Ajouter un extrait
Liste des extraits
Je vous attendrai demain soir, entre six heures et six heures et demie, à la sortie de la gare de Sendagaya. J’aurai dans les cheveux une fleur artificielle, une rose rouge.
Afficher en entierLe jour où j’étais rentré au Japon, elle s’était trouvée dans le même train que moi entre Kôbe et Tôkyô. Elle était allée à Ôsaka accueillir son père, de retour de Formose. Comme ils venaient de regagner leur place après avoir passé un moment au wagon-restaurant, je les avais abordés, à ce qu’il paraissait, et j’avais tendu à son père, croyant qu’il lui appartenait, l’éventail qu’elle avait oublié sur une table.
En l’entendant parler ainsi, je me rappelai vaguement cette scène. C’était donc elle, cette adolescente en costume bleu foncé de style marin, dont je n’avais gardé aucun souvenir précis, sans doute parce qu’elle n’avait pas relevé un seul instant la tête de son tricot ? Effectivement, il me semblait retrouver à présent, dans sa physionomie, une certaine ressemblance avec l’homme âgé au front luisant, au regard pénétrant, qui était alors assis à son côté.
Afficher en entierCe soir-là, je rentrai directement chez moi, sans traîner en ville. Ce fut pour y trouver, sur mon bureau, une lettre qui parlait encore de rose rouge. Le lendemain, je sortis un peu plus tôt que d’habitude, passai chez le coiffeur, et m’arrêtai même en chemin pour faire cirer mes chaussures. Quand je descendis sur le quai, à la gare de Sendagaya, la fille était là, debout au même endroit que la veille, dans la même attitude d’attente. Dès qu’elle m’aperçut, elle s’approcha de moi d’un pas résolu, sans la moindre gêne.
Afficher en entierÉvidemment, je n’étais pas allé au rendez-vous. Curieux de savoir comment elle avait réagi, j’ouvris la lettre datée du jour suivant : « … j’aurai dans les cheveux une fleur artificielle, une rose rouge… » Le contenu était, mot pour mot, rigoureusement le même que celui de la première. Me piquant au jeu, je saisis aussitôt la lettre datée du jour précédent, pour y découvrir de nouveau le même refrain sur la rose rouge. Je déchirai une enveloppe, et une autre, et une autre encore, jusqu’à la toute dernière, qui venait d’arriver ce soir-là. Je restai stupéfait, les douze ou treize messages étaient tous identiques. Cela me donna envie cette fois de remonter dans le temps, jusqu’aux deux ou trois premiers envois. Je m’aperçus qu’avant la série des roses rouges, il y avait eu sept ou huit lettres qui renfermaient toutes la photo de la fille assise sur la peau de tigre, et avant celles-là, quelques autres contenant le poème sans queue ni tête. Je restai immobile au milieu de cette volumineuse paperasse, conscient soudain de l’étrange curiosité qui m’attirait déjà vers cette fille. Et brusquement, je me décidai : « Demain soir, j’irai au rendez-vous ! »
Afficher en entierCe manège durait déjà depuis près d’une semaine quand je me rendis compte que les petites enveloppes habituelles avaient été remplacées par une grande. Je l’ouvris distraitement : elle contenait, en plus de la lettre, la photo d’une jeune femme, dans un décor cossu, tout ce qu’il y avait de plus bourgeois, avec son piano, son divan recouvert d’une peau de tigre. Le lendemain matin, avant de sortir, je montrai cette photo à ma femme.
« Tiens, elle est d’une famille riche, on dirait ! Je parie que tu sors avec elle !
Afficher en entierÀ peine rentré de l’étranger, j’avais loué à Kamata une petite maison de cinq pièces, trois au rez-de-chaussée, deux au premier étage, et je m’étais installé en haut, tandis que ma femme vivait en bas, de son côté, avec l’enfant. À l’époque, nous avions déjà décidé de nous séparer, il ne nous restait plus qu’à régler certains détails pratiques. Il faut dire qu’après dix ans d’absence les Japonaises me paraissaient si jolies que dès le réveil je n’avais qu’une idée, sortir pour flâner dans les rues, et le soir je traînais dans les salles de danse et les cafés en quête d’aventures jusqu’à une heure avancée de la nuit, et avec tout cela il m’arrivait souvent de ne pas voir ma femme pendant plusieurs jours.
Afficher en entier