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Ma carrière pourrait se résumer à mon répertoire de standards, c’est-à-dire aux chansons que j’emprunte aux autres car, malgré ma virtuosité, je n’ai pas réussi à intéresser un parolier ou un compositeur. Je connais tous les succès de la rumba et du son que j’interprète avec brio, mais personne ne m’a gratifié d’un texte qui soit à moi, rien qu’à moi, avec mon nom gravé sur le disque. Bien sûr, j’aimerais éditer un tube avec ma photo sur la jaquette, survolter les troquets avec mes chansons à moi ou écouter distraitement ma musique dans un taxi, tandis que le chauffeur perd de vue la route à force de se demander si c’est moi ou un sosie – hélas, les choses fonctionnent au gré des sonates qui nous échappent. Dire que ça me passe au-dessus de la tête, ce serait mentir sans vergogne. Je suis un artiste-né ; le statut de doublure me frustre cruellement quand, en me contemplant dans la glace, je me trouve une « belle gueule » franche qui mériterait de vrais lauriers. Cependant, je me ressaisis. Si je n’ai pas mon nom en haut de l’affiche, ça n’ôte rien à mon talent. Lorsque je tiens un micro dans mon poing, j’accède d’office au nirvana – ce que je suis avant de monter sur scène et ce que je deviens à l’instant où la salle se vide m’importent peu. Je rentre chez moi si épuisé et ravi que je m’endors avant que ma tête touche l’oreiller.
Afficher en entierUn soir, dans une salle archibondée, j’avais assisté à un concert d’El barbaro del ritmo, l’inimitable Benny Moré.
Quel choc !
Je venais de rencontrer mon prophète.
J’avais dix ans et donc toute la vie devant moi pour faire de la musique mon culte et de chaque partition, une messe.
C’est ainsi que je suis devenu chanteur.
Je m’appelle Juan del Monte Jonava et j’ai cinquante-neuf ans. Dans le métier, on me surnomme « Don Fuego » parce que je mets le feu dans les cabarets où je me produis.
Afficher en entierC’est lui qui m’a appris à faire d’un sandwich un festin. C’est encore lui qui m’a certifié qu’être un homme, un vrai, revient à ne pas essayer d’être autre chose que soi-même – de cette manière, au moins, on ne trompe personne.
Le seul conseil qu’il m’a donné est : « Vis ta vie. » D’après lui, c’était l’unique conseil sensé.
Afficher en entierLorsque la Révolution éclata, mon père se planqua à la maison durant des mois. Non par peur, mais par principe. Pour lui, se sacrifier était la plus grande injustice que l’on puisse s’infliger. « Mourir pour un idéal, arguait-il, c’est confier cet idéal aux usurpateurs ; les orphelins auront beau le réclamer, personne ne le leur rendra. »
Afficher en entierMa mère était choriste. À Trinidad, sa ville natale, on la surnommait la « Sirène rousse ». Elle était un ravissement, avec sa peau de nourrisson, ses cheveux flamboyants qui cascadaient jusqu’à ses fesses et ses yeux verts, brillants comme des émeraudes. Lorsque mon père l’entendit chanter pour la première fois, il fut conquis corps et âme. Il l’épousa dans la foulée. Leurs noces se réinventaient chaque soir, leurs étreintes les scellaient ; il leur suffisait de se regarder pour que les aurores boréales se substituent à leurs prunelles. Rarement amour aura été aussi fort. C’était l’amour des gens simples qui, se sachant faits l’un pour l’autre, deviennent à eux seuls le monde.
Afficher en entier« Qui rêve trop oublie de vivre », disait Panchito.
J’incarne mon propre rêve, pourtant je croque la vie à pleines dents sans en perdre une miette.
Je cherche toujours le bon côté des choses car elles en ont forcément un. Je vois le verre à moitié plein, une forme de sourire par-dessus la grimace, et la colère comme un enthousiasme dénaturé.
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