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La femme se redressa et me tapota l’épaule de son pied.
— Brave petite. Allez, lève-toi ! Je ne t’ai pas achetée pour rien. Tu dois m’aider à tuer quelqu’un et après, je te rendrai ta liberté et ton linceul. Je suis plutôt sympa, ce ne sont pas tous les engeôleurs qui agiraient ainsi. Je te l’ai dit, considère-toi en stage chez un petit artisan ! Ça va être pénible pour toutes les deux, alors plus tôt ce type meurt, plus tôt on se sépare. Lève-toi et suis-moi.
Afficher en entier— Tu es morte. Quant à cette substance que tu craches, il s’agit d’un fluide d’embaumement, un produit biocide que les croque-morts utilisent pour empêcher les cadavres de devenir des petites bombes bactériologiques. La transformation en vampire est un procédé spirituel évolué. Les agents de ta mutation considèrent la présence de la solution comme une intrusion nocive au déroulement correct du processus. Ton corps se charge donc de la rejeter.
Afficher en entier— C’est que si tu ne manges pas ce bout de chiffon jusqu’à son dernier fil, tu ne seras pas tout à fait de retour chez les vivants. Tu continueras à te décomposer, lambeau par lambeau, tes organes se putréfiant en une bouillie infecte. Alors, si tu ne veux pas devenir un cadavre ambulant, il te faut m’obéir. Lorsque tu auras accompli ta tâche, je te le rendrai.
La pouffiasse !
Afficher en entierLe souvenir me percuta comme un trente-six tonnes. En cela, il ressemblait au poids lourd qui nous avait coupé la voie, à Gilles, Dounia, Sofien et moi. On rentrait de virée, c’était un dimanche soir, tard – sans doute juste après vingt-deux heures. On s’apprêtait à quitter l’autoroute. Le capot s’était plié aussi facilement qu’une feuille. Le choc m’avait enfoncé la ceinture dans le torse, et d’autres choses dans le ventre, des trucs métalliques, pointus, des lames chaudes et tordues qui n’auraient jamais dû pénétrer la chair. J’étais morte cette nuit-là, je m’en souvenais très bien. Pourtant, je bougeais encore ; je ne respirais plus.
Afficher en entierJ’ai eu deux naissances. La première, comme tout un chacun, je ne m’en souviens guère, mais j’imagine qu’elle a été angoissante et douloureuse. La seconde ne dépareilla pas. Du sang, le goût du sel et la souffrance, si horrible…
Afficher en entierChapitre 1 – En travers de la gorge
Je m’éveillai en sursaut et cognai dans un mur. Je voulus crier, mais un tissu était enfoncé dans ma bouche. Il descendait si profondément que l’air ne passait plus. Mes mains montèrent vers mon visage pour ôter le chiffon. Enfin, elles essayèrent : j’avais à peine remué que la douleur me tétanisa. Ça faisait un mal de chien. Chaque muscle de mon corps hurlait. J’avais déjà eu de sacrées crampes, mais là, ça dépassait tout ce que j’avais connu. Je paniquai. La souffrance lacérait mes fibres d’un tendon à l’autre et mordillait ceux-ci avec des petites dents pointues. J’ouvris grand les mâchoires, tentai d’inspirer par les narines. Rien à faire. L’effort mena mon cerveau au bord de l’implosion. Mon crâne brûlait à force de retenir cette bouillie survoltée. Je me débattais contre l’angoisse et le moindre geste menaçait de m’envoyer dans les vapes. Je mourrais si je bougeais. Si je ne bougeais pas, j’allais étouffer.
J’essayai de nouveau, avec toute la lenteur dont j’étais capable, mais le supplice me coupa le souffle.
…
Quel souffle ?
Depuis combien de temps étais-je consciente, à présent ? Longtemps, trop longtemps… Et avant que je ne m’éveille, suffoquais-je depuis des secondes, des minutes, un quart d’heure ?
