Daniel Bastié

En 1959, un roman a été publié et distribué clandestinement, un livre érotique titré « Emmanuelle » La première édition de seulement cinq cents exemplaires a été traitée en 1965 par l'éditeur Eric Losfeld à Paris pour devenir ses meilleures ventes, notamment grâce à l'intérêt d’éditeurs étrangers à Foire de Francfort. Traduit en douze langues et vendu à plus de dix neuf millions d'exemplaires dans le monde entier, il a fait de son auteur l'un des plus riches écrivains de ces années. À l'époque, la publication et la vente du livre a été interdit en France, en raison de son contenu jugé trop explicite et ce jusqu'en 1967. Censure qui ne l’a pas empêché d’être vendu sous le manteau. Bien entendu, le cinéma l’a adapté pour devenir à son tour un incroyable succès auquel personne ne s’attendait. Du film, dizaines de films non-officiels ont été enclenchés, reprenant simplement le caractère du personnage principal ou proposant des variantes infidèles. Pour beaucoup, Emmanuelle Arsan est l’écrivaine du personnage d’Emmanuelle, si bien campée à l’écran par Sylvia Kristel. Dissocier l’auteure et l’héroïne revient à commettre un sacrilège puisque la seconde a permis à la première de devenir une gloire de la littérature érotique. Par contre, on ignore que beaucoup de suites ont été apportées à ce chef-d’œuvre du roman pour adultes, avec notamment pour le grand écran une « Yellow Emmanuelle », une « Black Emmanuelle » et même une série télé dans laquelle Sylvia Kristel vient faire de la figuration pour payer ses factures. Par contre, il y a une bédé à découvrir. Il s’agit de celle de Guido Crepax, magnifiquement respectueuse à la fois du livre et du film. Un bijou en noir et blanc servi par le trait assuré du dessinateur. Cet essai parle de tout cela et multiplie les anecdotes pour prouver à quel point Miss Arsan a marqué une époque tout en sortant l’érotisme des arrière-salles pour en faire l’objet de toutes les discussions dans les salons et au bureau. C’était évidemment avant l’ère #MeToo !

Octobre 2020, les éditions Lamiroy lançaient le mensuel littéraire l’Article. Le principe est simple : tous les mois un auteur écrit sur un autre auteur. Seule contrainte : le texte doit contenir 5000 mots. Seize mois plus tard, de Stephan King à Henri Vernes en passant par Victor Hugo, Marguerite Duras, Arno, Jim Morrison et bien d’autres, la collection s’est imposée par sa grande diversité dans le paysage littéraire. Rencontre avec Daniel Bastié qui vient de publier l’Article #16 Emmanuelle Arsan : un prénom davantage qu’un visage. Une collection qui se singularise par les magnifiques dessins de couverture d'Hugues Hausman. Des petits livres qu'on glisse dans sa poche et qui résument fort bien le parcours d'un auteur ou un point partuiculier de son oeuvre. Intelligents et jamais vains !

Malgré toute l'appréhension qu'amène un tel titre, Ilsa la Louve des SS est un film qui se tient à peu près dans le sous-genre très spécieux du naziporn érotico-glauque, mais il ne s’agit pas du genre de long métrage qu'on regardera tous les jours en famille. Du coup, j’ai été étonné de voir qu’on sortait un essai sur ce nanar subversif. Je ne pense pas que je vais acheter pareil livre. Au mieux, je me renseignerai à la bibliothèque question de voir ce que l’auteur a su en tirer. Connaissez-vous quelqu’un qui l’a lu ? A lui seul, le titre sent la provocation et je n’ai pas vu beaucoup cette couverture sur le Net. La preuve qu’il ne fait pas trop bon parler de cet objet parce que toujours subversif et sulfureux. A l’époque, il y a eu quelques films du même genre, plus ou moins inspiré par celui-ci. Principalement en France avec le studio Eurociné, spécialisé dans les machins fauchés, et en Italie, avec deux champions de la débrouille : Rino di Silvestro et Bruno Mattei. Aujourd’hui, refaire un remake de « Ilsa » paraît complètement impensable et peu s’y risqueraient. Un soulagement, sans doute, même si s’interroger sur la raison pourrait être entrepris.

