Tous les livres de Arielle Caisne
l'Ortie désenfouit par bribes chaotiques les violences quotidiennes subies par une petite fille élevée à l'écart par l"'Adulte" (sa mèr:e) qu'"elle attend toute son enfance" et par un père faible et bègue: « J'avais six ans la première fois. D'autres crimes ont suivi ». Pendant sept ans, le "Hideux", un voisin de six ans son aîné, fait d'elle "un crasseuse galerie où il déchargeait sa boue", "son champ d'ordures".
Sourdent alors, en courts chapitres, l'indicible et l'insupportable verrouillés de si longues années par la terreur et l'angoisse. Pour toute expression d'amour, des ordres et des menaces : "Laisse-toi faire, merdeuse, tu t'appliques ou je te la fous dans l'cul" ; pour tout espérance, un avenir de prostituée: "Prends dans tes mains, Bichette, ça fait plaisir aux hommes.. Continue, quand tu seras grande, tu seras douée". Un seul référent pour une morale de vie : "Les hommes aiment ça."
La petite fille apprend alors à s'appliquer : "Je me suis conformée. J'ai fait des efforts pour paraître habile, experte à la hauteur". Elle collabore : "Je me suis exécutée. Il a exécuté ma vie." Elle s'excuse presque de n'avoir pas réagi. Elle qui n'a jamais pu exister sauf par la marque de l'autre, elle a perdu « toute forme de révolte, tout désir de combat". Mais où aurait-elle pu puiser ces forces, marionnette meurtrie, qui n'a eu que la force d'échapper à la folie, en tentant de faire semblant face à une société d'adultes qui ne le voyait même pas ?
Saccagée par les agressions d'un adolescent, sa vie de petite fille l'est tout autant par l'indifférence des adultes qui ne voient pas et n'entendent pas le langage de "son corps boursouflé". Confrontée seule à son bourreau, incapable de lui échapper, elle en vient un jour à l'espérer : "Il m'aimera une fois, rien qu'une fois puisque j'étais sa petite femme. Il devait m'aimer pour que ma souffrance prenne quelque sens".
L'Ortie est avant tout un récit/délivrance. Certes, il est aussi un récit témoignage, celui d'une vie de femme définitivement avortée : "Il a exécuté ma vie ... J'ai toujours six ans... Terrorisée, je me suis soumise des années! cela s'appelle-t-il être consentante ?"
L'horreur nue d'un vécu indélébile, retranscrite par les phrases brutes du passé, celles soustraites à l'oubli et au refoulement favorisera-t-elle une prise de conscience d'un public plus large?