Extraits

Cully poussa la porte à un seul battant et s’arrêta, aussitôt le seuil franchi, pour laisser le temps à ses yeux éblouis par le soleil de s’accoutumer à la pénombre. Lorsqu’il fut capable de distinguer nettement la topographie de la salle tout en longueur et les quelques personnes qui l’occupaient, il constata que le barman, les deux clients qui buvaient au comptoir et le couple qui occupait l’un des boxes l’observaient du coin de l’œil. Il s’approcha du bar et posa sa valise.

Cully longea State Street sur toute sa longueur, il dépassa tous les grands magasins, les cinémas et les boutiques, il continua jusqu’au bout, jusqu’au viaduc du métro aérien, jusqu’aux limites extrêmes du quartier commerçant. Il n’avait pas encore atteint le numéro qu’il cherchait.

— C’est une ville où tout va très vite, fiston, beaucoup trop vite pour la plupart des gars de chez nous. Mais j’ai réussi à y faire mon trou, il y a vingt ans, et je crois que tu pourras y faire le tien aujourd’hui. Je te donne seulement un conseil : les premiers temps, laisse un pied sur la berge. Ne saute pas là-dedans à pieds joints avant d’être certain de pouvoir résister au courant, tu piges ?

Lorsque Cully arriva au rez-de-chaussée, les larges portes de glace s’ouvrirent devant lui avec un automatisme presque éprouvant et il se retrouva dans la rue où l’attendait un nouvel éblouissement, le plus saisissant de tous : le centre de Chicago en plein midi.

Le premier contact de Cully avec Chicago fut un éblouissement.

Lorsqu’il ouvrit les yeux dans le gros car Greyhound qui l’avait réveillé en s’arrêtant avec un soupir dans la gare souterraine, deux étages au-dessous du niveau de la rue, il fut aveuglé par la lumière crue, blafarde, stérile. Tout était en béton, dans ce sous-sol, les quais, les piliers et les murs. C’était étonnamment propre, infiniment plus propre que toutes les petites stations miteuses où le car avait fait escale depuis Evansville.