Extraits

- Tu crois que tu es le seul à tout remettre en question ? lui lançai-je. Je m'en veux chaque jour de t'avoir incité à sortir, à profiter de cette putain de vie étudiante ! De ne pas avoir compris plus vite ce qu'il se passait ! De ne pas t'avoir cherché plus tôt ! De t'avoir poussé à revenir en Corée ! De ne pas être le genre de personne que tu peux présenter à ta famille ! De ne pas avoir su gérer le merdier de cette nuit ! J'aurais dû te prendre dans mes bras, j'aurais dû t'obliger à rester au lit avec moi, j'aurais dû te parler au lieu de te regarder me fuir !

-Je ne peux pas.

Il s'approcha. Mon souffle se coupa.

-S'il te plaît, souffla-t-il. Reste avec moi.

Je serrai la poignée entre mes doigts, puis la lâchai et sortis.

Je l'aimais autant qu'il était possible d'aimer. Je le haïssais autant qu'il était possible de haïr.

Il était comme un poison qui se répandait en moi. Je ne savais pas comment m'en libérer. De lui. De la honte. De la haine. De l'amour.

De cette vie explosée, dont je ne voulais plus rien. Je voulais seulement gagner. Enfin.

Vraiment.

GAGNER.

Il y a eu un silence.

Un silence presque trop long.

Il s'étira peut-être des secondes, soudain plus personne n'osait parler.

Et puis, il y eut la vibration de mon téléphone, dans ma poche.

Une autre vibration encore.

Puis de nouveau.

Et, enfin, les mots.

Les mots les plus terrifiants du monde.

Les plus atroces.

Ces mots-là.

- Vous a-t-il violé ?

- Oui.

Une seule réponse, que je laissai tomber sans la moindre hésitation.

Nathan était là, ce fut cruellement simple.

Après tout, il respirait pour moi, lorsque je n'en n'était plus capable.

Il devenait mon souffle.

Oui, j'ai été violé.

C'était la première fois que j'osais le dire.

Et les vibrations continuèrent.

Continuèrent encore.

Des messages qui arrivaient en salve sur mon portable.

Je le sortis de mon pantalon pour l'éteindre.

Et je restais figé.

Nathan jeta un coup d'œil à l'écran et compris, sans doute plus vite que moi. Il prie aussitôt le relais, mais me laissant quelques secondes de répit. Il répondit aux questions, alors que j'observais une application sur mon téléphone. Je l'avais désinstallée depuis si longtemps. Mais quelqu'un l'avait rendu de nouveau opérationnelle. A distance.

Joey ouvrait encore une porte, si j'avais besoin d'un endroit où me réfugier.

Et ils étaient là.

Tous.

Comme avant.

Jenna : safe.

Brad : safe.

Mary : safe.

Live : safe.

Casey : safe.

Raëlle : safe.

Hendrix : safe.

Desire : safe.

Faith : safe.

Et puis d'autres.

D'autres que je ne connaissais pas.

D'autres que je connaissais peut-être.

D'autres.

Tellement d'autres.

Lin : safe.

Jon : safe.

Nadine : safe.

Brady : safe.

Vic : safe.

Chan : safe.

Xavier : safe.

Winnie : safe.

Marlon : safe.

Luis : safe.

Jane : safe.

Halley : safe.

Grant : safe.

Fanny : safe.

Danielle : safe.

Sophia : safe.

Quinn : safe.

Pat : safe.

Ollie : safe.

Ulyss : safe.

Yannis : safe.

Tatia : safe.

Romy : safe.

Emilie : safe.

Zack : safe.

Aly : safe.

...

- Dites-moi qu'il ne ralentit pas volontairement.

- Je ne le dirai pas.

Même si c'était exactement ce que Blue faisait. Il montrait à Aaron qu'il n'était pas le seul à pouvoir tout manipuler. Sauf que lui, il le faisait dans l'eau. Parce que dans l'eau, Aaron ne serait jamais "assez" pour le dépasser.

- Ils nous compare surtout parce qu'on a tous les deux craquer à un moment de notre carrière, expliqua-t-il.

Toi au mondiaux de Doha et moi aux internationaux d'Estaires, lorsque j'étais en junior.

Il désigna du menton un jeune homme qui lui faisait des grands signes sur le trottoir. Dans un fauteuil roulant, il tapait furieusement sur sa montre, agacé.

- Andreï et mal tombé pendant sa routine à la barre, raconta-t-il. Sous mes yeux. C'était un gymnase talentueux qui n'a jamais plus remarcher. Après ça, j'ai mis du temps à me retrouver. Je n'y arrivais simplement plus. Alors on m'a renvoyé de l'INSEP, j'ai dû quitter le collectif et renoncer à ma future place en équipe nationale. Et puis...

Son regard se porte à un instant vers le type au béret. Aussitôt, des yeux le trouvèrent, avec la facilité de ceux qui en ont l'habitude.

- ... j'ai retrouvé mes mouvements, finit-il en se tournant de nouveau vers Blue. Parce que ce qui fait de nous des champions, ce ne sont pas tant les médailles d'or. C'est notre capacité à revenir.