Jean Rollin, né en 1938 à Neuilly-sur-Seine, est l'un des rares cinéastes français à avoir essentiellement travaillé dans le cinéma fantastique et d'épouvante. Souvent décrié dans son propre pays, il n'en a pas moins tracé sa propre route dans le paysage cinématographique hexagonal. Mais comme il faut bien vivre et que les vampires ne nourrissent pas toujours leur homme, Jean Rollin a également signé des films alimentaires proches du nanar et des pornos bas de gamme. Malgré tout, quand l’argent le lui permettait, il revenait à un travail personnel sans se soucier de ce qui était écrit à son sujet. Ce livre revient sur l’homme et son œuvre et dévoile ses secrets de tournage, ainsi que les lignes directrices de ses longs métrages. L’écriture n’a rien à voir ici avec les thèses pontifiantes de certains critiques cinématographiques. In se trouve dans un style proche de la biographie romancée et de la nouvelle pour traiter chaque film dans l’ordre de leur sortie sur les écrans. Démarche courageuse, puisque les fans de Jean Rollin ne courent pas les rues.

Livre acheté sur une brocante. D'après Internet, il est épuisé et l'éditeur a disparu des radars. Dommage, car on y apprend énormément de choses sur ce cinéaste mal aimé et dont les films passent en boucle chaque nuit sur la chaîne "Action" depuis une décennie. Qui était Jean Rollin ? Un homme qui a côtoyé pendant son enfance certains des plus grands intellectuels du XXe siècle. Un artiste qui a collaboré avec Marguerite Duras pour son premier film. Un réalisateur à la carrière singulière et unique en son genre dans le cinéma français, avec des films ouvertement fantastiques, surréalistes, poétiques - déconcertants. Un cinéaste assassiné depuis toujours par la critique mais qui commence, enfin, à profiter d'une certaine reconnaissance en France, alors que de nombreux fans le vénèrent déjà en Europe et aux États-Unis. Jean Rollin a signé une oeuvre marginale et méconnue traversée par la mort et la nostalgie, et dont la principale obsession était le temps, celui de l'errance et du rêve. Voilà un livre (essai) qui rend hommage à son travailt et ente d'aller plus loin que les avis fâcheux de téléspectateurs qui s'arrêtent au manque de budget de la majeure partie de ses réalisations. Un poète visuel certainement, à défaut d'avoir été toujours un grand conteur : voilà le malheur qui a frappé Rollin à ne pas confondre avec le romancier Jean Rolin (avec un L)

Emmanuelle est en fait un livre en deux parties, sous le même titre mais avec deux sous-titres correspondant aux deux parties successives : la leçon d'homme et l'antivierge. Séparés au début par un éditeur clandestin (en fait Losfeld) un peu pressé, les deux morceaux ne se retrouveront en librairie sous le titre commun d Emmanuelle que des années plus tard, encore qu'en deux parties. Par la suite, les aléas de la librairi, et des histoires de droits compliquées susciteront des discussions compliquées. Emmanuelle Arsan n’était pas l’autrice de ses livres, mais son époux, un diplomate un brin intéressé par l’érotisme et la pornographie.

Plusieurs films, téléfilms, courts métrage et séries érotiques vont reprendre le personnage d'Emmanuelle depuis le succès du long métrage avec Sylvia Kristel, mais qui n'auront plus grand chose à voir avec le texte initial. Une des plus belles ‘’Emanuelle’’ (avec un seul M !) est à ce jour l’eurasienne Laura Gemser, vedette du cinéma transalpin dans des films mieux connus sous le nom de ‘’Emanuelle nera’’ Ce livre écrit par Daniel Bastié, jourrnaliste bruxellois, revient sur le parcours d'un personnage né au début des années 60 et se faufile dans les coulisses de la création de ce protagoniste qui a donné ses lettres de noblesse au genre érotique alors cantonné dans les basses-fosses de la littérature. Le premier film reste à cd jour un phénomène dans la mesure où il a été affiché durant plus de dix ans en exclusivité dans un cinéma parisien, attirant un public venu de partout. Il convient de rappeler que, à l'époque, plusieurs pays pratiquaient une censure drastique et interdissaient notamment l'érotisme au grand écan. Un exemple : l'Espagne de Franco !

