Extraits

Sans son RV, il se sentait étrangement amputé. Le membre fantôme le démangeait à tout instant - il ne pouvait ni prendre le métro, ni entrer dans la plupart des magasins, ni payer quoi que ce soit, ni appeler, ni faire aucune recherche sur le Réseau. Il était presque naufragé dans sa propre ville, nu, tous ses anciens liens arrachés - il avait franchi la frontière immatérielle d'une autre dimension, qui se superposait étrangement à la dimension normale qu'il avait toujours habitée.

Les gens qui se modifient mal, comme 99% des gens que vous voyez autour de vous, n'ont aucune unité. Ils sont un assemblage pathétique d'éléments disparates. Ils ne ressemblent à rien. Les gens qui se modifient correctement parviennent à se donner cette unité. C'est ceux qu'on qualifie d'art'. Mais vous, vous n'êtes ni art' ni modifié. Vous avez l'unité que vous a donnée la nature.

La violence s'accumulait en lui comme l'électricité, et il ne put s'empêcher de pousser un hurlement bestial, en pleine rue, de toute la force de ses poumons. Le cri vida, en une seule longue expiration, ses poumons, son énergie et sa rage, le laissant épuisé. Les passants, leur RV connecté aux oreilles, ne l'avaient même pas entendu.

Jan empêtré avec le caddie, trouva un moyen de caler sa valise au-dessus de Titania sans l'écraser. Elle paraissait plus petite, recroquevillée dans ce caddie, l'une de ses jambes parfaites pendant au-dehors. Jan la redressa, l'installa plus confortablement et caressa son visage, plusieurs fois.

Qui es-tu, fille de neige et d’artifice ?

De quel millier de noms couvres-tu le calice

Rayonnant et secret de ton identité ?

Qu’étreindrai-je ce soir, miracle ou maléfice,

Quand ma main brisera comme en un sacrifice

L’éblouissante glace de ta nudité ?

La ville lui paraissait pleine d'elle – mais aussi parfaitement vide. Il se dirigeait vers le nouveau centre de gravité brutalement éclos dans son existence : ce centre le magnétisait, l'attirait avec une puissance irrépressible. Jan était tombé amoureux.

Il était amoureux d'une condamnée à mort, qui avait vendue sa vie, son corps et sa jeunesse pour flamber une ou deux années dans l'incandescence du luxe.

Il lui fallait donc se mettre au travail, et vite - sauf que son état mental et physique ne lui permettait pas du tout de se concentrer sur quoi que ce soit. Il avala donc une pilule verte, pour la relaxation, suivie d'une autre, rouge, pour la stimulation nerveuse. La détente musculaire et respiratoire fut presque instantanée - et il regagna son bureau d'un pas plus calme. Le coup de fouet cérébral et moteur arriva peu après, alors qu'il venait juste de s'asseoir.

Une jolie jeune femme, dotée d'une paire d'ailes de libellule vibrantes et transparentes, bavardait avec une autre, entièrement recouverte d'un pelage tigré.