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"Le matin, pendant qu'Abel prenait son petit déjeuner, l'air maussade et tarabusté par la nuit, il me servait en premier, je me rendais dans sa chambre et, dans son lit défait, toilette puis, très vite, couché en rond, je cherchais dans l'odeur ou le parfum des draps, leur douce tiédeur encore, le secret des rêves du maître. Les rêves restent attachés aux draps, ils sont le drap du drap, dans la fibre, ils sont tissés. On peut capter. On peut alors deviner l'errance des rêves d'un autre. Les inquiétudes ou les élans sensuels, anarchie et ravissement des conquêtes imaginées.
J'ai souvent vu Abel, dans tel ou tel coin de canapé où je venais de me tenir endormi, pattounes et griffes repliées, placer une main, à plat, à l'endroit même de mon sommeil, comme s'il avait voulu savoir, lui aussi, également, belle égalité d'humeur, un peu de moi et de mes songes. L'histoire de Tiffauges n'est pas suave.
En temps voulu, je passerai au présent de l'indicatif, plus rude, dur et dru, plus actif, donc plus à notre image. Abel n'avait qu'une seul projet et fort mauvaise réputation. Une seule issue à ses rêves : être ce qu'il était. Notre couple fut tout de suite mal perçu, ou vu, ou considéré. Les fourbes ne témoignent jamais dans l'intimité. Il leur faut un prétoire et de la publicité. Peu importe. Je ne suis pas sans penser que je fus le ravisseur d'Abel et que je l'ai tenu en otage près de onze ans. Nous avions un projet commun, de l'orgueil, si peu de vanité : être ce que l'on est. J'ai partagé sa vie. Rien de délicat à cela. On fait une bien douce réputation aux chats. Surtout lorsqu'ils écrivent.
Afficher en entier« J'aimais le silence. Il échappe à la chronologie. S'il me faut, ici, de chapitre en chapitre, suivre le cours d'un récit, avec un début et une fin, mon début et ma fin, c'est au mépris de ce qui m'a toujours porté et guidé, une écoute sans dessein, une histoire sans histoire, un acte que rien ne justifie ni ne condamne, le moi spirituel et mon émoi, rivière sous la lune et danse rustique. Il y a du bronze, du jade du céladon et des émaux cloisonnés dans le silence. Il y a des dynasties dans les forêts de ma tête et des cavernes qui recèlent des trésors dans les chambres les plus secrètes. On peut y connaître l'émerveillement. Dans chaque objet se lie une philosophie. Je viens d'un paradis oublié pour témoigner de sa permanence à travers les innombrables tragédies et accidents d'une histoire si complexe qu'on en perd vite le fil. Je le tiens ce fil, je le tenais, je le tiendrai, je reviendrai. Le silence est tumultueux et la mélancolie ne serait que la gaieté d'être triste. le silence est précieux, il vous rend précis et démasque les oublieux. »
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