Extraits

Alma m’a appris que je n’avais pas forcément besoin de me battre. Que je n’étais pas seul contre le reste du monde. Que parfois, je pouvais juste prendre ce qu’on me donnait, que je le méritais. Alma, elle me tire vers le haut, elle me pousse vers l’avant, elle me rend meilleur que moi. C’est cette fille-là qui s’est mise en travers de mon chemin. Et ce n’est sans doute pas par hasard. Ensemble, on se trace un avenir.

– Non, je voudrais savoir. Ce que tu lui trouves. Ce qu’elle a de si spécial. Et que je n’ai pas.

– Hmm… Elle est vulnérable. Elle a un truc dans le regard, toujours au bord des larmes, comme si elle vibrait à l’intérieur, comme si elle vivait tout plus intensément que nous. Je ne sais pas, ça me touche.

– Ok, c’est une pleureuse. Quoi d’autre ? a répondu Cheyenne en levant les yeux au ciel.

– Non, c’est là que tu te trompes. Alma, elle est forte. Elle n’a juste pas besoin de jouer les dures. Elle n’a rien à prouver, elle n’essaie pas d’être une autre. Quand elle a peur, elle le dit. Mais en cas de coup dur, elle est capable de tout.

Un regard et bam ! le coup de foudre. Est-ce que ça existait vraiment ? Je ne le savais pas. Jusqu’à Alma.

Pourtant, avec elle, il n’a pas fallu qu’un regard. Mais des heures et des heures de conversation. Dans ma voiture, sur la jetée de Santa Monica, dans mon appart’. En elle, il y avait à la fois un moineau tombé du nid, apeuré, limite agressif ; une Portoricaine pleine de vie ; une quarantenaire pleine de sagesse ; une fille autoritaire qui joue les grandes et ne veut pas se laisser faire. C’est toutes ces filles qu’il a fallu convaincre. Apprivoiser. Et je ne me suis même pas rendu compte que pendant ce temps là, elle était en train de m’apprivoiser, moi.

Comme Blanca et Juanita, deux cousines de Felix. Ou peut-être qu’elles étaient amies, je n’ai pas bien compris. Elles étaient de passage à Los Angeles, ne parlaient pas très bien anglais et moi pas un mot d’espagnol. Officiellement, j’étais chargé de les faire visiter et de les protéger. Felix était trop occupé pour le faire lui-même, avec une certaine Janelle qui pour une fois, le prenait comme il était. Je crois qu’il est tombé amoureux d’elle, même s’il ne l’a jamais avoué. En tout cas, ça a un peu duré. Et je me suis retrouvé avec les deux Portoricaines pleines de vie, de joie, d’énergie. Elles avaient envie de s’amuser et apparemment, ça ne les dérangeait pas de partager le même garçon. En même temps. Elles étaient sublimes, riaient tout le temps, je ne savais jamais pourquoi. Mais on passait de bons moments. Avec elles, j’oubliais un peu qui j’étais. Je n’avais pas le choix de faire la gueule ou de leur sortir des phrases assassines : on ne se comprenait pas. Alors je les laissais me tirer par le bras, m’emmener n’importe où, jouer avec moi. J’étais leur proie. C’était simple, sans arrière-pensée, sans promesse, sans drame, juste une expérience d’adolescents qui pensent qu’ils doivent tout essayer s’ils ne veulent pas mourir idiots.

J’avais dix-huit ans quand j’ai rencontré Robin. Elle fait partie des rares qui ont un peu compté. Et aussi de celles qui m’ont giflé le plus fort. Elle a débarqué au foyer à seize ans, parce que son père la cognait et que sa mère était trop droguée pour la défendre. Elle avait l’air d’un petit moineau blessé, avec son cocard violet et ses cheveux en brosse sur un visage d’enfant. Elle n’était pas vraiment jolie, juste différente. La première fois que je l’ai croisée, j’ai vu dans son regard toute la souffrance, toute la rage, toute la haine qu’elle ressentait et que je connaissais trop bien. Elle attendait, recroquevillée sur une chaise, d’entrer dans le bureau de Keith. J’ai eu envie d’être sympa, je lui ai apporté un verre d’eau et je lui ai mis la main sur l’épaule. Juste pour qu’elle sache qu’elle n’était pas seule. Et que même si elle ne s’en remettait jamais, elle finirait par aller un peu mieux. Comme nous. Comme tous ces écorchés du foyer, pas vraiment guéris, pas vraiment reconstruits ni libérés de leur passé, mais qui essaient quand même d’avancer.