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Il n’en revenait toujours pas. Un soir, une jolie chanteuse de rock qu’il n’avait jamais vue jusque là, parla à Johnny Carson de son unique (« Dieu merci ») rendez-vous avec Nathan Zuckerman. Elle se tailla un franc succès en décrivant les « fringues » que Zuckerman l’avait priée de porter pour le dîner si elle voulait l’ « émoustiller ». Et le dimanche précédent, il avait regardé, sur la cinquième chaîne, trois psychiatres assis dans des fauteuils-club analyser son complexe de castration avec le présentateur. Ils s’étaient tous mis d’accord pour déclarer qu’il en avait un carabiné. Le lendemain matin, l’avocat d’André lui avait doucement expliqué qu’il ne pouvait pas les attaquer en diffamation : « Vos valseuses, Nathan, sont maintenant dans le domaine public. »
Afficher en entierBien que le Dr. Zuckerman n’expirât officiellement que le lendemain matin, ce fut à ce moment-là qu’il prononça ses dernières paroles. Un mot. À peine audible ; mais aux deux syllabes nettement détachées : « Salaud », dit-il.
Parlant de qui ? Lyndon Johnson, Hubert Humphrey, Richard Nixon ? Parlant de celui qui n’avait pas jugé bon d’accorder à son propre univers cette misérable parcelle de matière, ce dérisoire petit atome d’hydrogène pour chaque volume d’un tiers de mètre cube ? Ou d’accorder au Dr. Zuckerman, ardent moraliste depuis son enfance, la simple récompense d’une vieillesse robuste et d’une plus grande longévité ? Mais lorsqu’il émit ce mot ultime, ce n’était pas ses dossiers de correspondance qu’il regardait ni, au-dessus de lui, le visage de son Dieu invisible, mais les yeux de son fils apostat.
(in "Zuckerman enchaîné", "Zuckerman délivré", p. 333, Folio)
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