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Prologue

MESSAH

Pensionnat Little Angel, Lexington, Kentucky, 22 décembre 2013, 3 h 6

Si je ferme les yeux assez fort, peut-être s’en iront-ils ? La main cramponnée à ma chemise de nuit, je serre si intensément le tissu que j’en ai mal. Un hoquet de terreur s’échappe de ma bouche en entendant ces sons lugubres, des bruits subjectifs, mais laissant penser à des chairs que l’on déchire, des cris que l’on étouffe et des coups donnés pour faire taire. Je mords mon poing, les larmes ruissellent sur mes joues, une culpabilité immense me tord le ventre. Je ne fais rien. Je suis là, petite chose trop terrorisée pour agir, une lâche qui laisse sa famille se faire massacrer pour pouvoir survivre. Que pourrais-je faire face à ces barbares ? J’ai à peine eu le temps de me glisser dans la grosse armoire du dortoir, avant d’observer à travers les portes légèrement entrouvertes Julie se faire extirper de son lit par les cheveux. Ils sont nombreux, trop nombreux pour quelques adolescentes et quelques femmes de Dieu qui ne pratiquent jamais aucune violence. L’unique pensée cohérente qui a pu naître dans mon cerveau en regardant mon amie malmenée est que je louais le ciel que seule une partie des pensionnaires soit présente durant les fêtes de fin d’année.

Lorsque la pièce a été vidée de force de toutes ses occupantes, je me résigne enfin à changer de cachette. Le monte-plats se situant dans la salle de séjour a été ma seule issue alors que je cherchais désespérément un moyen de me sauver. Les bruits de pas dans ma direction m’ont contrainte à me contorsionner pour entrer dans cette boîte de fer. Le froid du métal dans mon dos me rappelle que je ne suis pas là où j’essaie de m’évader mentalement. Penser à nos rires sur cette plage, aux vagues caressant mes pieds lorsque je découvrais pour la première fois la mer ne m’arrachera pas à l’horreur qui se joue ici. Recroquevillée sur moi-même, j’attends douloureusement que le silence revienne. J’entends Emy supplier pendant qu’un homme parle d’elle comme d’un vulgaire bout de viande qu’il convoite. Une voix plus autoritaire encore le sermonne en lui intimant de ne pas abîmer la marchandise. Ce terme déclenche en moi un frisson. Des idées plus glauques les unes que les autres m’assaillent et je les repousse pour ne pas hurler de terreur et avertir nos agresseurs.

Les minutes s’égrènent, ma peur persiste. Les cris et supplications ont laissé place à un silence plus effrayant encore. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé depuis que l’un des leurs a annoncé leur départ imminent, mais je n’ai pas été capable de bouger. La tête enfouie dans mes bras, mon corps me brûle. Mes muscles essuient de fortes crampes. Cet espace confiné n’est prévu que pour accueillir quelques assiettes, et non une jeune fille de quinze ans. J’aime ce silence autant que je le déteste. M’imaginer ce qu’il dissimule me donne des haut-le-cœur. J’ai entendu tant de sons macabres que ne découvrir aucun corps inerte en sortant de ma cachette me paraît improbable. Un bruissement suivi d’un chuchotement me fait relever précipitamment la tête avant de la cogner contre le métal. Des pas se rapprochent, je panique. La porte du monte- charge coulisse, laissant entrer la lumière aveuglante du soleil. Un regard aussi inquisiteur que déterminé me percute. La fuite n’est plus possible.

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« Les liens du sang ne sont qu’un détail. L’amour est tout le reste. »

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