Comment faisais-je pour ne pas m’évanouir ? Avec ce maudit chiffon, aucun air n’était passé dans ma gorge depuis que je m’étais éveillée. Ce n’était pas possible ! J’aurais déjà dû tourner de l’œil – ou convulser, n’importe quoi ! N’importe quoi sauf ce corps qui refusait de bouger et qui n’avait plus besoin de respirer. Wallah, qu’on me sorte de ce cauchemar !
Je ruai de terreur et de frustration. La secousse m’arracha un hurlement muet qui râpa mes cordes vocales et parvint à dénouer le cauchemar qui me ficelait. Des hoquets nerveux remontèrent le drap dans ma trachée. Je le voyais, à présent : j’étais allongée sur le sol d’une cave avec pour tout confort un carré de tissu. Je l’empoignai à deux mains et tirai dessus, alors que mon œsophage se contractait afin de le vomir. Il glissa sur vingt, peut-être trente centimètres. J’avais des haut-le-cœur, mais je n’étouffais pas. Et ça me glaçait les veines.
Je dégageai le dernier morceau. Une bile gicla de ma bouche, mélange de sang et d’une substance glaireuse. Je toussai et l’air pénétra dans mes poumons. Je crissai des dents. Ça me faisait un mal de chien. Ça n’était pas naturel… Ça ne l’était plus.
Le souvenir me percuta comme un trente-six tonnes. En cela, il ressemblait au poids lourd qui nous avait coupé la voie, à Gilles, Dounia, Sofien et moi. On rentrait de virée, c’était un dimanche soir, tard – sans doute juste après vingt-deux heures. On s’apprêtait à quitter l’autoroute. Le capot s’était plié aussi facilement qu’une feuille. Le choc m’avait enfoncé la ceinture dans le torse, et d’autres choses dans le ventre, des trucs métalliques, pointus, des lames chaudes et tordues qui n’auraient jamais dû pénétrer la chair. J’étais morte cette nuit-là, je m’en souvenais très bien. Pourtant, je bougeais encore ; je ne respirais plus.
Je me tenais à genoux dans une cave de terre battue, aux murs couverts de chaux, avec pour seule compagnie une ampoule pâlotte et une échelle en alu. Au-dessus de celle-ci se découpait une trappe. Elle s’ouvrit alors que je la fixais encore. Une tête passa dans le trou : le visage d’une jeune femme à l’air sévère, aux cheveux mi-longs noués en tresse. Elle fronça les sourcils.
— Ne m’attaque pas. J’ai de quoi me défendre.
Sa main apparut, qui tenait un taser. Je ne comprenais pas. Elle avait dû me droguer pour que je me sente aussi mal : je n’étais certainement pas en état de me battre. Elle descendit avec une expression de profonde méfiance. On m’avait déjà observée comme ça, quand j’étais une gamine et ado. Le genre de regard qu’on lance à une Maghrébine qui traîne un peu trop autour d’un sac ou d’un portable. Néanmoins, il y avait dans ses yeux une nuance que je n’avais jamais croisée. Je n’aurais pas su dire quoi – je douillais trop pour me concentrer –, mais ça ne me disait rien qui vaille. Une vague sensation de menace me frisait les poils des bras. Je levai les mains, histoire de montrer que je coopérais. Mes gestes étaient lents, encore gênés par ces espèces de courbatures, et j’espérais qu’elle ne prendrait pas ça pour une bravade. La parano avança encore d’un mètre. Son odeur me gifla. Elle me donna faim, à tel point que le gouffre qui me tordit l’estomac dissipa toutes mes souffrances. Je grimaçai et dus mettre une main par terre pour éviter de tomber. Je n’avais jamais connu une fringale pareille. Lorsque je parvins à regarder de nouveau ma geôlière, ses traits s’étaient durcis au point de creuser ses joues en une grimace de tueur à sang froid. Son arme pointait vers moi. Aussitôt, je feulai et me ramassai pour bondir sur ma proie. Une douleur aiguë perça mes mâchoires. Je me figeai.
Cette femme, ma… proie ?
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