraient mariés et qu’elle le connaîtrait mieux, elle changerait d’attitude. Et, de son côté, il apprendrait à composer avec ce caractère réservé.

Tout à coup, Jordan agita son journal et le leva pour l’examiner de plus près.

— J’espère que Miss Hastings n’est pas jalouse, ou vous risquez d’essuyer un refus.

Ian laissa échapper une volute de fumée dans l’air.

— Ah bon, pourquoi ?

— Cet article rapporte que vous avez une maîtresse depuis plus d’un an.

— Un article ? Dans le journal ? Vous plaisantez.

— Pas du tout, répondit son ami en lui tendant le quotidien. C’est juste là, dans l’Evening Gazette.

— Seigneur, où vont-ils dénicher ces histoires ? soupira-t-il en plissant les yeux. Cela dit, voilà qui explique pourquoi tous ceux que j’ai croisés en venant ici m’ont félicité. Donnez-moi ça.

— C’est dans la rubrique « Secrets de la bonne société ». Vous savez, c’est la chronique du fameux Lord X.

— Je ne lis pas les chroniques de Lord X.

Ian avait à peine le temps de s’intéresser aux nouvelles, et certainement pas aux bêtises écrites par des colporteurs de ragots pour des torchons de troisième zone. Il attrapa le journal.

— Je suis étonné que vous lisiez ça.

— Le sens de l’humour du gaillard me plaît, répondit son ami en haussant les épaules. Par ailleurs, certains de ceux qu’il attaque ont besoin qu’on leur rabatte un peu leur caquet.

— À commencer par moi, j’imagine, lâcha-t-il sèchement en parcourant la page du regard.

— Pas du tout. Il loue la qualité de vos goûts en matière de femmes.

— Il faut que je voie ça.

Évoquer des affaires privées dans la presse n’était pas une nouveauté, mais Lord X avait la réputation d’être particulièrement friand de ce genre de choses. Aucun faux pas ne lui échappait. Rien n’était trop privé. Révéler les petits travers de la haute société n’était pas uniquement son métier : c’était aussi un loisir à temps plein. Cela étant, il était aisé de parler sans détour en se cachant derrière un pseudonyme.

Avec une fébrilité grandissante, Ian survola les tirades enflammées du personnage pour défendre la presse, sa description de « comportements scandaleux » chez Lady Minnot et ses critiques à l’endroit du comte de Bentley, dont la nouvelle demeure était « une abomination à une époque où les veuves des soldats crèvent la faim ». Puis il aperçut son nom.

Même si les rumeurs abondent sur les six années que le vicomte Saint Clair a passées loin de Londres, il garde le secret sur ses histoires de cœur. La rumeur a même fini par entourer de mystère ses conquêtes. Quelle n’a donc pas été la surprise de votre serviteur lorsqu’il a vu ledit vicomte entrer dans une maison de Waltham Street avec une belle et énigmatique jeune femme. Renseignements pris, il apparaît que cette maison appartient au même vicomte et que cette dame réside ici depuis plus d’un an. D’autres hommes montreraient partout une telle créature, mais Lord Saint Clair la cache, ce qui prouve bien une chose : la discrétion est le meilleur visage de la vertu.

Ian relut l’article. Les mots se mirent à tourner dans sa tête. Bon sang de bois. Waltham Street. Cette « maîtresse » dont les gens s’étaient mis à lui parler, c’était Miss Greenaway ! Il aurait dû s’en rendre compte tout seul.

Comment Lord X avait-il découvert l’existence de celle-ci et que savait-il exactement ? L’avait-il interrogée ? Elle ne risquait guère de révéler le pot aux roses, certes, mais ces scribouillards amateurs de ragots pouvaient se montrer très persuasifs. Il devait s’entretenir avec elle au plus vite, et s’assurer qu’elle prenne garde à ce qu’elle pouvait dire aux inconnus qui toqueraient à sa porte.

