Extraits

Je m’allonge sur mon canapé-lit, la tête pendant dans le vide, la lettre serrée contre mon cœur qui bat. Je ferme les yeux, très fort, pour empêcher les vannes de s’ouvrir. Sous mes paupières closes, elle est là : en train d’écrire, penchée à son bureau, à plat ventre sur son lit ou assise sur sa moquette, les jambes repliées, le capuchon mâchonné entre les dents, ses lèvres tremblantes et ses yeux verts trempés.

J’ai tellement envie de la serrer contre moi…

Alma… Comment tu as pu nous faire ça ?

En vingt-et-un ans, ça fait déjà deux fois. Que les êtres que j’aime le plus au monde s’en vont, qu’ils me laissent tout seul, comme un con. Après mon père et ma mère : mon premier amour. Pour eux, j’avais tant de colère. Mais Alma Lancaster est passée par là, elle m’a dit que j’avais le droit d’être heureux, que je n’étais pas obligé d’en vouloir à la terre entière. Et puis elle m’a tout repris : le bonheur, la paix intérieure, l’avenir que je nous imaginais, tous les rêves qu’on avait.

Alors je vais faire comme elle a dit : je ne vais lui en vouloir qu’à elle. Elle m’a abandonné, j’ai tous les droits de la détester.

La seule chose que je n’abandonnerai pas, c’est Toi + Moi.

Cap, Alma ?

J’ai tellement envie de la serrer contre moi…

Alma… Comment tu as pu nous faire ça ?

Tu peux me haïr tant que tu voudras. Je le referais dix fois, cent fois, un milliard de fois. Je serai aussi courageuse, aussi folle, aussi obstinée que toi. Parce que tu es entré sous ma peau, tu bats dans mon sang, tu coules dans mes veines. Parce que depuis toi, je ne suis plus la même. Parce que je t’aime, Vadim. Et si je ne devais jamais te revoir, ce seraient les derniers mots que je voudrais te dire. Les derniers que je viendrai te murmurer demain, juste avec les yeux. Mon cœur, lui, hurlera.

Et si un jour, par miracle, mon chemin recroise le tien ; si Toi + Moi est aussi fort que je le crois, assez fort pour forcer le destin, ce seront les mêmes mots que je te dirai encore. Je t’aimerai toujours dans dix ans, dans cent ans, dans un milliard d’années.

En attendant… Sois heureux, Vadim, sois fou, sois libre. Et, s’il te plaît, ne m’oublie jamais.

Alma

Demain, je te rendrai ta liberté. C’est ce que tu as de plus beau, de plus grand, de plus fort. C’est ce que j’admire le plus chez toi, c’est ce qui m’a fait t’aimer. Sans elle, tu ne serais plus qui tu es. Cette soif de liberté, tu me l’as enseignée, insufflée, tu n’as fait que ça depuis neuf mois. Et demain, je prendrai la liberté de sauver la tienne. Contre ton gré, je sais. Mais je le ferai pour toi, pour que tu puisses à nouveau respirer. Et je m’en irai, avec mon cœur brisé, déchiqueté, et toutes les larmes qui auront coulé. Mon malheur de te perdre ne vaut rien face au bonheur de te savoir libre. Il n’y a que comme ça que je t’aime. Et il n’y a que comme ça que je pourrai encore m’aimer un peu.

Je sais que c’est elle qui a fait ça. Alma. Remettre de l’ordre dans ma vie avant de se barrer. Effacer tous les souvenirs de la perquisition, de mon arrestation. Sans doute pour m’aider, me protéger. Mais elle ne sait pas qu’elle a aussi supprimé toute trace de son passage. Et qu’aujourd’hui, c’est comme si elle n’avait jamais existé.

C’est ça que tu veux, Lancaster ?

Me rendre fou, faire de ma vie un enfer ?

Partir n’a pas suffi, il a fallu que tu bousilles tout ce qui me restait…