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La matière ne parle pas, mais elle réagit. Elle réagit aux efforts que je lui impose. Et pour connaître ses réactions, je dois la tripoter et la manipuler inlassablement et parfois aller chercher son point de rupture pour qu'à la fin se forme cette intimité où "habité" par elle, je me la suis appropriée. A ma mesure, à mon corps, à mes capacités, à mes limites. Si la notion de subjectivation à un sens, ce ne peut être que dans ce rapport avec la matière dans un corps à corps avec elle, lorsque cette matière devient, enfin, habitée par la vie.
Afficher en entierComme le tripotage de la terre par Giacometti, le tripotage des mots par Baudelaire passe par : "soulignements des mots, ratures, reprises des formulations, nouveaux soulignements de rage et de supplique, exclamations, changements d'encre, de feuilles, de tons, substitutions des majuscules aux minuscules, tirets marginaux, éclats de l'impatience, soucis de la précision, points d'interruption, dessins, encadrements, suppressions, recommencements du commencement de l'énoncé...- terrible a été le travail de Baudelaire". Et Thélot d'ajouter : "ce travail identique à sa vie, son soulèvement de ses censures, son surmontement de ses obstacles, et son obstination, grevée du sentiment d'être incompris, irritée et souvent exténuée de tenir tête aux facilités disponibles, aux risques d'entraver l'affectivité par les concepts".
Ici Thélot franchit un pas de plus : au-delà du tripotage de la matière sonore des mots, du travail de prosodie, il indique la souffrance, l'obstination, l'endurance et l'engagement de la subjectivité tout entière dans ce corps à corps avec le rythme et la rime, sans lequel il n'y aura pas d'avènement, il n'y aura pas d'advenue de la forme poétique qui se cherche à travers cette lutte avec la résistance de la matière à la maîtrise.
Afficher en entierPour Léonard comme pour Giacometti, il y a un temps de lutte avec la matière même. Lutte sans laquelle il n'y aurait, à mon avis, pas de création. Lutte qui passe par un corps à corps avec la matière à travailler, lutte où se joue la mobilisation du corps de l'artiste, comme condition sine qua non d'un rapport pulsionnel avec la matière d'où émergera peut-être l’œuvre : lutte avec la toile, les couleurs, les solvants, les pinceaux, lutte des mains et des doigts avec la terre pour en éprouver la résistance, l'inertie, la dureté, la mollesse, l'indocilité, la viscosité, la malléabilité et en faire, enfin, émerger la forme appelée pour traduire ou retraduire le message énigmatique de l'adulte.
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