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Chapitre 1 :

Tandis que je montais et baissais la vitre de la nouvelle voiture de ma mère, je pensais à ce que me réservait l’année infernale que j’avais devant moi. Je ne comprenais toujours pas comment nous en étions arrivées là, à quitter notre maison pour traverser tout le pays jusqu’en Californie. Il y a trois mois, j’avais reçu la nouvelle, celle qui allait bouleverser ma vie, celle qui me donnait envie de pleurer la nuit, celle qui me faisait supplier et protester comme une gamine de dix ans.

Mais que pouvais-je faire ? Il me restait encore onze mois, trois semaines et deux jours avant d’avoir dix-huit ans pour pouvoir me barrer à l’université, loin de parents qui ne pensaient qu’à eux-mêmes, loin de ces inconnus avec qui j’allais devoir vivre parce que, oui, je devrais désormais partager ma vie avec deux personnes que je ne connaissais absolument pas, deux mecs par-dessus le marché.

— Tu peux arrêter ? C’est agaçant, lança ma mère tout en démarrant.

— Toi aussi, tu fais un tas de choses agaçantes, et je dois bien les supporter !

Le soupir sonore qui s’ensuivit était devenu si habituel qu’il ne me surprit même pas.

Comment pouvait-elle m’obliger à faire ça ? Mes sentiments ne lui importaient donc pas ? « Bien sûr que si », m’avait-elle répondu alors que nous nous éloignions de ma ville chérie. Mes parents s’étaient séparés il y a six ans, et cela s’était mal passé : le divorce avait été traumatisant. Mais j’avais fini par le surmonter… ou, en tout cas, je faisais de mon mieux pour y croire.

J’ai beaucoup de mal à m’adapter aux changements, et me trouver en compagnie d’étrangers me terrorise. Je ne suis pas timide, juste très réservée en ce qui concerne ma vie privée. Alors, l’idée de partager ma vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec deux personnes que je connaissais à peine m’angoissait tellement que j’avais en envie de descendre de voiture pour aller vomir.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu ne veux pas que je reste, lui dis-je. Je ne suis pas une gamine, je sais prendre soin de moi… D’ailleurs, l’année prochaine, je serai à l’université et je vivrai seule… C’est la même chose.

J’essayai de la convaincre pour la énième fois : tout cela n’était que la pure vérité.

— Je ne veux pas rater ta dernière année de lycée, et je veux profiter de ma fille avant qu’elle parte étudier loin de moi. Noah, je te l’ai déjà dit mille fois : je veux que tu fasses partie de cette nouvelle famille, tu es ma fille… Mon Dieu ! Tu crois vraiment que je vais te laisser vivre dans un autre pays, si loin de nous, sans aucun adulte pour s’occuper de toi ? me répondit-elle en agitant la main droite mais sans quitter la route des yeux.

Elle ne comprenait pas à quel point c’était dur pour moi. Pour elle, c’était le début d’une nouvelle vie avec un nouveau mari, mais pour moi ?

— Tu ne comprends pas, maman. Tu réalises que c’est ma dernière année de lycée ? Que c’est là-bas que j’ai toutes mes amies, mon copain, mon travail, mon équipe ? Toute ma vie, maman ! lui criai-je en m’efforçant de retenir mes larmes.

Cette situation me dépassait vraiment. D’habitude je ne pleurais jamais, je répète, jamais, devant personne. Pleurer, c’est pour les faibles, pour ceux qui ne savent pas contrôler leurs émotions. Moi, j’avais eu très tôt mon quota de larmes et j’avais décidé de ne plus jamais en verser une seule.

Dire que cette folie avait commencé par une maudite croisière aux îles Fidji. Je m’en voulais tellement de ne pas être partie avec ma mère. Parce que c’était sur un bateau, au beau milieu du Pacifique Sud, qu’elle avait rencontré l’incroyable William Leister.

Ma mère s’était présentée à la mi-avril avec deux billets pour une croisière. Sa meilleure amie, Alicia, avait eu un accident de voiture dans lequel elle s’était cassé la jambe droite, un bras et deux côtes : elle n’avait donc pas pu partir comme prévu avec son mari et avait offert les billets à ma mère. Mais, quand j’y repense… À la mi-avril, je bossais mes examens de fin d’année et c’était la pleine saison des matchs de volley. Mon équipe avait enfin remporté la première place après être restée une éternité à la deuxième : c’était l’une des plus grandes joies de ma vie. Pourtant, si c’était possible, je rendrais le trophée, je quitterais l’équipe, je préférerais obtenir de sales notes à mes éval pour annuler ce mariage.

Se marier à bord d’un bateau : ma mère était complètement folle ! Et, par-dessus le marché, elle me l’avait tranquillement annoncé à son retour, comme si épouser un mil millionnaire au beau milieu de l’océan était la chose la plus normale au monde… C’était surréaliste. En plus, elle voulait emménager dans une villa en Californie. Ma mère était née au Texas et mon père au Colorado, mais moi, j’étais née au Canada et j’aimais ce pays, c’était tout ce que j’avais toujours connu…

— Ma chérie, je veux ce qu’il y a de mieux pour toi, me dit ma mère, me ramenant à la réalité. Tu sais par quoi je suis passée, par quoi nous sommes passées. Je rencontre enfin un homme gentil qui m’aime et me respecte… Cela fait tellement longtemps que je n’ai pas été aussi heureuse… j’ai besoin de lui et je sais que tu finiras par l’aimer. Et puis, il peut t’offrir un avenir auquel nous n’aurions jamais pu rêver, tu vas pouvoir aller à l’université de ton choix, Noah !

— Mais je m’en fiche ! Et je ne veux pas qu’un inconnu me paie quoi que ce soit.

Je frissonnai à la pensée que, dans un mois, je fréquenterais un lycée plein de gosses de riches.

— Ce n’est pas un inconnu : c’est mon mari, alors tu ferais mieux de te faire à l’idée, répliqua-t-elle d’un ton plus sec.

— Je ne me ferai jamais à l’idée.

Pour couper court à la discussion, je fixai la route. Je n’avais plus envie de lui parler.

Ma mère soupira encore :

— Je sais que tes amis et Dan vont te manquer, Noah, mais prends-le du bon côté, tu vas avoir un frère ! s’exclama-elle, l’air ravi.

— Je t’en prie, ne dis pas n’importe quoi.

— Mais tu vas l’adorer : Nick est un amour. Un garçon sérieux et responsable, qui meurt sûrement d’envie de te présenter à ses amis et de t’emmener visiter la ville. Chaque fois que je l’ai vu, il était enfermé dans sa chambre à étudier ou à lire : vous avez peut-être les mêmes goûts littéraires.

Je levai les yeux au ciel :

— Oui, bien sûr… Il doit adorer Jane Austen. Au fait, tu m’as dit qu’il avait quel âge ?

Je le savais déjà, cela faisait des mois que ma mère n’arrêtait pas de me parler de Will et de lui. Malgré tout, Nick n’avait pas été capable de nous accorder un petit moment pour venir faire notre connaissance…

— Il est un peu plus âgé que toi, mais, comme tu es plus mature que les filles de ton âge, vous allez vous entendre à merveille.

Et maintenant, elle me passait de la pommade… « Ma Mature » : je doutais que ce terme soit vraiment celui qui me définisse le mieux et, de toute façon, il y avait peu de chances qu’un garçon de presque vingt-deux ans meure d’envie de me montrer la ville et de me présenter à ses amis. Comme si, moi, j’en avais envie !

— Nous sommes arrivées, annonça ma mère.

Je tournai les yeux vers les hauts palmiers et les villas monumentales qui longeaient la route. Chacune d’entre elles aurait pu contenir plusieurs pavillons. Il y en avait de style anglais, victorien… mais aussi beaucoup de style moderne avec des parois de verre et d’immenses jardins. Plus nous avancions dans la rue, plus les demeures étaient immenses et plus je paniquais.

Nous arrivâmes enfin à un portail de trois mètres de hauteur et, comme si de rien n’était, ma mère sortit un appareil de la boîte à gants et appuya sur un bouton pour ouvrir les vantaux. Puis elle redémarra et nous avançâmes le long d’un chemin bordé de pins où flottaient des effluves d’air marin.

— La maison n’est pas aussi impressionnante que les autres, mais nous avons la plus belle vue sur la plage, dit-elle avec un grand sourire.

Je me tournai vers elle et l’observai : je ne la reconnaissais pas. Ne voyait-elle donc pas que tout cela était trop grand pour nous ?

Après avoir contourné la fontaine et s’être garée devant le perron qui menait à la porte principale, ma mère coupa le moteur. Mon Dieu !

J’avais l’impression d’être arrivée à l’hôtel le plus luxueux de toute la Californie. Sauf qu’il ne s’agissait pas d’un hôtel, mais de ma future maison… En tout cas, c’est ce que ma mère voulait me faire croire.

La villa était toute blanche, avec de hauts toits couleur sable ; elle avait au moins trois étages, mais il était difficile de s’en assurer tant elle comportait de terrasses, de fenêtres, de… tout. Face à nous se dressait un porche impressionnant aux lumières déjà allumées (il n’était que dix-neuf heures), ce qui donnait à l’édifice un aspect féerique. Le soleil allait bientôt se coucher et le ciel se parait de nuances infinies qui contrastaient avec le blanc immaculé du bâtiment.

À peine étais-je descendue de voiture que William Leister apparut à la porte, suivi par trois hommes déguisés en pingouin.

Le nouveau mari de ma mère n’était pas habillé comme les rares fois où il m’avait fait l’honneur de sa présence. Il avait renoncé au costume et au gilet de marque pour un bermuda blanc, un polo bleu ciel et des tongs. Ses cheveux noirs, d’habitude plaqués en arrière, étaient décoiffés. C’est sûr, je pouvais comprendre ce que ma mère lui trouvait : il était vraiment séduisant, nettement plus grand que ma mère et très bien conservé. L’âge n’avait pas totalement épargné son visage (on distinguait des pattes-d’oie et des rides sur son front), mais ses quelques cheveux blancs lui donnaient l’air mûr et attachant.

Ma mère, telle une collégienne, courut se jeter dans ses bras. Moi, je pris mon temps pour aller chercher mes affaires dans le coffre.

Des mains gantées surgirent alors de nulle part, et j’eus un sursaut de recul.

— Je m’occupe de vos affaires, mademoiselle, me dit l’un des hommes habillés en pingouin.

— Je peux le faire moi-même, merci, lui répondis-je, vraiment mal à l’aise.

L’homme me regarda comme si j’avais perdu la tête.

— Laisse donc Martin t’aider, Noah, intervint William Leister.

Je lâchai ma valise à contrecœur.

— Je suis vraiment heureux de te voir, Noah, poursuivit le mari de ma mère avec un sourire affectueux.

Près de lui, ma mère ne cessait de faire des gestes pour que je me tienne bien, que je sourie ou que je me décide enfin à parler.

— Je ne peux pas en dire autant, répondis-je en lui tendant la main.

J’étais très impolie, je le savais, mais ce n’était que la pure vérité.

Je voulais juste que ma position concernant ce bouleversement dans nos vies soit bien claire.

William n’eut pas l’air de s’en offenser. Il retint ma main plus longtemps que nécessaire, ce qui augmenta ma gêne.

— Je sais que tout ceci est un changement brutal dans ta vie, Noah, mais je veux que tu te sentes chez toi, que tu profites de ce que je peux t’offrir, et surtout que tu puisses m’accepter comme un membre de ta famille… d’ici quelque temps, ajouta-t-il, probablement devant mon air incrédule.

Ma mère me foudroyait de ses yeux bleus.

Je ne pus qu’acquiescer et reculer pour qu’il lâche ma main. Ces marques d’affection m’embarrassaient. Ma mère s’était remariée – tant mieux pour elle – mais cet homme ne serait jamais rien pour moi. Ni un père, ni un beau-père, ni rien qui s’en approche. J’avais déjà un père, et ça me suffisait.

— Et si on te montrait la maison ? proposa William avec un grand sourire, indifférent à mon hostilité.

— Viens, Noah, m’encouragea ma mère.

Elle me prit par le bras, et je n’eus pas d’autre choix que de marcher à ses côtés.

Comme elle était parfaitement éclairée, je ne ratai aucun détail de cette villa trop grande, même pour vingt personnes… alors, pour une famille de quatre ! Les plafonds étaient hauts, avec des poutres de bois. De vastes baies vitrées donnaient sur le jardin. Un grand escalier trônait au centre d’un immense salon et bifurquait vers les deux ailes de l’étage supérieur. Ma mère et son mari me firent visiter la villa dans son intégralité, me montrèrent le salon et la cuisine spacieuse au milieu de laquelle trônait un grand îlot qui devait beaucoup plaire à ma mère. Il y avait aussi un gymnase, une piscine climatisée, des salles pour les fêtes et – ce qui m’impressionna le plus – une grande bibliothèque.

— Ta mère m’a dit que tu aimais beaucoup lire et écrire, dit William.

— Comme des milliers de personnes, oui.

Son ton aimable m’importunait, je ne voulais tout simplement pas qu’il m’adresse la parole.

— Noah, dit ma mère d’un ton de reproche, en plongeant ses yeux dans les miens.

Je n’étais pas sympa, je le savais, mais elle l’avait cherché. À cause d’elle, j’allais passer une année pourrie et je ne pouvais rien y changer.

William ne perdit son sourire à aucun moment, ne semblant pas se rendre compte des regards échangés entre ma mère et moi.

Je soupirai, frustrée et mal à l’aise. C’était si différent, si… démesuré. Serais-je capable de m’habituer à vivre dans un tel endroit ?

J’avais tout à coup besoin d’être seule, besoin de temps pour tout assimiler…

— Je suis fatiguée. Je peux aller voir la pièce qui sera ma chambre ? fis-je d’un ton moins dur.

— Bien sûr. Ta chambre et celle de Nicholas se trouvent dans l’aile droite du deuxième étage. D’ailleurs, désormais, vous partagerez la salle de jeux.

La « salle de jeux », sérieusement ? Je m’efforçai de sourire. J’essayais de ne pas penser que je devrais aussi cohabiter avec le fils de William. Je ne savais de lui que ce que ma mère m’avait raconté, c’est-à-dire qu’il avait vingt et un ans, qu’il étudiait à l’Université de Californie et que c’était un insupportable gosse de riche. Enfin, ce dernier point n’était qu’une déduction personnelle.

J’y pensais encore en montant les escaliers : il me fau faudrait cohabiter avec deux hommes inconnus. Six ans s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’un homme, mon père, avait habité chez nous. Je m’étais habituée à ne vivre qu’entre filles, juste à deux. Notre vie n’avait pas été un long fleuve tranquille et encore moins durant mes onze premières années ; les problèmes avec mon père nous avaient marquées, ma mère et moi.

Après son départ, nous ne nous étions pas laissé abattre, nous avions peu à peu réussi à cohabiter comme deux personnes ordinaires et, au fil du temps, ma mère était devenue l’une de mes meilleures amies. Elle me donnait la liberté que je voulais, justement parce qu’on se faisait mutuellement confiance… en tout cas, jusqu’à ce qu’elle décide de foutre ma vie en l’air.

Ma mère s’arrêta devant une porte de bois sombre.

— Voilà ta chambre, fit-elle.

Je les observai, William et elle, plantés devant la porte, ils avaient l’air de vouloir m’annoncer quelque chose.

— Cette chambre est mon cadeau pour toi, Noah, déclara enfin ma mère, les yeux brillants.

Lorsqu’elle s’écarta, j’ouvris la porte sans hâte, redoutant ce que j’allais découvrir.

La première chose captée par mes sens fut la délicieuse odeur de mer et de coquillages. Mes yeux se posèrent ensuite sur une paroi de verre qui se trouvait face à la porte. La vue était spectaculaire, et j’en restai sans voix. De là où je me tenais, on voyait l’océan. La maison était sûrement bâtie sur une falaise, parce que je ne voyais que la mer et un coucher de soleil resplendissant. C’était hallucinant.

— Mon Dieu !

Je répétai encore une fois ce qui était devenu mon expression préférée. Mes yeux parcoururent l’immense chambre. Contre la paroi de gauche se trouvait un lit à baldaquin recouvert de coussins blancs assortis à la couleur des murs peints d’un agréable ton bleu pastel. Les meubles, dont un bureau avec un Mac géant, un ravissant canapé, une coiffeuse avec miroir et une grande bibliothèque où se trouvaient déjà tous mes livres, étaient bleus et blancs. Le parquet était recouvert d’un tapis blanc si épais que j’aurais pu dormir dessus. C’était la chambre la plus belle que j’aie jamais vue de ma vie.

J’étais troublée. Tout cela était pour moi ?

— Ça te plaît ? me demanda ma mère.

— C’est incroyable… merci.

Je me sentais à la fois reconnaissante et gênée. Je ne voulais pas qu’on m’achète de telles choses, je n’en avais pas besoin.

— J’ai travaillé avec une décoratrice professionnelle… Je voulais que tu aies tout ce que tu as toujours désiré et que moi, je n’ai jamais pu te donner, ajouta-t-elle, émue.

Je ne pouvais pas m’en plaindre… Une telle chambre est le rêve de n’importe quelle adolescente.

Je m’approchai d’elle pour la serrer dans mes bras. Cela faisait au moins trois mois que je ne m’étais pas sentie aussi proche de ma mère, et je savais que c’était important pour elle.

— Merci, Noah, me dit-elle au creux de l’oreille pour que je sois la seule à l’entendre. Je te jure que je vais faire tout mon possible pour que nous soyons heureuses ici, toutes les deux.

— Ça va aller, maman, lui répondis-je, tout en sachant que cela n’était pas en son pouvoir.

Ma mère me lâcha, essuya les larmes qui avaient glissé sur sa joue et se plaça près de son nouveau mari.

— On te laisse t’installer, dit aimablement William.

J’acquiesçai sans éprouver la moindre gratitude à son égard. Ce qui se trouvait dans cette chambre ne supposait aucun effort pour lui : ce n’était que de l’argent.

Je refermai la porte et je remarquai qu’il n’y avait pas de verrou.

Je jetai enfin un coup d’œil à la salle de bains. Elle était aussi grande que mon ancienne chambre, avec une douche hydromassante, une baignoire et deux lavabos. J’allai me pencher à la fenêtre. Elle donnait sur les fleurs et les palmiers du jardin à l’arrière de la maison, et sur l’immense piscine.

C’est en sortant de la salle de bains que je remarquai la petite ouverture dans le mur d’en face. Oh, mon Dieu…

Je traversai la chambre pour entrer dans un dressing rempli de vêtements à étrenner qui devait être le rêve de toute fille de mon âge. D’abord, le souffle coupé, je passai les mains sur ces fabuleux vêtements. Les étiquettes y étaient encore accrochées : ils étaient hors de prix. Ma mère, ou qui que ce soit l’ayant convaincu de dépenser tout cet argent, avait perdu la raison.

J’éprouvais une sensation étrange, comme si rien de tout cela n’était réel, comme si j’allais bientôt me réveiller dans mon ancienne chambre avec mon lit une place et mes fringues ordinaires. Le pire, c’est que je le souhaitais de toutes mes forces, parce que cette vie n’était pas la mienne et que je n’en voulais pas… Mon estomac se noua avec une telle intensité que je m’effondrai sur le sol. Angoissée, la tête sur les genoux, je respirai à fond jusqu’à ce que passe l’envie de pleurer.

Comme si elle lisait dans mes pensées, mon amie Beth m’envoya un message juste à ce moment-là :

› Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.

En souriant, j’envoyai à Beth une photo de l’intérieur du dressing. Une seconde plus tard, je reçus cinq émoticones avec la bouche ouverte :

› Je te déteste ! Tu le savais ?

J’éclatai de rire puis lui répondis :

› Si c’était possible, je t’offrirais tout ça. En fait, je donnerais n’importe quoi pour être avec vous, chez Dan en train de voir un film ou de discuter sur ton canapé dégueu.

› Ne sois pas aussi négative, profites-en, putain. Tu es riche maintenant !

Non, tout cet argent n’était pas à moi, mais à William.

Je posai mon téléphone et commençai à défaire mes valises. J’en sortis un short et un T-shirt simple. Je ne voulais pas changer ma manière d’être, il était hors de question que je commence à porter des polos de marque.

Je pris une douche, nécessaire après ce long voyage. Heureusement, je n’avais pas besoin d’un temps fou pour être présentable, j’avais hérité des cheveux ondulés de ma mère qu’un simple séchage suffit à coiffer. Une fois habillée, je décidai de faire un tour dans la maison.

J’éprouvais une sensation bizarre à marcher seule à travers les pièces… je m’y sentais comme une intruse. Ce serait long de m’habituer à vivre ici, au luxe et à l’immensité. Dans notre ancien appartement, on s’entendait d’une pièce à l’autre ; ici, c’était complètement impossible.

Je pris la direction de la cuisine en priant pour ne pas me perdre. Je mourais de faim, j’avais besoin de toute urgence d’un hamburger ou d’un petit truc à grignoter.

Malheureusement, en arrivant dans la cuisine, je vis que je n’étais pas seule.

Quelqu’un était en train de fouiller dans le frigo, quelqu’un dont je ne pouvais voir que le sommet du crâne orné de cheveux bruns. À l’instant précis où je m’apprêtais à ouvrir la bouche, un aboiement assourdissant me fit pousser un cri strident, comme l’aurait fait une petite fille.

Je me tournai en sursaut, juste au moment où la tête émergeait de derrière la porte du frigo pour voir qui hurlait de la sorte.

Un chien noir se tenait contre l’îlot, au milieu de la cuisine ; il était magnifique, mais ses yeux semblaient vouloir me dévorer. Un labrador, peut-être, je n’en étais pas absolu ans pour pouvoir me barrer à l’université, loin de parents qui ne pensaient qu’à eux-mêmes, loin de ces inconnus avec qui j’allais devoir vivre parce que, oui, je devrais désormais partager ma vie avec deux personnes que je ne connaissais absolument pas, deux mecs par-dessus le marché.

— Tu peux arrêter ? C’est agaçant, lança ma mère tout en démarrant.

— Toi aussi, tu fais un tas de choses agaçantes, et je dois bien les supporter !

Le soupir sonore qui s’ensuivit était devenu si habituel qu’il ne me surprit même pas.

Comment pouvait-elle m’obliger à faire ça ? Mes sentiments ne lui importaient donc pas ? « Bien sûr que si », m’avait-elle répondu alors que nous nous éloignions de ma ville chérie. Mes parents s’étaient séparés il y a six ans, et cela s’était mal passé : le divorce avait été traumatisant. Mais j’avais fini par le surmonter… ou, en tout cas, je faisais de mon mieux pour y croire.

J’ai beaucoup de mal à m’adapter aux changements, et me trouver en compagnie d’étrangers me terrorise. Je ne suis pas timide, juste très réservée en ce qui concerne ma vie privée. Alors, l’idée de partager ma vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec deux personnes que je connaissais à peine m’angoissait tellement que j’avais envie de descendre de voiture pour aller vomir.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu ne veux pas que je reste, lui dis-je. Je ne suis pas une gamine, je sais prendre soin de moi… D’ailleurs, l’année prochaine, je serai à l’université et je vivrai seule… C’est la même chose.

J’essayai de la convaincre pour la énième fois : tout cela n’était que la pure vérité.

— Je ne veux pas rater ta dernière année de lycée, et je veux profiter de ma fille avant qu’elle parte étudier loin de moi. Noah, je te l’ai déjà dit mille fois : je veux que tu fasses partie de cette nouvelle famille, tu es ma fille… Mon Dieu ! Tu crois vraiment que je vais te laisser vivre dans un autre pays, si loin de nous, sans aucun adulte pour s’occuper de toi ? me répondit-elle en agitant la main droite mais sans quitter la route des yeux.

Elle ne comprenait pas à quel point c’était dur pour moi. Pour elle, c’était le début d’une nouvelle vie avec un nouveau mari, mais pour moi ?

— Tu ne comprends pas, maman. Tu réalises que c’est ma dernière année de lycée ? Que c’est là-bas que j’ai toutes mes amies, mon copain, mon travail, mon équipe ? Toute ma vie, maman ! lui criai-je en m’efforçant de retenir mes larmes.

Cette situation me dépassait vraiment. D’habitude je ne pleurais jamais, je répète, jamais, devant personne. Pleurer, c’est pour les faibles, pour ceux qui ne savent pas contrôler leurs émotions. Moi, j’avais eu très tôt mon quota de larmes et j’avais décidé de ne plus jamais en verser une seule.

Dire que cette folie avait commencé par une maudite croisière aux îles Fidji. Je m’en voulais tellement de ne pas être partie avec ma mère. Parce que c’était sur un bateau, au beau milieu du Pacifique Sud, qu’elle avait rencontré l’incroyable William Leister.

Ma mère s’était présentée à la mi-avril avec deux billets pour une croisière. Sa meilleure amie, Alicia, avait eu un accident de voiture dans lequel elle s’était cassé la jambe droite, un bras et deux côtes : elle n’avait donc pas pu partir comme prévu avec son mari et avait offert les billets à ma mère. Mais, quand j’y repense… À la mi-avril, je bossais mes examens de fin d’année et c’était la pleine saison des matchs de volley. Mon équipe avait enfin remporté la première place après être restée une éternité à la deuxième : c’était l’une des plus grandes joies de ma vie. Pourtant, si c’était possible, je rendrais le trophée, je quitterais l’équipe, je préférerais obtenir de sales notes à mes éval pour annuler ce mariage.

Se marier à bord d’un bateau : ma mère était complètement folle ! Et, par-dessus le marché, elle me l’avait tranquillement annoncé à son retour, comme si épouser un millionnaire au beau milieu de l’océan était la chose la plus normale au monde… C’était surréaliste. En plus, elle voulait emménager dans une villa en Californie. Ma mère était née au Texas et mon père au Colorado, mais moi, j’étais née au Canada et j’aimais ce pays, c’était tout ce que j’avais toujours connu…

— Ma chérie, je veux ce qu’il y a de mieux pour toi, me dit ma mère, me ramenant à la réalité. Tu sais par quoi je suis passée, par quoi nous sommes passées. Je rencontre enfin un homme gentil qui m’aime et me respecte… Cela fait tellement longtemps que je n’ai pas été aussi heureuse… j’ai besoin de lui et je sais que tu finiras par l’aimer. Et puis, il peut t’offrir un avenir auquel nous n’aurions jamais pu rêver, tu vas pouvoir aller à l’université de ton choix, Noah !

— Mais je m’en fiche ! Et je ne veux pas qu’un inconnu me paie quoi que ce soit.

Je frissonnai à la pensée que, dans un mois, je fréquenterais un lycée plein de gosses de riches.

— Ce n’est pas un inconnu : c’est mon mari, alors tu ferais mieux de te faire à l’idée, répliqua-t-elle d’un ton plus sec.

— Je ne me ferai jamais à l’idée.

Pour couper court à la discussion, je fixai la route. Je n’avais plus envie de lui parler.

Ma mère soupira encore :

— Je sais que tes amis et Dan vont te manquer, Noah, mais prends-le du bon côté, tu vas avoir un frère ! s’exclama-elle, l’air ravi.

— Je t’en prie, ne dis pas n’importe quoi.

— Mais tu vas l’adorer : Nick est un amour. Un garçon sérieux et responsable, qui meurt sûrement d’envie de te présenter à ses amis et de t’emmener visiter la ville. Chaque fois que je l’ai vu, il était enfermé dans sa chambre à étudier ou à lire : vous avez peut-être les mêmes goûts littéraires.

Je levai les yeux au ciel :

— Oui, bien sûr… Il doit adorer Jane Austen. Au fait, tu m’as dit qu’il avait quel âge ?

Je le savais déjà, cela faisait des mois que ma mère n’arrêtait pas de me parler de Will et de lui. Malgré tout, Nick n’avait pas été capable de nous accorder un petit moment pour venir faire notre connaissance…

— Il est un peu plus âgé que toi, mais, comme tu es plus mature que les filles de ton âge, vous allez vous entendre à merveille.

Et maintenant, elle me passait de la pommade… « Mature » : je doutais que ce terme soit vraiment celui qui me définisse le mieux et, de toute façon, il y avait peu de chances qu’un garçon de presque vingt-deux ans meure d’envie de me montrer la ville et de me présenter à ses amis. Comme si, moi, j’en avais envie !

— Nous sommes arrivées, annonça ma mère.

Je tournai les yeux vers les hauts palmiers et les villas monumentales qui longeaient la route. Chacune d’entre elles aurait pu contenir plusieurs pavillons. Il y en avait de style anglais, victorien… mais aussi beaucoup de style moderne avec des parois de verre et d’immenses jardins. Plus nous avancions dans la rue, plus les demeures étaient immenses et plus je paniquais.

Nous arrivâmes enfin à un portail de trois mètres de hauteur et, comme si de rien n’était, ma mère sortit un appareil de la boîte à gants et appuya sur un bouton pour ouvrir les vantaux. Puis elle redémarra et nous avançâmes le long d’un chemin bordé de pins où flottaient des effluves d’air marin.

— La maison n’est pas aussi impressionnante que les autres, mais nous avons la plus belle vue sur la plage, dit-elle avec un grand sourire.

Je me tournai vers elle et l’observai : je ne la reconnaissais pas. Ne voyait-elle donc pas que tout cela était trop grand pour nous ?

Après avoir contourné la fontaine et s’être garée devant le perron qui menait à la porte principale, ma mère coupa le moteur. Mon Dieu !

J’avais l’impression d’être arrivée à l’hôtel le plus luxueux de toute la Californie. Sauf qu’il ne s’agissait pas d’un hôtel, mais de ma future maison… En tout cas, c’est ce que ma mère voulait me faire croire.

La villa était toute blanche, avec de hauts toits couleur sable ; elle avait au moins trois étages, mais il était difficile de s’en assurer tant elle comportait de terrasses, de fenêtres, de… tout. Face à nous se dressait un porche impressionnant aux lumières déjà allumées (il n’était que dix-neuf heures), ce qui donnait à l’édifice un aspect féerique. Le soleil allait bientôt se coucher et le ciel se parait de nuances infinies qui contrastaient avec le blanc immaculé du bâtiment.

À peine étais-je descendue de voiture que William Leister apparut à la porte, suivi par trois hommes déguisés en pingouin.

Le nouveau mari de ma mère n’était pas habillé comme les rares fois où il m’avait fait l’honneur de sa présence. Il avait renoncé au costume et au gilet de marque pour un bermuda blanc, un polo bleu ciel et des tongs. Ses cheveux noirs, d’habitude plaqués en arrière, étaient décoiffés. C’est sûr, je pouvais comprendre ce que ma mère lui trouvait : il était vraiment séduisant, nettement plus grand que ma mère et très bien conservé. L’âge n’avait pas totalement épargné son visage (on distinguait des pattes-d’oie et des rides sur son front), mais ses quelques cheveux blancs lui donnaient l’air mûr et attachant.

Ma mère, telle une collégienne, courut se jeter dans ses bras. Moi, je pris mon temps pour aller chercher mes affaires dans le coffre.

Des mains gantées surgirent alors de nulle part, et j’eus un sursaut de recul.

— Je m’occupe de vos affaires, mademoiselle, me dit l’un des hommes habillés en pingouin.

— Je peux le faire moi-même, merci, lui répondis-je, vraiment mal à l’aise.

L’homme me regarda comme si j’avais perdu la tête.

— Laisse donc Martin t’aider, Noah, intervint William Leister.

Je lâchai ma valise à contrecœur.

— Je suis vraiment heureux de te voir, Noah, poursuivit le mari de ma mère avec un sourire affectueux.

Près de lui, ma mère ne cessait de faire des gestes pour que je me tienne bien, que je sourie ou que je me décide enfin à parler.

— Je ne peux pas en dire autant, répondis-je en lui tendant la main.

J’étais très impolie, je le savais, mais ce n’était que la pure vérité.

Je voulais juste que ma position concernant ce bouleversement dans nos vies soit bien claire.

William n’eut pas l’air de s’en offenser. Il retint ma main plus longtemps que nécessaire, ce qui augmenta ma gêne.

— Je sais que tout ceci est un changement brutal dans ta vie, Noah, mais je veux que tu te sentes chez toi, que tu profites de ce que je peux t’offrir, et surtout que tu puisses m’accepter comme un membre de ta famille… d’ici quelque temps, ajouta-t-il, probablement devant mon air incrédule.

Ma mère me foudroyait de ses yeux bleus.

Je ne pus qu’acquiescer et reculer pour qu’il lâche ma main. Ces marques d’affection m’embarrassaient. Ma mère s’était remariée – tant mieux pour elle – mais cet homme ne serait jamais rien pour moi. Ni un père, ni un beau-père, ni rien qui s’en approche. J’avais déjà un père, et ça me suffisait.

— Et si on te montrait la maison ? proposa William avec un grand sourire, indifférent à mon hostilité.

— Viens, Noah, m’encouragea ma mère.

Elle me prit par le bras, et je n’eus pas d’autre choix que de marcher à ses côtés.

Comme elle était parfaitement éclairée, je ne ratai aucun détail de cette villa trop grande, même pour vingt personnes… alors, pour une famille de quatre ! Les plafonds étaient hauts, avec des poutres de bois. De vastes baies vitrées donnaient sur le jardin. Un grand escalier trônait au centre d’un immense salon et bifurquait vers les deux ailes de l’étage supérieur. Ma mère et son mari me firent visiter la villa dans son intégralité, me montrèrent le salon et la cuisine spacieuse au milieu de laquelle trônait un grand îlot qui devait beaucoup plaire à ma mère. Il y avait aussi un gymnase, une piscine climatisée, des salles pour les fêtes et – ce qui m’impressionna le plus – une grande bibliothèque.

— Ta mère m’a dit que tu aimais beaucoup lire et écrire, dit William.

— Comme des milliers de personnes, oui.

Son ton aimable m’importunait, je ne voulais tout simplement pas qu’il m’adresse la parole.

— Noah, dit ma mère d’un ton de reproche, en plongeant ses yeux dans les miens.

Je n’étais pas sympa, je le savais, mais elle l’avait cherché. À cause d’elle, j’allais passer une année pourrie et je ne pouvais rien y changer.

William ne perdit son sourire à aucun moment, ne semblant pas se rendre compte des regards échangés entre ma mère et moi.

Je soupirai, frustrée et mal à l’aise. C’était si différent, si… démesuré. Serais-je capable de m’habituer à vivre dans un tel endroit ?

J’avais tout à coup besoin d’être seule, besoin de temps pour tout assimiler…

— Je suis fatiguée. Je peux aller voir la pièce qui sera ma chambre ? fis-je d’un ton moins dur.

— Bien sûr. Ta chambre et celle de Nicholas se trouvent dans l’aile droite du deuxième étage. D’ailleurs, désormais, vous partagerez la salle de jeux.

La « salle de jeux », sérieusement ? Je m’efforçai de sourire. J’essayais de ne pas penser que je devrais aussi cohabiter avec le fils de William. Je ne savais de lui que ce que ma mère m’avait raconté, c’est-à-dire qu’il avait vingt et un ans, qu’il étudiait à l’Université de Californie et que c’était un insupportable gosse de riche. Enfin, ce dernier point n’était qu’une déduction personnelle.

J’y pensais encore en montant les escaliers : il me faudrait cohabiter avec deux hommes inconnus. Six ans s’étaient écoulés depuis la dernière fois qu’un homme, mon père, avait habité chez nous. Je m’étais habituée à ne vivre qu’entre filles, juste à deux. Notre vie n’avait pas été un long fleuve tranquille et encore moins durant mes onze premières années ; les problèmes avec mon père nous avaient marquées, ma mère et moi.

Après son départ, nous ne nous étions pas laissé abattre, nous avions peu à peu réussi à cohabiter comme deux personnes ordinaires et, au fil du temps, ma mère était devenue l’une de mes meilleures amies. Elle me donnait la liberté que je voulais, justement parce qu’on se faisait mutuellement confiance… en tout cas, jusqu’à ce qu’elle décide de foutre ma vie en l’air.

Ma mère s’arrêta devant une porte de bois sombre.

— Voilà ta chambre, fit-elle.

Je les observai, William et elle, plantés devant la porte, ils avaient l’air de vouloir m’annoncer quelque chose.

— Cette chambre est mon cadeau pour toi, Noah, déclara enfin ma mère, les yeux brillants.

Lorsqu’elle s’écarta, j’ouvris la porte sans hâte, redoutant ce que j’allais découvrir.

La première chose captée par mes sens fut la délicieuse odeur de mer et de coquillages. Mes yeux se posèrent ensuite sur une paroi de verre qui se trouvait face à la porte. La vue était spectaculaire, et j’en restai sans voix. De là où je me tenais, on voyait l’océan. La maison était sûrement bâtie sur une falaise, parce que je ne voyais que la mer et un coucher de soleil resplendissant. C’était hallucinant.

— Mon Dieu !

Je répétai encore une fois ce qui était devenu mon expression préférée. Mes yeux parcoururent l’immense chambre. Contre la paroi de gauche se trouvait un lit à baldaquin recouvert de coussins blancs assortis à la couleur des murs peints d’un agréable ton bleu pastel. Les meubles, dont un bureau avec un Mac géant, un ravissant canapé, une coiffeuse avec miroir et une grande bibliothèque où se trouvaient déjà tous mes livres, étaient bleus et blancs. Le parquet était recouvert d’un tapis blanc si épais que j’aurais pu dormir dessus. C’était la chambre la plus belle que j’aie jamais vue de ma vie.

J’étais troublée. Tout cela était pour moi ?

— Ça te plaît ? me demanda ma mère.

— C’est incroyable… merci.

Je me sentais à la fois reconnaissante et gênée. Je ne voulais pas qu’on m’achète de telles choses, je n’en avais pas besoin.

— J’ai travaillé avec une décoratrice professionnelle… Je voulais que tu aies tout ce que tu as toujours désiré et que moi, je n’ai jamais pu te donner, ajouta-t-elle, émue.

Je ne pouvais pas m’en plaindre… Une telle chambre est le rêve de n’importe quelle adolescente.

Je m’approchai d’elle pour la serrer dans mes bras. Cela faisait au moins trois mois que je ne m’étais pas sentie aussi proche de ma mère, et je savais que c’était important pour elle.

— Merci, Noah, me dit-elle au creux de l’oreille pour que je sois la seule à l’entendre. Je te jure que je vais faire tout mon possible pour que nous soyons heureuses ici, toutes les deux.

— Ça va aller, maman, lui répondis-je, tout en sachant que cela n’était pas en son pouvoir.

Ma mère me lâcha, essuya les larmes qui avaient glissé sur sa joue et se plaça près de son nouveau mari.

— On te laisse t’installer, dit aimablement William.

J’acquiesçai sans éprouver la moindre gratitude à son égard. Ce qui se trouvait dans cette chambre ne supposait aucun effort pour lui : ce n’était que de l’argent.

Je refermai la porte et je remarquai qu’il n’y avait pas de verrou.

Je jetai enfin un coup d’œil à la salle de bains. Elle était aussi grande que mon ancienne chambre, avec une douche hydromassante, une baignoire et deux lavabos. J’allai me pencher à la fenêtre. Elle donnait sur les fleurs et les palmiers du jardin à l’arrière de la maison, et sur l’immense piscine.

C’est en sortant de la salle de bains que je remarquai la petite ouverture dans le mur d’en face. Oh, mon Dieu…

Je traversai la chambre pour entrer dans un dressing rempli de vêtements à étrenner qui devait être le rêve de toute fille de mon âge. D’abord, le souffle coupé, je passai les mains sur ces fabuleux vêtements. Les étiquettes y étaient encore accrochées : ils étaient hors de prix. Ma mère, ou qui que ce soit l’ayant convaincu de dépenser tout cet argent, avait perdu la raison.

J’éprouvais une sensation étrange, comme si rien de tout cela n’était réel, comme si j’allais bientôt me réveiller dans mon ancienne chambre avec mon lit une place et mes fringues ordinaires. Le pire, c’est que je le souhaitais de toutes mes forces, parce que cette vie n’était pas la mienne et que je n’en voulais pas… Mon estomac se noua avec une telle intensité que je m’effondrai sur le sol. Angoissée, la tête sur les genoux, je respirai à fond jusqu’à ce que passe l’envie de pleurer.

Comme si elle lisait dans mes pensées, mon amie Beth m’envoya un message juste à ce moment-là :

› Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.

En souriant, j’envoyai à Beth une photo de l’intérieur du dressing. Une seconde plus tard, je reçus cinq émoticones avec la bouche ouverte :

› Je te déteste ! Tu le savais ?

J’éclatai de rire puis lui répondis :

› Si c’était possible, je t’offrirais tout ça. En fait, je donnerais n’importe quoi pour être avec vous, chez Dan en train de voir un film ou de discuter sur ton canapé dégueu.

› Ne sois pas aussi négative, profites-en, putain. Tu es riche maintenant !

Non, tout cet argent n’était pas à moi, mais à William.

Je posai mon téléphone et commençai à défaire mes valises. J’en sortis un short et un T-shirt simple. Je ne voulais pas changer ma manière d’être, il était hors de question que je commence à porter des polos de marque.

Je pris une douche, nécessaire après ce long voyage. Heureusement, je n’avais pas besoin d’un temps fou pour être présentable, j’avais hérité des cheveux ondulés de ma mère qu’un simple séchage suffit à coiffer. Une fois habillée, je décidai de faire un tour dans la maison.

J’éprouvais une sensation bizarre à marcher seule à travers les pièces… je m’y sentais comme une intruse. Ce serait long de m’habituer à vivre ici, au luxe et à l’immensité. Dans notre ancien appartement, on s’entendait d’une pièce à l’autre ; ici, c’était complètement impossible.

Je pris la direction de la cuisine en priant pour ne pas me perdre. Je mourais de faim, j’avais besoin de toute urgence d’un hamburger ou d’un petit truc à grignoter.

Malheureusement, en arrivant dans la cuisine, je vis que je n’étais pas seule.

Quelqu’un était en train de fouiller dans le frigo, quelqu’un dont je ne pouvais voir que le sommet du crâne orné de cheveux bruns. À l’instant précis où je m’apprêtais à ouvrir la bouche, un aboiement assourdissant me fit pousser un cri strident, comme l’aurait fait une petite fille.

Je me tournai en sursaut, juste au moment où la tête émergeait de derrière la porte du frigo pour voir qui hurlait de la sorte.

Un chien noir se tenait contre l’îlot, au milieu de la cuisine ; il était magnifique, mais ses yeux semblaient vouloir me dévorer. Un labrador, peut-être, je n’en étais pas absolument sûre. Mes yeux allèrent du chien au garçon qui se tenait près de lui.

À la fois surprise et curieuse, j’examinai celui qui était sûrement le fils de William, Nicholas Leister. La première chose qui me vint à l’esprit en le voyant fut : « Quels yeux ! » D’un bleu azur, aussi clairs que les murs de ma chambre, ils contrastaient de manière incroyable avec le noir de jais de ses cheveux décoiffés et humides de sueur. Il venait apparemment de faire du sport, parce qu’il portait un legging et un débardeur. Il était beau, j’étais bien obligée de l’admettre ! Mais je n’oubliais pas qu’il s’agissait de mon nouveau « frère », la personne avec qui j’allais cohabiter durant un an, ce qui, je le pressentais, serait une véritable torture. Et son chien continuait de montrer les dents comme s’il devinait mes pensées.

— Tu es Nicholas, n’est-ce pas ?

J’essayai de contrôler la peur que me causait cette sale bête, toujours en train de grogner. Je fus surprise et furieuse de voir mon « frère » tourner le regard vers son chien et sourire.

— Lui-même, fit-il. (Son regard revint se poser sur moi.) Toi, tu dois être la fille de la nouvelle femme de mon père, commenta-t-il.

Je n’arrivais pas à croire qu’il l’ait dit d’un ton aussi froid.

— C’est quoi, déjà, ton nom… ?

J’écarquillai les yeux, complètement sidérée. Il ne connaissait pas mon prénom ? Nos parents s’étaient mariés, ma mère et moi avions emménagé ici, et il ne savait même pas comment je m’appelais ?

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