Extraits

Mon boss fait claquer la couverture du livre quand il le referme puis le repose sur la table. Il se lève d’un bond, s’approche du jeune homme, et pose une main sur son épaule.

— Oui, je suis Cael Cornish.

Je lève les yeux au ciel en terminant ma biscotte beurrée et en mettant mes couverts dans l’évier.

— J’ai un emploi du temps très chargé, mais je peux tout à fait prendre une photo avec toi. En attendant que tu sortes ton téléphone, je me dois néanmoins de briser ton cœur…

Le surfeur le dévisage, fouillant dans les poches de son jean.

— Elle ne te rappellera pas. Elle a sans aucun doute passé une très bonne soi… nuit, en ta compagnie. Elle n’a pas simulé, même si elle n’a pas crié, ce n’est juste pas son genre. Alors, crois en toi, bonhomme, n’écoute pas ton ego meurtri, tu as toutes les qualités pour faire monter une femme au septième ciel… Enfin…

Son regard le scrute de haut en bas.

— L’expérience te donnera toutes les qualités qu’il te faut… en temps et en heure.

Tandis que le garçon a l’air aussi paumé que possible, Cael l’incite à bouger en posant déjà pour un selfie intime et débordant de fausse modestie. Il profite de l’inattention passagère de son interlocuteur pour se tourner vers moi et m’interroger du regard, me permettant de lire sur ses lèvres : « Tu lui as demandé sa carte d’identité avant de le dépuceler ? »

Faisant comme si je sortais un tube de rouge à lèvres de ma poche, je lui offre mon magnifique majeur tout en le passant sur mes lèvres nues.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu as mal quelque part ? Dis-moi quelque chose, Mabel. Je n’ai pas entendu mon téléphone, je te jure. C’est…

— Embrasse-moi.

Cet homme que je côtoie depuis quatre années est passé de mon patron loufoque à mon meilleur ami puis à mon compagnon. Il m’a redonné confiance en moi quand ma vie consistait à récurer des toilettes, manger et dormir. Il a accepté mon fort caractère pour m’épauler, m’a donné des responsabilités et m’a incitée à croire à nouveau en mon rêve. Il m’a fait aimer le mot « famille » et maintenant, il me comble de sa chaleur, de son optimisme, de sa folie.

Le chien fou et excentrique qu’on peut voir dans les clips, dans les interviews, en concert, c’est une partie de lui, la plus libérée, celle qui lui sert à cacher le reste.

Si je n’étais pas sous le choc et en proie aux cajoleries d’une vieille femme tout en rides, une nuée de doigts d’honneur se serait abattue sur cet homme.

Est-ce que, vraiment, j’ai envie de tendre le bâton pour me faire battre ? C’est ironique, cela fait des mois, voire des années, que je distribue pelles et marteaux pour qu’on m’en colle une avec.

- Enfin ! Enfin, tu nous ramènes cette charmante créature !

Un gloussement se bloque dans ma gorge. J'ai perdu tout mon sale caractère en un claquement de doigts. Peu de personnes ont cet effet sur moi. Seul mon père, d'ailleurs, avait assez de magie en lui pour attendrir mon cœur de pierre. Maintenant, je peux ajouter quelqu'un d'autre sur ma liste.

- Enchantée, bredouillé-je alors qu'elle s'approche de moi.

Du coin de l'œil, je vois Cael, les poings sur ses hanches, les yeux papillonants. Il est livide.

Quelque chose cloche.

Sa mère s'approche et prend ma main. Moi qui déteste le contact peau contre peau, je n'ai pas le courage de le lui dire.

- Mabel..., souffle-t-elle, des paillettes dans la voix. Je suis plus qu'heureuse de te recevoir chez nous. Après tout, Cornish Castle est un lieu familial et tu fais partie de la famille !

Pardon ? Mes paumes deviennent tout à coup moites. Mon patron se pince les lèvres, tout en faisant un pas de côté, refusant de regarder dans notre direction.

- Un an et demi que vous êtes ensemble et enfin, je peux te souhaiter la bienvenue parmi nous !