Blue hocha la tête.

- Tu as raison, lui accorda-t-il.

Il se serrèrent la main, et mirent sans doute une seconde de trop à se lâcher. Ils s'attiraient, comme s'attirent ceux qui ont dépassé leurs propres limites et qui savent tout ce que ça leur a coûté.

- Ne ralentis pas.

- Je n'en ai pas l'intention, promis Blue, avec une pointe d'arrogance.

Samuel rit, puis s'éloigna.

- Et félicitations, au fait, lui lança-t-il.

- Je n'ai encore rien gagné, lui rappela Blue.

Il enfouit les mains dans ses poches et incline légèrement le visage pour l'observer.

- Bien sûr que si.

Puis il s'en alla point comme il était arrivé. Certaines personnes sont destinées à n'être que quelques mots dans votre vie.

Une petite part de vérité.

Évidemment que Blue avait déjà gagné.

Il était là.

Il était revenu.

- Je suis désolé.

Il posa un coude sur le bureau et se tourna enfin vers moi. Ses yeux étaient d'un bleu incendiaire et presque aussi menaçant que cette nuit.

- Il va devoir faire avec moi, laissa-t-il tomber, déterminé.

Je secouai la tête. Il ne comprenait pas.

- Sajangnim ne t'acceptera jamais.

Il contracta la mâchoire et manqua briser le stylo dans ses doigts.

- Alors je me contenterai de Min-ho, pour l'approbation familiale.

- Nathan...

- Quoi ? Hurla-t-il.

Sa voix résonna dans l'appartement, rebondit contre les murs et nous percuta la poitrine.

- On ne vit même plus ensemble.

- J'ai remarqué, dit-il, acerbe.

Il se détourna, c'est mèches presque auburn me masquant son visage. [...]

Il pencha la tête et fit tourner son stylo dans ses doigts.

- L'expérimentation, c'est comme jouer avec les corps. C'est excitant.

Il me lança un regard provocant. Ce n'était pas le premier, loin de là. Mais celui-ci m'agita tant que j'eus du mal à rester en place.

- Vraiment ? Finis-je par répondre.

Il sourit en récupérant la tasse entre mes doigts - je n'avais pas eu conscience de la serrer si fort - et but une gorgée en me détaillant. Mon calme de façade ne le trompait pas. Je ne l'avais jamais trompé.

- Très excitant, oui, susurra-t-il.

- C'est pour ça que tu as entraîné Aaron ? parce que c'est excitant ?

Il se pencha un peu sur moi.

- Non, me murmura-t-il, ça, c'était juste pour t'emmerder.

Je baissai les yeux sur ses lèvres, avant de les relever presque aussitôt. Pas assez pour qu'il ne l'ai pas remarqué.

- Tu tenais tant que ça à me voir perdre ?

- Assez pour risquer une partie de mes recherches.

- Blue a commencé Yeonghon ? Demanda-t-elle.

Je secouai la tête.

- Il ne commence pas.

- QUOI ? hurla-t-elle.

- Bien sûr qu'il ne commence pas, marmonna Joey.

- Il n'a aucune chance sans Yeonghon, s'inquiéta Juliet. Aaron suit ton programme d'entraînement et...

- Je ne peux pas le forcer, la coupai-je.

Joey se pencha sur l'épaule de Juliet.

- Peut-être que tu devrais, au contraire.

Le sous-entendu était clair. "Peut-être que tu devrais nager avec lui. Lui montrer ton Yeonghon. Pas les avatars des autres, mais celui sur lequel tu travailles, la nuit, lorsque tu n'arrives plus à dormir sans lui, quand il te manque tellement que tu aurais envie de gueuler. Et peut-être que tu devrais arrêter de marcher sur des œufs. Bats-toi, bon sang ! Hurle-lui dessus ! Secoue-le ! Fais quelque chose, Nathan ! Frappe-le s'il le faut !"

Qu'est-ce qu'il croyait ? J'étais le fils de Drew Simons, ils n'allaient pas se débarrasser de moi aussi facilement, en mettant la main sur une fraction de mes recherches.

Non... Ça n'avait rien à voir avec Aaron, peu importait ce qu'April ou les autres en pensaient.

Je voulais que Blue perde.

Je voulais gagner contre lui.

Je voulais qu'il me voie, qu'il ne voie plus que moi.

Ses mots se perdirent sur ma nuque. Glissèrent sur moi. S'enroulèrent autour de mon cœur. Ils me firent si mal. Ils repêchèrent au fond de mes entrailles, ce que je m'étais retenu d'éprouver. L'éprouver était si difficile, parfois. Être soi-même, être entier. Réparé. Je ne savais être qu'un champion, j'y réussissais très bien. Mais l'amour... L'amour que je ressentais pour Nathan... C'était si compliqué que l'enterrer passait pour un soulagement. Puis il disait "je t'aime", et une chose atrophiée s'ouvrait légèrement, comme les corolles d'une fleur, un matin de printemps.