Ajouter un extrait
Liste des extraits
Un long moment, Luther Lez regarda l'assiette de fer-blanc posée sur la table, devant lui. A n'en pas douter, il faisait un violent effort pour maîtriser cette colère noire qui montait du fond de son être. Il était assis, tout raide, les poings serrés, tandis qu'un tremblement envahissait progressivement les muscles de ses joues mal rasées.
Luther n'était pas un homme habitué à l'effort. A aucun effort, il avait toujours vécu au fil de la plus anarchique fantaisie, dans cette cabane de bois miteuse, en dehors de Vulcan, coincée entre la lande, le marais, les pineraies et la montagne de Savage Range. Quand il avait soif, il buvait ; quand il avait faim, il chassait ou il tendait un piège... à la rigueur, il volait un peu ; et à ce propos, il valait mieux ne pas chercher à approfondir l'origine de sa basse-cour. C'était sa vie, et ce n'était jamais compliqué. La guerre elle-même n'avait pas tonné suffisamment haut pour prétendre déranger Luther Lez.
A présent la guerre était finie.
C'était en avril 1865, et Luther Lez ne savait plus très bien où il en était. Jamais personne n'avait eu la singulière idée de l'envahir, et, quelques jours auparavant, il était encore tout disposé à se laisser dorer par le soleil printanier... éternellement, sans rien demander à personne, fidèle à une ancestrale habitude. Et voilà que l'inconcevable s'était produit !
On avait envahi Luther Lez.
Il se dressa d'un bond, comme un ressort qui se détend, et ses deux poings serrés s'abattirent sur la table. L'assiette, le couteau, le gobelet d'étain tressautèrent. Un instant, Luther demeura ainsi, figé, avec toute cette colère qui lui tremblait dans les mains et les joues. Il promena tout autour de lui un regard d'abord chargé de haine..., puis progressivement, noyé d'une sorte de terreur blanche. Après quelques secondes, il offrait l'apparence du plus parfait désespoir.
Dehors dans le matin blanc de soleil, les chants et le bourdonnement des conversations montaient plus fort que jamais.
Luther chercha une arme, quelque chose. N'importe quoi. Un quelconque objet d'allure méchante qu'il puisse serrer dans ces mains, afin de se donner l'impression d'être tout de même quelqu'un avec qui il fallait compter.
Afficher en entier