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Bien que l’intimité de la famille ne fût plus ce qu’elle
était, Rachel admettait que les trois femmes savaient efficacement la décharger de la gérance de la maison. Depuis qu’elles étaient là, tout roulait rondement. Le ménage
était impeccable ; les repas excellents ; les courses toujours faites. Autant l’intérieur que l’extérieur de la maison était sous bonne garde. Le jardin et les plates-bandes étaient exempts de mauvaises herbes et la pelouse était soigneusement tondue. Et même si Rachel ne pouvait plus y voir personnellement, tout au long des deux derniers mois, ses quatre filles avaient été ponctuellement conduites et ramenées de leurs activités parascolaires.
Ses belles-soeurs voyaient à tout, sous la gérance de leur mère, qui distribuait les tâches et veillait à leur exécution.
Même Luce et Charlotte étaient contraintes de mettre la main à la pâte sous l’égide de leur grand-mère.
« Ma pauvre Rachel, comment as-tu éduqué tes filles ?
Elles sont bien trop gâtées. C’est une honte de les laisser vivre comme des princesses avec tout ce que tu as sur les bras ! »
Une honte, peut-être pas, mais Clarisse avait en partie raison : à quatorze et seize ans, ses filles pouvaient s’impliquer davantage au sein de leur famille. Évidemment, il y avait eu des grognements de la part de Charlotte.
Afficher en entierSelon Bill, la maladie de Martine avait complètement transformé la personnalité de sa soeur, pour en faire quelqu’un d’amorphe et de taciturne. Il croyait que, à la suite de sa longue maladie, elle n’avait jamais tout à fait repris goût à la vie. À quarante ans, Martine n’avait aucune joie de vivre dans le regard.
Afficher en entierLa première fois que Rachel avait rencontré sa bellemère, veuve depuis longtemps, elle lui avait immédiatement fait penser aux idoles de l’île de Pâques : grande et large, la figure carrée et les traits sévères. Une femme de qui on ne se sent jamais apprécié, par qui on se sent continuellement jugé. Clarisse parlait peu et souriait rarement, mais Rachel ne s’en offusquait plus.
Afficher en entierEn tant que mère aimante, Rachel déplorait surtout la distance que Charlotte avait instituée entre elles. Un rejet en règle. Lui parler était difficile, la toucher était impossible. Bill avait-il raison de prétendre qu’un jour
Charlotte redeviendrait affectueuse comme avant ?
En attendant, pour s’assurer de ne pas perdre le contrôle, Rachel devrait continuer à croiser le fer avec elle.
Afficher en entierLes sauterelles – comme on les surnommait depuis qu’elles avaient appris à danser la claquette – étaient celles qui semblaient le moins affectées par l’absence de leur père. Peut-être qu’à six ans on se rend moins compte... Elles étaient si jolies, si affectueuses. Rachel sourit.
À sa gauche était assise Luce, quatorze ans. Sa deuxième née chipotait dans son assiette, comme d’habitude. Victime d’un estomac nerveux, manger avait toujours été une bataille pour elle. Après de nombreuses consultations auprès de spécialistes, il s’avérait que Luce était une véritable spécialiste du contrôle de soi. Simplement, son estomac digérait tant bien que mal frustrations et inquiétudes. Depuis l’accident de Bill, la pauvre enfant devait négocier avec chaque bouchée.
Afficher en entierÀ la droite de Rachel, les jumelles mangeaient avec appétit. Identiques, Janet et Coralie n’en étaient pas moins de caractères très différents. Janet était fonceuse, protectrice, imprudente. Coralie, elle, était peureuse,
émotive, timide. De même, Janet portait des couleurs vives tandis que Coralie préférait les teintes pastel. Bien que très opposées dans leurs personnalités, les jumelles se complétaient merveilleusement ; elles ne faisaient rien l’une sans l’autre.
Afficher en entierPendant deux mois et quatre jours, Rachel avait parlé
à Bill ; lui avait chuchoté des mots d’amour ; lui avait demandé pardon d’avoir été si maladroite ; l’avait supplié
de ne pas les abandonner, d’ouvrir les yeux, de lui presser la main. En vain.
Aujourd’hui, elle lui dirait qu’elle acceptait de le laisser partir. Elle savait que c’était ce qu’il souhaiterait.
Afficher en entierLes premiers temps, après l’accident, et en dépit de ce que les spécialistes en disaient, Rachel était restée au chevet de son époux, épiant le moment où il émergerait enfin. Toujours cette pensée magique : Bill est fort. Il va revenir. Il ne peut pas nous abandonner. Puis, sans pour autant cesser d’espérer, était venu le moment où Rachel avait dû se résoudre à reprendre le cours de sa vie. Dans le but de liquider le retard accumulé par son absence, elle devait désormais travailler davantage au bureau, multiplier les visites d’acheteurs. Le matin, elle rentrait plus tôt, et le midi, elle mangeait à la va-vite devant ses dossiers.
Afficher en entierCette décision la déchirait. Se séparer de Bill –
l’homme de sa vie –, accepter de ne plus jamais le toucher, l’embrasser, le regarder... Accepter qu’il disparaisse définitivement... Comme elle souffrait ! C’était pire que tout. Pire que lorsqu’elle avait découvert sa petite Mollie, âgée de quelques semaines, morte dans son sommeil du syndrome de la mort subite du nourrisson.
Elle avait surmonté cette épreuve en se rabattant sur ce qui lui restait : ses enfants et Bill.
Afficher en entierCette nuit encore, Rachel avait peu et mal dormi. Ce matin, pour la première fois depuis deux mois, elle capitulait devant le diagnostic des médecins. Elle ne pouvait plus faire l’autruche. En dépit de toutes ses prières, il n’y aurait pas de miracle pour Bill.
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