Commentaire de Rayathea

Un chassé-croisé de mystères

Réécrire le même livre, n'est-ce pas le sort des meilleurs écrivains ? Dermot Bolger, auteur irlandais né en 1959, s'est livré à l'exercice volontairement, redonnant une toute nouvelle forme à un roman qu'il avait publié en 1994, sous le même titre (traduit en France par Le Ventre de l'ange, aux éditions du Passeur).

Dans les « notes de l'auteur » qui précèdent le premier chapitre, Dermot Bolger expose les raisons de sa démarche inaccoutumée : outre qu'il lui semblait être parti sur une « fausse note » et n'avoir plus trouvé le ton juste au fur et à mesure que l'histoire avançait. Il lui était impossible de faire fi de l'évolution des mentalités de son pays quant au thème du livre : l'adoption.

Ce roman raconte l'histoire de deux vies liées depuis le début, mais deux vies qui ne se seront jamais vraiment croisées. Une seconde vie est l'histoire, de la recherche d'un double passé enfoui: passé d'un homme et passé d'un pays.

Sean Blake, le narrateur d'Une seconde vie, perçoit le monde différemment suite à un accident, comme s'il débutait une nouvelle existence. Ce photographe quadragénaire marié et père d'un petit garçon remet en question son existence, présent et passé, s'éloigne de sa femme et part en quête de ses racines. Adopté alors qu'il était nourrisson, il n'a jamais cherché jusque-là à connaître sa véritable mère, et savoir qui elle était lui paraît soudain essentiel. Ce livre est le récit d'un homme qui se cherche, se détache des siens, se perd, dans une Irlande sombre et violente, pour au final mieux se retrouver.

On ne dira pas comment Sean finira par apprendre la vérité sur sa mère, ni qui elle était, ni s'il la retrouvera: le mystère et la progression de la quête donnent sa force au livre. Ce que l'on peut dire, néanmoins, c'est que, au cours de ses recherches, Sean découvre une Irlande enfouie qu'il ne connaissait pas, une Irlande puritaine, dans laquelle les superstitions, les préjugés soigneusement entretenus pas l'Église sont restés, jusque dans les années 1960, une source d'oppression.

L'Irlande qui reprend vie sous le regard de Sean est un pays sombre, d'une sourde violence, où les couvents sont comme des prisons, et où l'Angleterre apparaît comme la terre promise de la liberté et de la tolérance. « L'Irlande dans laquelle elle vivait était infectée par un terrible virus appelé respectabilité. » (p 83)

Ce livre s'apprivoise lentement : il est dense, comporte des longueurs, exige de la patience pour suivre les questionnements et les recherches du personnage tourmenté. le seul moyen d'y parvenir a été de morceler ma lecture, pour ne pas m'ennuyer et perdre le fil...

L'écriture, la minutie, la lenteur, la profondeur des sentiments décrits et des réflexions suscitées font de ce roman un récit bouleversant.A sa manière, il nous tient en haleine jusqu'au dénouement : une belle leçon sur soi, sur la vie, ce que nous en faisons et quelle sens nous lui donnons…

«Une seconde vie» de Dermot Bolger, traduit de l'anglais (Irlande) par Marie-Hélène Dumas, Éditions Joëlle Losfeld, 257 p., 21 €.