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Or s'il fallait résumé mon malheur, je pourrai le faire en trois mots : je suis vivant.
Que je sache il n'y a pas mort d'homme.
Afficher en entierLe seul à ne pas être dupe, c'était Nassardine. Il savait lire dans mes yeux, y relever les traces encore fraîches de la peur de l'inconnu, centuplée par la solitude.
Je ne brodais pas, quand je parlais avec lui. Inutile. Il sortait son atlas, et disait :
- Tu es passé par où ?
Je dessinais des chemins invisibles et je voyais cette lumière, soudain, dans son regard. Il me posait quelques questions précises, se réjouissait comme un enfant. Il me faisait revivre le trajet au soleil de son enthousiasme, et c'est lui qui le rendait beau. Ça me donnait envie de repartir. Mais à peine le voyage suivant commencé, je me sentais aussi seul, aussi loin, aussi rien.
Afficher en entierGrâce à Bubulle, mon poisson rouge, j’avais été très jeune confronté à la mort. Je devais avoir dans les quatre ou cinq ans lorsqu’un matin, je l’avais retrouvé en train de faire la planche au milieu de son bocal. J’avais eu beau lui faire la respiration artificielle avec une paille, ça n’avait rien donné du tout.
Bubulle était cassé.
Je l’avais apporté à mon père, persuadé qu’il pouvait le refaire marcher, car il était très bricoleur. Mon père l’avait considéré d’un oeil trouble, avant de conclure :
- Il est mort, ton poisson.
J’avais demandé:
- Ça va durer longtemps?
Il avait répondu:
- Ça va durer toujours.
Puis il l’avait jeté dans les toilettes – soi-disant qu’il allait retourner à la mer. J’avais regardé Bubulle partir dans le tourbillon de la chasse. Mourir, c’était donc ça: un truc définitif et plutôt emmerdant.
Afficher en entierSi les liens du cœur prenaient racine au fond des estomacs, on appellerait "maman" toutes les dames de cantine.
Afficher en entierCette fille, c'était du papier alu entre deux couronnes dentaires, une coupure de l'index sur une feuille de papier, une gerçure aux lèvres qui se fend quand on rit. Une chose insignifiante avec un potentiel d'emmerdement énorme.
Afficher en entierPremière des choses à faire, aller rendre visite à ma tante. Elle a soixante-douze ans, toujours bon pied, bon œil, belle morosité, bien partie pour mener sa dépression chronique jusqu'à la centaine de bougies, voire même au-delà, car c'est une tenace.
Afficher en entierPaquita vient d’une famille où les hommes ne pleurent pas, sauf, éventuellement, pour les seules raisons à peu près recevables qui sont, dans l’ordre : la mort de la mère, de leur père, de leur fils, d’un de leur pote, de leur femme, de leur fille, et une condamnation à plus de vingt-cinq ans sans remise de peine.
Afficher en entierTu vois, fils, la médecine a beau faire des progrès tous les jours, on n’a encore rien trouvé contre la connerie. A voir le nombre de gens atteints, ça mériterait pourtant qu’on vote des crédits.
Afficher en entierIl y a des jours, comme ça, qui changent en jour d’avant tous ceux qui ont précédé, et font des jours d’après de tous ceux qui suivront.
Afficher en entier-Ton père aussi a trouvé ça curieux, à l’époque.
Curieux ?
Pour ma part, il me semble que j’aurais eu besoin d’un mot plus décapant. Je ne sais pas moi, dramatique, peut-être ? Tragique ? Ahurissant ?
Mais dans notre famille, tout est ahurissant. Il faut bien qu’on relativise ?
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