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Une sommité, un orientaliste de renom, Gilbert Delanoue, avait asséné, du haut de sa chaire, la vérité suivante : "Pour bien savoir l'arabe, il faut vingt ans. Cette durée peut être ramenée à la moitié avec l'aide d'un bon dictionnaire en peau de fesses".
Afficher en entierL’espèce humaine ne fait pas de son mieux, ces temps-ci. On a envie de se réfugier dans ses livres, ses disques et ses souvenirs d’enfance.
Afficher en entierSi nous entrons dans ce travail par Hedayat et sa Chouette aveugle, c’est que nous nous proposons d’explorer cette fêlure, d’aller voir dans la lézarde, de nous introduire dans l’ivresse de celles et ceux qui ont trop vacillé dans l’altérité ; nous allons prendre la main du petit homme pour descendre observer les blessures qui rongent, les drogues, les ailleurs, et explorer cet entre-deux, ce barzakh, le monde entre les mondes où tombent les artistes et les voyageurs.
Ce prologue est décidément bien surprenant, ces premières lignes sont toujours, quinze ans après, aussi déroutantes – il doit être tard, mes yeux se ferment sur le vieux tapuscrit malgré le zarb et la voix de Nazeri. Sarah avait été furieuse, au moment de la soutenance de sa thèse, qu’on lui reproche le ton “romantique” de son préambule et ce parallèle “absolument hors sujet” avec Gracq et Kafka.
Afficher en entier"Je suis allé à la mosquée, j'y ai volé un tapis.
Bien plus tard, je me suis repenti,
Je suis retourné à la mosquée : le tapis était usé,
Il fallait le changer."
Afficher en entier« Sarah avait soudain l’air abattue, j’ai remarqué qu’elle flottait dans son tailleur gris ; ses formes avaient été avalées par l’Académie, son corps portait les traces de l’effort fourni au cours des semaines et des mois précédents : les quatre années antérieures avaient tendu vers cet instant, n’avaient eu de sens que pour cet instant, et maintenant que le champagne coulait elle affichait un doux sourire rendu de parturiente – ses yeux étaient cernés, j’imaginais qu’elle avait passé la nuit à revoir son exposé, trop excitée pour trouver le sommeil. Gilbert de Morgan, son directeur de thèse, était là bien sûr ; je l’avais déjà croisé à Damas. Il ne cachait pas sa passion pour sa protégée, il la couvait d’un œil paternel qui louchait doucement vers l’inceste au gré du champagne : à la troisième coupe, le regard allumé et les joues rouges, accoudé seul à une table haute, je surpris ses yeux errer des chevilles jusqu’à la ceinture de Sarah, de bas en haut puis de haut en bas – il lâcha aussitôt un petit rot mélancolique et vida son quatrième verre. Il remarqua que je l’observais, me roula des yeux furibards avant de me reconnaître et de me sourire, nous nous sommes déjà rencontrés, non ? Je lui ai rafraîchi la mémoire, oui, je suis Franz Ritter, nous nous sommes vus à Damas avec Sarah – ah bien sûr, le musicien, et j’étais déjà tellement habitué à cette méprise que je répondis par un sourire un peu niaiseux. Je n’avais pas encore échangé plus de deux mots avec la récipiendaire, sollicitée par tous ses amis et parents que j’étais déjà coincé en compagnie de ce grand savant que tout le monde, en dehors d’une salle de classe ou d’un conseil de département, souhaitait ardemment éviter. Il me posait des questions de circonstance sur ma propre carrière universitaire, des questions auxquelles je ne savais pas répondre et que je préférais même ne pas me poser ; il était néanmoins plutôt en forme, gaillard, comme disent les Français, pour ne pas dire paillard ou égrillard, et j’étais loin de m’imaginer que je le retrouverais quelques mois plus tard
à Téhéran, dans des circonstances et un état bien différents, toujours en compagnie de Sarah qui, pour l’heure, était en grande conversation avec Nadim – il venait d’arriver, elle devait lui expliquer les tenants et aboutissants de la soutenance, pourquoi n’y avait-il pas assisté, je l’ignore ; lui aussi était très élégant, dans une belle chemise blanche à col rond qui éclairait son teint mat, sa courte barbe noire ; Sarah lui tenait les deux mains comme s’ils allaient se mettre à danser. Je me suis excusé auprès du professeur et suis allé à leur rencontre ; Nadim m’a aussitôt donné une accolade fraternelle qui m’a ramené en un instant à Damas, à Alep, au luth de Nadim dans la nuit, enivrant les étoiles» (p. 14-15)
Afficher en entierComme disait Bilger, citant Le Bon, la brute et le truand : "Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un revolver, et ceux qui creusent."
Afficher en entierLa musique est un beau refuge contre l'imperfection du monde et la déchéance du corps.
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… l’humilité de la vie nomade est une des images les plus fortes de l’Islam, le grand renoncement, le dépouillement des oripeaux mondains dans la nudité du désert — c’est cette pureté, cette solitude qui m’attirait moi aussi. Je voulais rencontrer ce Dieu si présent, si naturel que ses humbles créatures, dans le dénuement complet, s’appellent « les chiens de Dieu ». Deux visions s’opposaient vaguement dans mon esprit : d’un côté le monde des « Mille et Une Nuits », urbain, merveilleux, foisonnant, érotique et de l’autre celui du « Chemin de La Mecque, du vide et de la transcendance ; Istanbul avait signifié ma découverte contemporaine de la première forme — j’espérais que la Syrie me permette non seulement de retrouver, dans les ruelles de Damas et d’Alep aux noms enchanteurs, la rêverie et la douceur sensuelle des Nuits, mais aussi d’entrevoir, au désert cette fois-ci, la lumière avicennienne du Tout.
Afficher en entierL'original, l'essence, se tiendrait entre le texte et ses traductions, dans un pays entre les langues, entre les mondes, quelque part dans le nâkodjââbad, le lieu-du-non-où, ce monde imaginal où la musique prend aussi sa source. Il n'y a pas d'original. Tout est en mouvement. Entre les langages.
La traduction comme pratique métaphysique. La traduction comme méditation.
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