Les années 70 en Italie ont été marquées par un climat de contestation et de recherche de changement radical. Les médias, en particulier la presse écrite, la télévision et le cinéma, ont été des instruments puissants utilisés pour exprimer des idées subversives et remettre en question l'ordre établi. La censure était alors un moyen pour le gouvernement de contrôler ces expressions contestataires et de maintenir une stabilité sociale précaire. Les artistes et les intellectuels italiens ont souvent été confrontés à des restrictions sévères de la liberté d'expression. Les œuvres jugées subversives, provocantes ou susceptibles de perturber l'ordre public étaient censurées ou interdites. Cette répression a conduit certains artistes à adopter des stratégies de provocation délibérée, utilisant l'outrance et le choc comme armes de contestation. Pour eux, choquer à tout prix était un moyen de contourner la censure tout en faisant passer des messages critiques. Cette stratégie de provocation était également alimentée par la volonté de briser les tabous sociaux et culturels. Les artistes italiens des années 70 ont cherché à dénoncer les normes traditionnelles, le conservatisme et les injustices, en utilisant des formes d'expression artistique radicales. En provoquant le public et les autorités, ils ont cherché à susciter des débats et à remettre en question les fondements de la société. Cependant, cette quête constante de choquer à tout prix n'était pas sans conséquences. Certains artistes ont été confrontés à des poursuites judiciaires, à des interdictions professionnelles et à des sanctions économiques. La tension entre la liberté d'expression et la nécessité perçue de maintenir l'ordre public a persisté tout au long de cette décennie tumultueuse. Ce livre revient sur cette époque que nous ne connaissons plus et analyse différents types de films qui continuent toujours d’alimenter les débats.

Bien que le nom d'Emmanuelle Arsan soit intimement lié à un roman qui a bousculé les repères en matière d’érotisme, elle a écrit d'autres ouvrages explorant des thèmes similaires. Son style littéraire était raffiné, combinant la sensualité avec une prose bien construite et des descriptions évocatrices. Emmanuelle Arsan a su dépasser les limites imposées par la société de son époque en explorant la sexualité féminine de manière franche et sans compromis. Son héritage littéraire demeure une contribution significative à la littérature érotique, et son impact se ressent toujours dans les discussions contemporaines sur la sexualité, l'émancipation féminine et la redéfinition des normes sociales. Bien que ses œuvres aient pu choquer certaines sensibilités, Emmanuelle Arsan reste une figure emblématique de la littérature érotique, laissant derrière elle un legs qui continue d'influencer les auteurs contemporains.

Ce livre éclairant explore le paysage tumultueux de la censure dans le cinéma italien, mettant en lumière les facettes provocatrices, audacieuses et parfois choquantes d'une industrie cinématographique qui n'a pas peur de défier les normes établies. Chaque chapitre, rédigé par un spécialiste émérite du cinéma, offre un regard unique sur des œuvres emblématiques, soulignant le mordant, la folie et la créativité des réalisateurs italiens qui ont osé jouer avec les interdits. Parmi les thèmes traités ‘La Grande Bouffe’ où comment un film délibérément transgressif a défié les conventions sociales et morales de son époque, mettant en lumière la satire subversive derrière le festin gastronomique et sexuel. Avec ‘Salo ou les 120 Jours de Sodome’, Pasolini parle du fascisme dans la Péninsule, déclenchant des débats ardents sur la liberté artistique et le droit d’exposer du sexe et du sanf à foison. ‘Cannibal Holocaust’ se situe entre réalisme cru et grand guignol et porte sur la relation complexe de l approche brutale et le droit à manipuler la vérité pour faire le buzz. Cet essai explore également le parcours de Federico Fellini à travers les épreuves de la censure, révélant de quelle façon le réalisateur a su canaliser les censeurs pour nourrir sa créativité, tout en offrant un aperçu de ses batailles avec les autorités. Tout un chapitre tourne autour de Joe d’Amato, un spécialiste du cinéma érotique italien passé au porno dur. Bien entendu, d’autres sujets sont ici traités avec force d’anecdotes et une documentation richement nomenclaturée. Avis aux amateurs !