Xavier Boissel

Philippe Marlin a le blues depuis la mort de sa femme. Il a le blues depuis la découverte d’un cadavre de femme. Ses nuits sont troublées par des cauchemars où le visage de sa femme et de celle d’Audrey Mésange se mêlent dans une danse macabre qui le laisse épuisé quand il se réveille. Dans le Paris des années 66, dans cette France qui s’ennuie –comme le titrera le journal Le Monde deux ans plus tard – l’équipe d’inspecteurs réunis autour de leur supérieur Baynac, peine à trouver le meurtrier d’Audrey ex-fille de joie, devenue la respectable Mme Flanquart. Respectable ? Pas tant que ça, de même que n’est pas respectable le milieu qu’elle fréquentait. Baynac et Marlin flairent une implication du SAC mais l’affaire leur échappe. On incrimine un chef de chantier de Flanquart, un certain M. Amad qui a l’obligeance de se suicider. On circule il n’y a plus rien à voir. Oui mais les nuits de Philippe Marlin sont toujours aussi agitées, alors il cherche, il fouille, il dérange. Ambiance glauque, personnages patibulaires, affaires publiques entachées de vol et d’escroquerie imprègnent ce roman bien écrit. Dans cette atmosphère poisseuse où Marlin traîne son désespoir, seule la journaliste Charlotte Saint-Aunix met un peu de lumière.

L'auteur raconte une belle histoire pleine de rebondissements avec une intrigue bien ficelée se situant en 1966, époque où le général De Gaulle était au pouvoir.

Philippe Marlin, notre héros, est un bon flic, allant jusqu'au bout d'une enquête pour trouver le vrai coupable. Il a choisi d'entrer à la Crim' pour retrouver l'esprit du maquis (camaraderie, esprit d'équipe).

On voit également qu'à cette époque la police appliquait des méthodes plutôt musclées pour mener les enquêtes et interroger les suspects.

Le béton envahit Paris, les autoroutes prennent leur essor. Hommes politiques, chefs d'entreprise sont tous complices et prêts à tout pour faire de l'argent.

Philippe Marlin croise dans ses recherches des membres du SAC, de triste mémoire, composé de voyous, d'anciens de la Gestapo qui font régner la peur pour asseoir le pouvoir du général de Gaulle en toute impunité.

"Autopsie des ombres" mais quelles ombres ?

"Ombres" des guerres stupides qui voient s'affronter des factions qui avant vivaient ensemble, se côtoyaient et se retrouvent face à face sur l'autel des guerres du monde ? Notre héros, casque bleu français, certainement en Bosnie, a pour missions "pacifiques" de protéger les convois humanitaires, de s'interposer entre belligérants, de rester neutre, de ne pas intervenir, de ne pas se mettre à dos la population locale avide de rancœurs et de vengeances."Ombres" du commandement de l'ONU qui donne des ordres "neutres", stupides, contradictoires liés à la géopolitique du moment.Ces soldats ne sont pas dans la guerre mais apportent par leurs interpositions une solution à la crise.

"Ombres" de lui même tantôt cible de snipers car l'interposition onusienne gêne les belligérants ou est considérée comme une force occupante, tantôt spectateur impuissant de la mort de soldats innocents, de civils comme celle d'un couple d'amoureux mort en voulant traverser un no man's land, mais toujours soldat dont la mission est de sécuriser, surveiller, assister, protéger jusqu'à tuer des chiens errants, des rats, des chats pour éviter qu'ils ne propagent des épidémies.

Par la lecture de ce livre, on assiste à un chassé croisé entre "il", ce soldat casque bleu en Bosnie revenu à Paris,"il", "tu""et Pierre Narval ce même soldat en Bosnie.

"Il" est l' "Ombres" de lui même, vivant dans l'irréalité, toujours hanté par ce qu'il a vécu, avec comme ennemie la nuit et ses insomnies et comme alliés son vagabondage sans but et sans foie, l’enivrement en alcools forts et l'excès de cigarettes fortes.Parler de ce qu'il a vécu est impossible à entendre ; sinon vite lassant pour ceux qui l'écoutent et pour lui. En effet, les mots ne sont pas assez forts pour entrer dans le plus profond de son intimité, le faire sortir : oublier serait plus simple.

"Il" est aussi "l'ombre" hagarde , dépersonnalisée de ce soldat qui agit tel un automate, toujours que le qui vive et secoué par des bombardements ou tirs lointains ou plus proches.Avec le "tu" cette "ombre" prend une certaine consistance jusqu’à ce que ce soldat retrouve sa pleine identité : Pierre Narval car on lui parle et qu'il va bientôt être en permission.

