Extraits

Elle baissa à peine les yeux vers l'enfant qui se plaça sur son chemin, les bras débordant d'un bouquet de fleurs plus grand que lui. Des fleurs qu'ils avaient dû faire venir d'une serre entretenue par les Esprits du Vent...

Atzyl s'arrêta moins de quelques secondes, prit le bouquet et bredouilla quelques remerciements inaudibles. Le présent l'encombrait, elle peinait à le porter en même temps que la Volonté. Les couleurs chatoyantes des corolles lui paraissaient ternes et elle ne percevait pas leur douce odeur. Les pétales se détachaient et tombaient derrières elles, comme les compagnons qu'elle avait perdus un à un depuis son départ de Brille-Neige.

Elle se revit, enfant, courant dans les bois avec sa sœur, jouant à qui cueillerait le plus de baies et à qui arriverait à sauter par-dessus le ruisseau sans tomber dedans. Elle entendait de nouveau leurs rires cristallins qui se répercutaient à travers les arbres, elle entendait la voix chantante de sa sœur qui lui répétait des comptines. Sa sœur qui l'encourageait à lui raconter sa journée quand tous les autres la rabrouaient, arguant qu'une femme ne devait pas monopoliser autant la parole. Sa sœur à qui, enfin, elle pouvait donner son avis après une journée à obéir, sa sœur à qui elle pouvait raconter les histoires qu'elle inventait, après qu'on lui avait dit qu'une jeune fille respectable ne devait pas perdre son temps avec ces fadaises. Avec sa sœur, elle ne devait plus prendre garde à se taire. Avec sa sœur, elle pouvait redevenir elle-même.

Si, dans son esprit, elle se visualisait toujours comme une fière et puissante mercenaire, elle n'avançait plus que comme une marionnette désarticulée, lentement et par à-coups, ne tenant que grâce au soutien de son arme.

Quand enfin la douleur fut passée, après de trop longues minutes, elle ramassa les Bulles encore intactes et les rangea comme elle le put dans les rares sacoches épargnées par son saccage. Peu lui importait sa cape en lambeaux ou ses habits maintenant déchirés. Elle constata avec amertume que cet accoutrement se mariait à merveille avec son apparence de loque humaine, qu'elle devinait à travers ses souffrances.

Parmi toutes ces sphères de glace, elle en trouva une plus grosse que les autres. Une Bulle qui contenait une rose. Une rose morte, desséchée, les pétales noirs et flétris, la tige rabougrie et bardée d'épines. Dans un élan de rage, Yelen l'envoya se briser contre un tronc.

Sans doute Wendelin passait-il un bras consolateur autour de ses épaules dans une tentative de ne pas terminer la soirée sur une note trop froide, mais Atzyl ne le remarqua pas tout de suite, trop absorbée par ses pensées. Quand elle s'en rendit compte, elle s'en voulut pour cette absence.

Sur le papier jauni, des encres un peu passées composaient la carte d'Helmar, stylisée, avec les échelles non respectées. Leur continent était entouré par l'océan, de sorte qu'il formait une médaille que l'auteur avait enjolivée d'enluminures. Yelen soupira face à tant de fantaisie et rapprocha ses yeux de la page pour pouvoir déchiffrer les petits caractères.

Nul plafond avant le toit pour limiter le savoir. Ici, des escaliers menaient à des mezzanines réparties de manière égale sur toute la hauteur de la bibliothèque. Là, de nombreuses tables et quelques tentes offraient des lieux d'études isolés au lecteur. Doucement, Yelen se détendit, ses muscles se décrispèrent et les battements de son cœur s'apaisèrent.

Ici, le silence régnait en maître ; les échos étouffés de leurs pas sur l'épaisse moquette violine ne le brisaient même pas. Une douce odeur de vieux papier et de bois flottait, subtile, et contribuait à plonger les visiteurs dans une atmosphère propice à la lecture. Çà et là, de petits perce-neige déposaient leur flocon immaculé sur la terre du pot qui les contenait. Elle se sentait enfin en paix.

Mais elle gardait le regard détourné, la tête baissée. Elle ne parvenait pas encore à fixer ce qu'elle tenait dans sa main. Dans quel état le trouverait-elle ? Dans quel état voulait-elle le trouver ?

Enfin, elle tourna la tête. Dans la Bulle, une rose solitaire semblait flotter. Ses pétales, d'un rouge pâle, formaient trois rangées autour du cœur. Sur sa longue tige d'un vert sombre, de petites épines commençaient à pointer.