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Je suis la fille qui lit des livres qui n’existent pas encore. Qui se glisse dans les mots des autres.
Afficher en entierLes années filent. Je les regarde en transparence. Plongée dans mes livres, mes classeurs. Au fond des cafés où j'observe en secret. Au fond des cinémas les yeux rivés aux écrans. Ainsi je me sens à ma place. Effacée. Noyée dans la masse.
Afficher en entierMon père disait : il n’a besoin de rien. La vie le traverse. L’air et le vent, l’eau des rivières, les arbres et la roche. Les bruissements d’animaux. Les états du ciel. La configuration des étoiles. Il a renoncé à tout le reste. Et si tu le voyais. La paix qu’il dégage. L’absolue sérénité.
Afficher en entierMon père la vénérait. Son long corps d'Ipanema. Ses seins menus. Son cul haut perché. Sa peau brune constellée de grands bijoux dorés. Son sourire vorace. Son extravagante coupe afro. Ses manières de parler fort, de rire aux éclats. La violence de ses colères. Elle l'aimantait, le rendait dingue. C'était une fille intensément vivante, tellurique. Aussi solaire qu'il était taciturne. Aussi limpide qu'il était labyrinthique. Aussi joueuse et tendre qu'il pouvait être fermé, coupant.
Afficher en entierUn parfum de café et de pain grillé s'insinue dans la chambre, se faufile entre nos peaux collées, contamine le goût de nos bouches, notre salive. A nouveau, nous basculons l'un sur l'autre et il m'emplit et je le contiens tout entier. Son corps lisse et maigre. Ses membres déliés. Soudain si lourd au moment de s'affaisser. Comment en sommes-nous arrivés là. Inconnus l'un à l'autre, touristes de hasard baisant dans le matin d'Alfama.
Afficher en entierSimon prétendait que tout cela avait agi sur lui comme un électrochoc. Un révélateur. Les larmes le submergeaient à l'improviste. Il regardait autour de lui. L'appartement que nous partagions. Mon visage penché sur un livre, un manuscrit. Le thé dans la tasse japonaise. Les lumières tamisées. La musique sans paroles. Nue. Désossée. Ce n'était pas vivre. Ce calme. Cette douceur. Ces demi-teintes. Ce n'était pas vivre. Il en prenait soudain conscience. Il vivait avec une ombre. Et cela l'avait contaminé. Il n'en pouvait plus. Des photographies fanées, des guirlandes, des coussins, des bougies. Des jardins en automne. De la pluie sur les toits. Des plages désertes. Des stations balnéaires hors saison. Des marées basses, des villes mélancoliques. Des films doux-amers, des chanteurs nostalgiques, des romans délicats. Des plaids, des théières, des étés bretons. Des soleils couchants. Du famous blue raincoat. De nos absences d'engueulades. De nos sourires trop doux. Des étreintes consolatrices. De la fille aux cheveux longs, robes d'autrefois, bottines à lacets, bijoux minimaux, sourire léger flottant sur des lèvres silencieuses, discrète aux confins de l'effacement, pudique aux lisières de l'empêchement qui se tenait à ses côtés. Du deuil incertain, fantomatique, où je m'enlisais sans fin. Il voulait autre chose. Des cris. Des larmes. De la joie. Des confessions fiévreuses. Des baises sauvages, brutales, éreintées. Il voulait la nuit profonde, des jours féroces, le soleil cru, la brûlure.
Afficher en entierLes irruptions de mon père dans ma vie d'enfant furent rares mais elles me reviennent avec une précision que ne revêt aucun autre souvenir de cette période. A l'inverse, les semaines, les mois, les années vécus dans les parages de ma mère, dans son appartement où elle ne faisait que passer, dormir, où elle ne prenait vie qu'à la tombée du jour, sont couverts de brume, se réduisent à quelques sensations, une nuée d'images aussi troubles que silencieuses, et toujours filmées de nuit.
Afficher en entierTout ici succombe à l’inclinaison. Les tuiles orange coulent en cascades, ruissellent des ruelles, se suspendent aux abords des belvédères, puis replongent vers le fleuve. La ville entière semble s’y glisser peu à peu, se couler dans ses eaux bleu nuit, y sombrer sans fin. Sous la surface opaque, j’imagine des quartiers anciens. Des palais délabrés engloutis par les flots. Enlisés dans les sables.
Afficher en entierJe suis celle qui n'a pas de voisine en classe. Celle qu'on oublie d'inviter aux gouters d'anniversaire. Celle qui ne connaît aucun des noms qu'on prononce autour d'elle. Celle que jamais son père pas plus que sa mère ne viennent chercher à l'école . Celle qui n'a pas de père agriculteur; de mère comptable, celle qui s'endort sur un canapé au milieu du vacarme, des bouteilles vidées, des joints consumés.
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