Le roman est construit avec des allers retours entre ce que vit Pierre Narval, démobilisé et Pierre Narval soldat en Bosnie, insérés dans des chapitres avec comme entêtes des citations d'auteurs fortes et puissantes,qui sont à elles mêmes de vraies percussions, séparées d'une page blanche de l'histoire qui continue de "se défiler" chronologiquement pour Pierre Narval citoyen français et de se délier pour Pierre Narval, casque bleu français dont le repère temporel est celui de ces corps de deux personnes innocentes qui s'aiment , fauchés et abandonnés de tous sur ce pont du no man's land.

"Ombres" aussi de la nature et absence "d'ombres" surtout de la nuit viennent procurer à ce soldat un havre de paix, dans une grange désaffectée même s'il reste à l'affut de tout bruit suspect car la guerre ne le quitte pas.

Quelques passages sont écrits en italique tel un discours officiel post mortem et tentent d'expliquer les raisons qui ont poussé Pierre Narval à devenir soldat, à légitimer ses actions même les moins inavouables et à dresser de lui le portrait sentimental d'un être nouveau à l'image des discours officiels onusiens.

C'est bien à une véritable autopsie que se livre l'auteur dans un style sec, incisif, scalpant et juste.Les mots et les phrases sont beaux, riches,coupants, violents en suspension. Ils se heurtent par blocs indissociables pour traduire avec force et violence ce post-traumatisme et le traumatisme de la guerre vue, sentie, entendue qu'il fasse à Paris une chaleur colorée et joyeuse et que les immeubles soient cossus ou qu'il fasse en Bosnie un froid terne et noir et que les immeubles soient debout encore mais délabrés, dans la blancheur noire de la neige et du ciel.

"Ce n'est plus la même histoire". "Ce n'est jamais la même histoire"."C'est toujours la même histoire", termine Xavier BOISSEL, comme pour rendre hommage et entendre enfin toutes ces "ombres" de nos soldats envoyés sur des terrains d'opérations extérieures, sous couverts de l'ONU, avec l'opinion de l'auteur qu'ils ont, à leur insu, trahi à défaut de servir, qu'ils sont haïs à défaut d'être aimés et reconnus, qu'ils sont morts réellement ou virtuellement à défaut d'avoir existé.

Un livre qui fait froid à lire et ne peut que nous interpeler lorsqu'on assiste aux images en boucles de la guerre en Ukraine par exemple ou qu'on pense aux dernières missions des casques bleus au Niger, en Syrie......

Une véritable introspection de ces soldats et de l'opinion consensuelle et policée de leur mission que l'auteur nous invite à autopsier au delà du posttraumatique des soldats revenus "à la vie active." et abandonnés à eux mêmes.

L’auteur alterne son récit entre l’enquête menée pour meurtre par un policier de la police judiciaire et la relation des trafics de l’appareil de l’état dans les années 70. On y retrouve une partie de l’histoire de notre pays tout en suivant avec délectation les pérégrinations du héros. L’écriture est de haut niveau, ce qui permet de passer un bon moment dans les rues de Paris où en Ardèche sans jamais se lasser.

"Avant l'aube" c'est à ce moment que Philippe Marlin, inspecteur à la "Crim",livre son dernier assaut et meurt.

Ce roman commence par là et termine par là.Entre les deux,une enquête menée avec zèle pour découvrir le meurtrier d'une jeune femme, découverte "Avant l'aube.".

Avec pour décor le Paris de la fin des années qui se bétonne,se déshumanise,la construction de l'autoroute A6,et tous ses scandales politico- financiers,on assiste à plus qu'une enquête policière.Ce roman policier prend l'aspect d'un authentique documentaire historique où les l'origine du SAC et les liens obscurs avec le pouvoir sont établis et étouffés par la police.Les policiers professionnels comme Beynac ou Marlin en seront quitte pour fermer les yeux à jamais, accidentés malheureux.

Dans ce roman en noir et blanc où les nuits de Marlin sont hantées par ses fantômes et les jours se passent dans un lugubre et une sale poisseur, apparaît un soleil :cette jeune journaliste Charlotte Saint Aunix,qui va aider Merlin à découvrir la vérité.Charlotte pourra-t-elle transmettre ce que Philippe lui a transmis dans une consigne de la Gare du Nord ?

Ce roman policier et historique est aussi un roman psychologique où on suit pas à pas Marlin,le narrateur,se débattre avec lui même et ses fantômes.Seule la mort "Avant l'aube" pouvait l'en délivrer.

C'est bien écrit,c'est ciselé,c'est glauque mais beau ,c'est noir et blanc mais fidèle à cette époque et à ce policier,ancien résistant, ébranlé par ce qu'il découvre.

Excellent roman, très court donc plutôt accessible mais surtout intriguant. Après la lecture il nous reste une impression d'étrangeté mais aussi d'avoir été pendant 100 pages au contact d'une réalité qui nous échappe. Bravo à l'auteur !