Extraits

Parce que je l’aime depuis des mois maintenant et que la veille de son départ, on a fait l’amour toute la nuit et que depuis j’ai l’impression d’être mort ! Parce que je ne peux pas vivre sans lui, que j’étouffe à chaque seconde loin de lui, que les seuls moments où j’ai l’impression d’exister c’est quand je lui parle sur le net ! Parce que chaque jour est une torture sans lui, que je me fais violence pour me lever chaque matin alors que je sais que je ne vais pas le voir ! Parce que je n’en peux plus et que si je reste loin de lui une journée de plus, je vais en mourir !

« TUT-TUT-TUT-TUT-TUT....!

La sonnerie de mon réveil est juste horrible. Mais avec si peu de sommeil, j’ai encore plus de mal à la supporter. Trop fatigué pourtant, je mets quelques secondes à émerger assez pour que mon cerveau comprenne que ce bruit atroce peut être coupé si j’appuie sur le bouton.

Des secondes trop longues sans doute car l’homme qui dort dans mon dos se met à grogner d’une voix mécontente :

– Éteins ce putain de truc...

Mon cœur fait un petit bond dans ma poitrine quand je réalise que je ne suis pas seul dans mon lit. Je tends tout de même la main vers le réveil et l’éteins alors que tout me revient en tête en une seconde. Tony, la soirée, la bagarre avec Jérémy, Tony encore chez moi, notre discussion... puis cette incroyable conclusion... On est en couple. Merde.

Je me sens tout chamboulé, j’ai pas les idées claires et j’ai tellement la tête dans le cul que je préfère me lever pour filer sous la douche. Mais alors que je me redresse, un bras autoritaire s’enroule autour de ma taille et me ramène de force au creux du lit, tout contre son corps. »

« Jérémy me traite souvent de traître pour déconner parce que j’ai amené dans leur groupe une femme capable de détourner son coloc de la musique, de ses études et même de lui ! Je lui rappelle toujours avec le sourire que je lui ai aussi amené une chanteuse exceptionnelle, ce qu’il ne peut qu’approuver. Quoi qu’il en soit, je sais qu’il adore Tia et qu’il ne m’en veut absolument pas. Ils écrivent déjà à trois des nouvelles chansons dans l’optique de donner un premier concert dans quelques semaines.

 »

Quelques semaines plus tard, j’ai repris ma vie d’étudiant avec un certain enthousiasme. Fini de vivre chez mes parents, fini de devoir rendre des comptes sur chacun de mes allers et retours, sur mes préférences sexuelles, sur ce que je fais de mes journées ou de mes soirées. Fini les discussions sans fin à table, les assiettes qu’on est forcé de terminer même si on n’aime pas, les petites piques de mon père, les mensonges à propos de ma relation avec Tia.

Je rejoins ma chambre un peu avant 21h et allume aussitôt mon vieil ordinateur. Il s’agit d’un vieux modèle de PC fixe. Le genre qui rame au démarrage et dont le ventilateur est bruyant jusqu’à ce qu’il trouve son rythme de croisière. En attendant qu’il s’allume, je me rends à la salle de bain pour me recoiffer et m’assurer que je n’ai pas de sauce tomate aux coins des lèvres ou de morceaux de salade entre les dents. De retour dans ma chambre, je m’assois à mon bureau, ajuste la webcam que je me suis achetée récemment et souris pour moi-même.

« Tia me parle aussi d’elle-même. J’apprends qu’elle a un an de moins que moi, qu’elle vient de finir le lycée et qu’elle va à Toulouse l’an prochain, en histoire. Dans ma faculté ! J’apprends aussi qu’elle aime être différente des autres du point de vue vestimentaire ou comportemental. Elle est vive, intelligente, drôle et a un caractère bien trempé !

