Extraits

Il faut suivre l’exemple de gens comme Jésus, Gandhi ou Luther King. Ne jamais répondre. Tendre l’autre joue. Quand on te fout un gnon, tu balances de l’amour.

- Tu sais comment ils ont fini ?

- Je sais. Massacrés. Tous les trois. Mais quand même.

Elle connaissait le pouvoir des mots, des milliers de messages qui s'échangeaient à chaque seconde, qui circulaient en bondissant sur les ondes, d'un téléphone à l'autre, d'un ordi à l'autre, d'un mur à l'autre. Elle avait vu souvent se déclencher cette mécanique des tweets, des chats et des buzz. Pour l'instant elle s'était toujours faufillée entre les mailles de la Toile, mais le filet se refermait sur elle.

P. 99 - Ed. Plon jeunesse

Il était loin, le bon vieux temps du Moyen age, où les membres de la famille se serraient les uns contre les autres, dans la lumière treblotante de la télévision.

P. 17 - Ed. Plon jeunesse

Au moment où Thomas allait se jeter sur Latreille il sentit une main sur son épaule. Il se retourna. Esther se tenait juste à côté de lui. Thomas s’immobilisa.Spoiler(cliquez pour révéler)Elle s’approcha plus près encore, et posa ses lèvres sur les siennes. Les y laissa. Le serra dans ses bras, lui offrit le plus long et le plus invraisemblable baiser de toute son existence. Les premiers sifflets ne s’élevèrent qu’après un nombre sidérant de secondes. Sans paraitre prêter attention aux hurlements extatiques de la populace, Esther continua un moment, puis logea sa tête dans le cou de Thomas et lui murmura à l'oreille :

-Ça ne compte pas. Et ça ne change rien à nos accords. C'est juste pour faire taire l'autre crétin.

Le deuxième film, d’abord plus confus, plongeait le spectateur dans l’atmosphère bruyante et moite du cours de français. On y reconnaissait Mme Friol, penchée sur le cahier d’Anaïs Lebel, laquelle écoutait, le front barré d’un pli studieux, les conseils individualisés que lui prodiguait son professeur. Pendant ce temps, Latreille plaçait son téléphone presque sous la jupe de cette dernière, et brandissait le pouce pour manifester, sans doute, sa satisfaction.

Dans le troisième film, Latreille téléphonait, sourire aux lèvres. « Alors ? demandait-il, tu lui as foutu la trouille à la petite ? Parfait. Si son frère essaie d’ouvrir sa gueule, on en remettra une couche. Faudra pas hésiter à lui filer une ou deux claques. De toute façon, le proviseur est tellement con qu’il soupçonnera forcément ce nolife de Poupinel. »

Ce qui aurait peut-être été possible, à l’extrême rigueur, et juste pour faire avancer le temps, juste pour sortir de cette nasse où il était coincé, ç’aurait été de faire un tour rapide du propriétaire. Voir comment les jeux avaient évolué sans lui. Il s’arrangerait pour ne pas laisser de traces de son passage, jetterait un coup d’œil. Par exemple, est-ce que ses compagnons avaient réussi à s’emparer de la citadelle côtière ? Est-ce qu’on avait pu se débarrasser de l’odieux Draeneï qui terrorisait la région d’Holodek ? Est-ce que son avatar avait été définitivement exclu de SBK ?

Elle ouvrit plus largement la porte qui grinça, s’accroupit sur le palier puis fit signe à Thomas de venir. Il la suivit, à quatre pattes. Quand il arriva à son tour sur le palier, il vit Pauline qui se faufilait dans une sorte de placard mural, à porte coulissante, et qui lui ordonnait, par gestes, de la rejoindre. Trois secondes plus tard, ils étaient serrés l’un contre l’autre dans un réduit, en compagnie d’un aspirateur et de produits ménagers naturels qui sentaient la banane.

Le lendemain, au lycée, Thomas se sentit mieux. L’opération mails était prévue pour la nuit suivante, et la perspective d’agir lui rendait la vie plus supportable. Dès son arrivée dans la cour, il tomba sur Esther. Elle était radieuse, rose, comme si les tristesses du monde glissaient sur elle. Les angoisses de Thomas se cadenassèrent dans le tréfonds de son être, d’où elles ne ressortiraient que plus tard, quand il serait seul avec lui-même.

— Tu es revenue, se réjouit-il.

C’est tout ce qu’il trouva à dire, mais Esther parut s’en contenter.

Thomas se trouvait au bord d’un boulevard encombré par deux autobus, entre lesquels s’impatientaient des voitures. De l’une d’elles s’échappait une rythmique lourde, saturée de basses, comme des coups de canon dans une ville en guerre. Sur un immense panneau publicitaire, des images se formaient constamment, pour se désintégrer, par bandes horizontales. Les passants parlaient trop fort, trop vite, riaient, leurs yeux rouges roulant sous leurs lunettes. Il fouillait la foule, ne retrouvait plus la silhouette de sa mère. Elle n’avait pas pu aller très loin, pourtant. Gardant un œil sur les trottoirs, il tenta d’observer les enseignes. Pas de restaurant, pas de bistro. Plusieurs boutiques de prêt-à-porter, un magasin d’informatique, un marchand de journaux. Peut-être était-elle allée s’acheter un magazine ? Il fit quelques pas vers la devanture du buraliste, où alternaient des femmes nues et des hommes politiques, et sursauta d’horreur.

L’espace d’une seconde, il fut traversé par une joie sincère. Papa avait réussi. Il lui avait sauvé la mise. Il repensa à cette soirée passée avec son père, au salon, à décrypter les formules absconses de vieilles chansons mal chantées. M. Poupinel plissait les yeux en s’arrachant la peau du front, hyper concentré, puis notait fiévreusement ses idées sur des Post-it qu’il semait ensuite sous la table basse. Thomas avait tout recopié, assemblé les idées selon un plan complexe patiemment élaboré par M. Poupinel, dans les blancs d’un prospectus qui traînait. Thomas se rappelait bien le prospectus. Une femme entre deux âges, en extase dans un fauteuil à télécommande.