Il releva la tête et tomba sur Jordan qui le fixait sans cacher sa curiosité.

— Alors ? Qui est-ce ?

Froidement, Ian déchira la page du journal, la plia en deux et la glissa dans la poche de son manteau.

— Je vais vous dire qui elle n’est pas. Ce n’est pas ma maîtresse. Lord X s’est trompé.

Et ce dernier allait rapidement constater que sa langue bien pendue n’était pas du goût de tout le monde. Si ce scélérat était au courant pour Waltham Street, il savait peut-être d’autres choses. Il fallait l’arrêter avant qu’il ne fasse de nouvelles révélations dans sa chronique de malheur.

— Mais vous avez vraiment une maison sur Waltham Street ?

Ian eut envie de répondre à son ami que ce n’était pas ses affaires. Malheureusement, cela n’aurait fait que piquer un peu plus la curiosité de Jordan.

— J’ai bien une maison sur Waltham Street, en effet, mais ce que j’y fais n’a rien à voir avec ce que suggère Lord X. Je l’ai prêtée à une amie de la famille qui traversait une mauvaise passe. Rien de plus.

— Vraiment ?

— Vraiment, répondit-il fermement. Et qu’importe ce que prétendent ces stupides rumeurs.

Jordan se pencha en arrière et croisa les mains sur son gilet.

— Cette amie de la famille est-elle aussi belle que le prétend Lord X ?

— Pourquoi cette question ?

Il y eut une étincelle espiègle dans les yeux de Jordan.

— Voilà qui expliquerait votre peu d’intérêt pour les charmes de Miss Hastings. Si vous avez une jolie maîtresse à côté…

— Bon sang, Jordan, vous n’avez pas écouté un mot de ce que je viens de dire !

— Désolé, mon cher, mais on n’aide pas une belle jeune femme qui traverse une mauvaise passe en mettant à sa disposition une maison dans un quartier hors de prix.

— Je doute que vous puissiez comprendre, grogna Ian. Vous n’avez pas une once de noblesse.

— Ma femme ne serait pas d’accord avec cette affirmation, répondit son ami en souriant.

— Ah non ? Vous avez failli détruire sa réputation alors que vous veniez de faire connaissance quelques semaines plus tôt à peine. Et ce malgré mes protestations, si je me souviens bien. Finalement, vous vous êtes aperçu que vous étiez un imbécile et vous avez décidé de l’épouser, pas avant.

Des éclairs dans le regard, Jordan ouvrit la bouche pour répliquer. Mais il se ravisa et observa Ian un moment.

— J’ai deviné votre petit manège. Vous essayez de me détourner du sujet de votre maîtresse.

— Pas du tout.

C’était pourtant bien ce qu’il était en train de faire. La plupart du temps, cela fonctionnait à merveille. Avec son tempérament volcanique, Jordan réagissait à la moindre provocation. Son ami n’avait jamais été contraint d’apprendre les dangers que réserve un caractère emporté auquel on laisse libre cours. Contrairement à lui.

— Et puis ce n’est pas ma maîtresse.

— Lord X pense le contraire.

— Lord X est un crétin. Il va falloir que je parle à cette canaille, pour qu’il cesse de dénigrer publiquement mon amie.

D’une voix encore plus dure, il ajouta :

— Je sais exactement comment m’occuper de son cas.

— Si vous arrivez à le trouver, fit remarquer Jordan en fouillant dans la boîte à cigares. Personne ne connaît sa véritable identité.

— Quelqu’un la connaît forcément. Il y a toujours un confident, un domestique ou un proche pour vous mettre sur la piste. Sans parler des rumeurs…

— Il y a toujours des rumeurs.

Jordan écarta un cigare puis en attrapa un autre.

— On a évoqué Pollock, même si nous savons tous les deux qu’il n’a pas le courage nécessaire pour faire ce genre de choses. D’aucuns ont pensé à Walter Scott. Mais tout le monde nage dans le brouillard. Le secret de Lord X est bien gardé.