On parle pendant des heures et des heures et je n’ai pas envie de rentrer chez moi. J’ai prévenu mes parents que je finirais tard. Ils ont été ravis que j’ai trouvé un job et m’ont encouragé à bien bosser. Ils seront sans doute déçus d’apprendre que je n’ai pas été retenu, et vont peut-être même me casser les couilles parce que je ne suis pas rentré de la nuit. Mais peu importe. Je ne veux pas être ailleurs qu’ici, à discuter avec Tia, à lui parler de Tony dans les moindres détails et à revivre chaque seconde de la nuit que j’ai passée avec lui.»

– C’est là ?

– Ouais.

Arrêtés devant la galerie d’art portant le nom de « La croix dorée », David et moi observons la façade et l’espace interminablement blanc qu’on peut apercevoir à travers les grandes vitres donnant sur la rue. C’est beaucoup plus chic que ce à quoi on s’attendait, ce qui explique qu’on soit un rien mal à l’aise avant d’entrer. Pendant un instant, je me demande si on ne risque pas de me mettre dehors parce que je porte des converses, un jean qui tombe sur la taille et un tee-shirt noir portant le logo des Rolling Stones4. Dans ce genre d’endroit, ne faut-il pas être tiré à quatre épingles ? En même temps, David n’est pas beaucoup mieux sapé que moi et ça me rassure. Au moins, si on n’est pas les bienvenus, on sera deux à être mis à la porte.

– On y va ?

– Ouais.

« Le soir même, mon humeur est passée de la colère à la morosité. J’ai beau avoir réussi mon année, en avoir informé ma mère qui a été ravie d’apprendre la nouvelle et avoir même eu droit de sa part à une promesse de cadeau pour marquer le coup, je n’ai pas le cœur à la fête. Mon état plutôt serein et courageux de ce matin, quand j’ai décidé de sortir de ma retraite d’ermite pour reprendre ma vie en main, est retombé.

Peut-être est-ce dû à la dispute que j’ai eue avec Yann, ou au fait que j’ai pensé à Tony tout le reste de la journée ? Ou peut-être simplement parce que j’ai passé un petit moment à pleurer en regardant à nouveau tous les dessins qu’il a faits. Il me manque, c’est vraiment dingue. J’ai comme un vide au creux du ventre qui ne me quitte pas. J’arrive parfois à l’ignorer mais pas longtemps. Mon chagrin et mon manque me rattrapent toujours.

 »

« – Où sont ses affaires ?

– Dans le placard de l’entrée. Tu veux une bière ?

– Je veux bien.

Tandis que Jérémy va chercher des bières au frigo, je fais coulisser la porte d’un placard et découvre un beau bordel. Des manteaux et des vestes sont pendus sur des cintres en hauteur, mais en bas, parmi des sacs plastiques posés en vrac, sans doute après avoir été utilisés pour faire les courses, se trouvent plusieurs cartons empilés qui prennent pas mal de place. J’en prends un, que je constate particulièrement lourd et l’emporte jusqu’à la table basse du salon pour l’ouvrir. Tony n’a pas mis de scotch sur les fermetures et s’est contenté de croiser les bouts de cartons pour qu’ils restent fermés. »

« Pourtant, une part de moi n’a pas envie qu’il s’approche de trop près... J’ai le même sentiment que lorsque j’étais avec Fabien, cette sensation que j’appartiens déjà à quelqu’un. Mes réflexions m’amènent à comprendre que je me sens comme si j’étais en couple. Pas avec Fabien. Avec Tony. Je m’exaspère moi-même parfois ! Je sais pertinemment qu’il n’y a pas d’engagement entre Tony et moi, pourtant l’idée d’aller voir ailleurs me déplaît profondément. Peut-être va-t-il me falloir un peu de temps avant d’avoir à nouveau l’envie de coucher avec quelqu’un ? Ça me va très bien. J’ai envie de garder encore frais dans mon esprit la nuit magnifique que j’ai passée avec Tony. J’ai envie de lui appartenir encore un peu, même si lui, de son côté, ne va pas se priver pour sauter tout ce qui bouge.»