Extrait

Je l'ai trouvé il y a quelques minutes, dans le coin, ses ailes droites pressées l'une contre l'autre comme des mains jointes en prière. A-t-il examiné ma vie et choisi de cacher sa beauté ? Je ne peux pas lui en vouloir.

C'est papa qui m'a appris à aimer les papillons. Lorsque l'un d'eux, entré par erreur, ne parvenait pas à sortir de la maison, mon père cessait immédiatement toute activité afin de le libérer. Hier, alors que nous étions sur son bateau, il en a trouvé un - un grand collier argenté, d'après lui - posé sur un sac marin au soleil. Il m'a appelée, mais le papillon s'est envolé quand je me suis approchée. En silence, nous l'avons regardé s'éloigner en virevoltant, insouciant, téméraire, trop loin de la terre pour survivre.

Je ne sais pas très bien à quelle espèce appartient celui-ci. J'ai envie de forcer ses ailes à s'ouvrir, d'apporter un peu de couleur à ma vie délavée, mais ce serait une atteinte à sa liberté. Et il y en a déjà trop eu.

- Il ne fait que se reposer, dit papa.

Je ne l'ai pas vu apparaître, mais sa voix ne me fait jamais sursauter. Il est très présent, ces dernières semaines, et repart aussi silencieusement qu'il est arrivé.

- Les dessins sous ses ailes lui permettent de passer inaperçu.

Je vais essayer de passer inaperçue, de conserver pour Jar la beauté qu'il me reste peut-être. Et un jour, avec l'aide de papa, je déploierai à nouveau mes ailes sous le soleil.