Extraits

Une fois sa destination trouvée, il n’avait pas de raison de lambiner. Il attendit seulement que Baphomet s’en aille ‒ après s’être hurlé quelques insanités, au cas où ‒, puis plongea dans l’abîme qui séparait l’Enfer des terres des mortels et se laissa porter vers le sud-est des États-Unis.

Le Mississippi était toujours une bonne pioche, tout comme la Géorgie et certaines zones des Appalaches. Il se laissa guider par son radar à âmes, à la recherche d’une sensation et d’un goût particuliers. Il aimait que ses âmes soient ferventes. Pas d’unitariens. Ils étaient presque sans saveur. Il trouvait les mormons un peu salés, et les catholiques trop amers, mais les baptistes du Sud avaient un goût de caramel au sucre brun, les méthodistes de caramel classique, et les pentecôtistes ‒ oh, c’étaient ses préférés ‒, leurs âmes avaient un goût de barbe à papa, collantes et sucrées.

— Que la paix et l’amour soient avec toi, Frère Abaddon. Tu le mérites.

Et à présent, c’était au tour d’Abaddon d’avoir l’impression que l’univers lui donnait un coup de pied dans les couilles.

— M. Abaddon ? demanda Seth, une main tendue comme pour le soutenir. Ça va ?

Abaddon dut s’efforcer de se redresser.

— Oui.

Techniquement, il allait bien, mais l’effet que le garçon produisait sur son esprit dépassait l’entendement. Il était à la fois écœuré et intrigué. Il n’avait pas ressenti de véritable excitation depuis des années – voire des décennies ‒, mais il reconnaissait toujours la douleur soudaine dans ses testicules. Il ne faudrait pas grand-chose pour que le sang se mette à affluer plus bas, et à ce moment-là, la toile installée par les monteurs du revival ne serait plus le seul chapiteau dans ce trou paumé du Kentucky.

Son âme avait beau appartenir à Satan, tout le reste de son être était comme de l’argile entre les mains délicates et pieuses de Seth.

— Et Satan ? Tu l’as rencontré ? Ou Dieu ?

— Je ne les ai jamais vus en vrai.

— Mais tu sais qu’ils existent ?

Abaddon n’était pas sûr d’aimer la tournure que prenait leur conversation.

— Je crois.

— Et si les démons existent, alors les anges aussi, non ?

— Ah, ça oui. Il était soulagé qu’ils ne parlent plus de Dieu.

— Les anges existent vraiment, ajouta-t-il.

— