Extraits

On cogna à la vitre de manière péremptoire. Quand Agatha l’abaissa, elle tomba nez à nez avec l’inspecteur Bill Wong, qui la fixait d’un air réprobateur.

– Vous, vous ne perdez rien pour attendre, dit-il. Mr Craven, je vous prie de me suivre. Nous devons recueillir votre déposition. Et Mrs Raisin, veuillez déplacer votre véhicule au-delà de la zone délimitée par la police.

Bill doit être vraiment furieux pour m’appeler Mrs Raisin, songea Agatha. Le jeune inspecteur était le premier ami qu’elle s’était fait à son arrivée dans les Cotswolds.

Elle décida de rentrer chez elle et d’attendre le lendemain pour avoir des nouvelles. Quoi qu’il ait pu arriver à Bert, il serait trop tôt pour que les journaux en parlent, mais il y aurait peut-être quelque chose à la télévision. À moins qu’il ne s’agisse d’un simple accident – auquel cas il n’y aurait rien nulle part.

La nouvelle allait lui parvenir par un biais inattendu.

Très séduisant, songea-t-elle en regardant la haute silhouette s’enfoncer dans le brouillard. Eh bien, bonjour les hormones ! Et moi qui vous croyais mortes !

Le lendemain tombait un dimanche. Agatha envisagea – chose exceptionnelle – de se rendre à l’église pour le service du matin. Avant de se raviser, de se retourner dans son lit et de se rendormir.

Elle ne se réveilla qu’à midi. Elle se leva, s’habilla et descendit nourrir ses chats Hodge et Boswell. Puis elle les fit sortir dans le jardin. Il soufflait un vent glacial. Sur le seuil, les deux félins se tournèrent vers elle et la fixèrent.

– Ouste ! les pressa Agatha. Vous avez vos manteaux de fourrure, non ?

Elle appuya sur la sonnette et patienta. Elle s’attendait à voir une vieille dame. Or ce fut une blonde avec une poitrine énorme qui vint lui ouvrir la porte. À voir ses seins si rehaussés que sa tête semblait se cacher derrière, Agatha songea que son soutien-gorge avait dû réussir en force tous les tests de résistance industrielle.

Un pâle soleil d’hiver jetait ses maigres rayons par la porte ouverte. Dehors, dans la cour, les poules picoraient avec des gloussements évocateurs qui n’étaient pas sans rappeler un grincement de grilles. Harry avait paré le sabot et s’apprêtait à le ferrer. Je me demande ce que ça fait, s’interrogea Agatha, d’exercer un travail manuel et de ne jamais avoir à se triturer les méninges pour savoir qui a tué qui.

La silhouette de Mrs Crosswith se détacha dans la pénombre. Elle s’était débarrassée de son manteau et portait un tablier taillé dans un vieux sac de jute. Depuis sa tignasse embroussaillée jusqu’à ses souliers usés jusqu’à la corde, elle était la parfaite illustration de la misère rurale telle qu’on la voit sur les photos des années 1940. On devinait, sous son visage fané, la jolie femme qu’elle avait dû être. Sur sa joue, un bleu qui virait au violet.

– Votre mari vous bat ? demanda Agatha sans réfléchir.

Ce crime m’a l’air lié au sexe et à la jalousie. S’il avait été commis dans un accès de rage meurtrière, ce serait différent. Or l’assassin n’a pas seulement prémédité de tuer Bert, mais aussi de détruire sa virilité.

Elle entra dans son cottage. Hodge et Boswell, ses chats, s’enroulèrent autour de ses chevilles, manquant de la faire trébucher. Elle leur prépara leur repas habituel, du poisson frais ; et pour elle, se fit réchauffer au micro-ondes un curry de poulet.

Le lendemain, les Cotswolds étaient recouverts d’une épaisse couche de neige immaculée à l’heure où Agatha se mit en route avec l’espoir que ses pneus d’hiver accrocheraient bien la route. Dans le ciel brillait le disque blanc du soleil. A chaque coin de rue, des scènes dignes d’une carte de vœux. Tant d’innocence émerveillait Agatha. Et c’était pourtant dans ce décor que quelqu’un avait été pris d’une pulsion meurtrière et avait tué Bert Simple d’une manière effroyablement brutale.

Pourquoi la police tenait-elle à vous revoir ?

– Oh, à cause de cette vieille histoire comme quoi j’ai voulu épouser Gwen. Si son mari avait soupçonné quoi que ce soit entre nous, il n’aurait certainement pas accepté qu’elle s’exhibe…

– Qu’elle s’exhibe ? s’étrangla Agatha. Vous voulez dire qu’elle avait des pratiques… particulières ?

– Ma parole, vous êtes obsédée ! rétorqua Gareth, rouge comme une pivoine. Qu’elle s’exhibe sur scène ! Gwen est la comédienne principale de la troupe.