Extrait

Un peu en retrait, Lennon et moi admirons ce spectacle aussi comique qu’attendrissant. Et pourtant, en moi naît une peur irraisonnée. L’idée épouvantable que je pourrais peut-être gâcher la vie de cette enfant, juste en étant moi. En étant là.

– Je devrais peut-être vous laisser en paix… fais-je en me tournant vers Lennon.

– Callie…

Sa voix grave, chaude et rassurante est sur le point de me prouver le contraire mais je l’interromps :

– Non, écoute-moi. Je sais que tu m’aimes, mais pense à ta fille. À notre fille. Et si je lui faisais plus de mal que de bien ? Je suis tellement torturée, là-dedans… Tellement cassée, brisée, foutue.

Je désigne à nouveau mon crâne, sous lequel se battent en duel deux émotions qui me submergent. L’amour et la peur.

– Elle a besoin de toi, Callie, lâche le surfeur en me forçant à le regarder dans les yeux. Comme tu es. Tu peux te reconstruire, tu peux guérir. Ensemble, on peut tout recommencer. Tout réparer.

Je me perds dans ses yeux envoûtants, me détourne vers l’océan.

– Je n’en suis pas si sûre… soufflé-je.

– Moi, j’y crois ! balance-t-il avec véhémence. Et si tu n’y crois pas assez, j’y croirai suffisamment pour nous deux !

Au loin, Willow et Poney tentent maintenant de creuser le trou le plus profond de toute la côte. Je contemple ma fille, sa joie de vivre, son innocence et j’ai peur de lui voler ces deux fondations dont j’ai été privée.

– Je ne sais pas si je suis assez forte pour l’élever… murmuré-je. Pour lui montrer le chemin. L’aider à grandir, à affronter un monde qui me terrorise.

– Je suis là, Callie. Ensemble, on y arrivera.

Lennon s’entête. Sa voix est toujours aussi profonde, mais voilée d’un sentiment nouveau. Il sent que je lui échappe. Il tente de me retenir, sans savoir comment.

– J’ai tant de démons qui hurlent encore, en moi. Qui se réveillent sans crier gare. Qui me rendent visite et m’étouffent, avoué-je en sentant mes larmes couler.

– Respire… me souffle-t-il en se rapprochant de moi.

Je recule, le repousse. C’est plus fort que moi.

– Je ne suis pas sûre d’être celle qu’il vous faut.

Poséidon balance rageusement son pied droit dans un tas de sable. Il lâche un juron si fort que Willow l’entend et rigole, malgré la distance. En lui, la colère est venue seconder l’inquiétude.

– Bats-toi, Callie ! Putain, ne renonce pas ! Pour elle, pour moi !

– Et si j’échoue ? gémis-je. Si je vous déçois ?

– Essaie, c’est tout ce qu’on te demande.

– Je ne suis pas assez forte, Lennon.

– Si seulement tu te voyais à travers mes yeux, murmure le surfeur. Tu es la femme la plus forte, la plus courageuse que je connaisse. Réveille-toi, Callie. Réveille-toi et réalise que si tu te perds, je serai là pour te retrouver. Que ta place est ici… Entre elle et moi.

L’homme que j’aime pose une dernière fois son regard chamarré sur mon visage, puis va rejoindre sa fille et son chien. Willow me fait un petit signe de la main et les trois silhouettes s’éloignent doucement, les pieds dans l’eau, me laissant seule avec mes doutes, mes peurs et mon cœur qui tambourine.