Extraits

Le modèle de femme émancipée qu'il a épousé demeure pour tout homme une menace, qu'il s'agit de ramener au rang de délicieuse linotte.

Elle tourne les talons, sous son parapluie se hâte vers le métro. L'air bleuté est un peu froid, l'ombre de Julia est à ses côtés, se yeux ricochent dans les flaques et l'évidence lui saute à la conscience : nous ne sommes que des fragments reflétés par des miroirs brisés - nos rêves, nos espoirs, nos vies, nos visages sont des illusions, des brièvetés mensongères et incomplètes. NOUS, assemblée d'âmes errantes." (p 205)

Elle sait que c'est le roman qui pulse dans sa poitrine, mais pas n'importe quel roman. Le roman qui dit ce que les gens ne disent pas, qui dit les interstices de silence et les doutes. Ecrire sur le connu, le familier, se défaire des histoires et de l'invention, bannir à tout prix l'exotique - sauf à transplanter le familier dans l'exotique, juste pour voir, manière d'alchimie ou de boutade. La question se pose du vieux rapport entre vérité et vraisemblance, entre ce qu'on invente et ce que l'on rapporte du monde, à se demander si ce n'est pas au bout du compte la même chose. Celui qui écrit est la seule réalité au moment où cela s'écrit." (p 193-194)

Elle voudrait la liberté verticale, celle de qui se tient debout et se meut pour recréer le monde, pas celle de l'écrivain qui enchaîné à sa pierre, ne peut agir qu'assis. La peinture peut-être permet cela, saisir d'un seul trait les choses, embrasser le réel d'un coup. Vanessa le pressent depuis longtemps et Virginia la jalouse. Elle a beau se lever, se tenir droite devant l'écritoire, le geste n'y est est pas, ce n'est qu'imitation. Son désir d'abstraction est parfois insoutenable, elle voudrait créer des mots pour dire l'indicible, offrir le choc de perception immédiate que permet la peinture." (p 189)

Ecrire permet d'éviter de parler. Il collecte ainsi des souvenirs comme on ramasse des pierres ou des brins de paille, pour faire un nid de douleur. Ainsi font les veufs, les damnés, les errants." (p 133)

Elle envie les autres familles, qui lui semblent bien moins compliquées - on ignore encore à cet âge combien les autres sont si peu autres." (p 112)

Mais rien de mieux que de lire au lit le matin, de prolonger le sommeil par la clarté d'un rêve de papier avant d'entrer dans le réel et ses brumes." (p 59)

Son visage est un refuge pour les âmes errantes, pour quiconque est incertain de sa propre réalité." (p 50)

La voix de la maison, puisque toutes maisons ont des voix, dit de se méfier des souvenirs, qu'ils soient piquants crochus ce sont de dangereuses et inflammables matières, mais personne ne l'écoute." (p 23)

D'où viens que les trous prennent tant de place?