— Comme vous dites, reprit Ian d’un ton glacial. Sans quoi, l’un de ses ennemis risquerait de couper sa langue si bien pendue au détour d’une ruelle sombre, au moment où il s’y attend le moins.

Le regard de Jordan croisa le sien.

— C’est ce que vous avez l’intention de faire ?

— Lui couper la langue ? s’esclaffa-t-il. Et que voudriez-vous que j’en fasse, après ça ? Je doute que les gens fassent la queue chez le boucher pour s’acheter de la langue de jaseur.

Pour toute réponse, son ami esquissa un sourire, l’air absorbé par son cigare.

— Seigneur, ne soyez pas si terre à terre !

Depuis qu’il était rentré en Angleterre, Ian avait constaté que le fossé entre lui et son ami d’enfance n’avait fait que s’élargir et se creuser jour après jour. Brusquement, cela eut le don de l’énerver.

— Vous pensez vraiment que je vais lui couper la langue parce qu’il a publié des rumeurs à mon sujet ?

— Bien sûr que non, répondit Jordan en haussant les épaules. Ce sont toutes ces rumeurs idiotes qui courent sur vous et sur votre passé sanglant… J’oublie toujours que ce sont des bêtises.

— Oui, ce sont bel et bien des bêtises.

Enfin, en partie. Il ne souhaitait pas discuter de son « passé sanglant » avec son meilleur ami. Cela n’aurait fait qu’élargir un peu plus ce fameux fossé.

— Vous ne devriez pas écouter les colporteurs de ragots.

— Et vous ne devriez pas faire des choses susceptibles de les alimenter encore davantage. Ou pousser cet individu à écrire de nouveaux articles sur vous.

— Ne vous inquiétez pas pour ça, répliqua-t-il. Quand j’en aurai terminé avec lui, il n’aura plus envie de cancaner sur mon compte ou sur le compte de mes amis.

Voyant que Jordan haussait un sourcil, Ian grommela :

— J’ai simplement l’intention de parler à cet homme. La corruption, la manipulation et les menaces devraient marcher, surtout avec un lâche qui se cache derrière un pseudonyme.

Cette réponse sembla détendre Jordan.

— Comment ferez-vous pour le trouver ?

— On peut trouver n’importe qui à condition de savoir chercher, déclara Ian en se levant. Je vais d’abord m’entretenir avec son supérieur, le directeur de l’Evening Gazette.

— John Pilkington ? Il ne vous aidera pas. Il adore cacher l’identité de ses collaborateurs les plus populaires.

Peut-être, mais même John Pilkington avait des failles. Et Ian excellait dans l’art d’exploiter les failles d’un homme afin d’obtenir ce qu’il voulait.

— Alors je ferais mieux de ne pas perdre une seconde, non ?

— Au fait, nous nous voyons la semaine prochaine dans la nouvelle maison de campagne de Sara, n’est-ce pas ? Emily a hâte d’y être. Nous ne nous attarderons pas trop car ma tendre épouse déteste quitter la maison trop longtemps, à cause du bébé, vous comprenez. Mais nous ferons une apparition au bal. En tout cas, il faut que vous veniez voir le petit.

— Je serai là. J’ai promis que Katherine et ses parents seraient du voyage.

Katherine. Dieu seul savait comment elle allait réagir. Elle risquait de le prendre pour un homme abject : ne s’affichait-il pas avec une maîtresse alors qu’il lui faisait la cour ? Cela le mettait hors de lui.

Mais qu’importe. Lord X cesserait bientôt de faire allusion à Waltham Street dans ses articles. Ian comptait bien s’en assurer. Pour commencer, il allait dire à Miss Greenaway ce qu’elle devait faire si on lui posait des questions. Puis il pourchasserait ce Lord X. Après ça, cette canaille regretterait de ne pas s’être contentée de railler la folie des grandeurs de Lord Bentley.

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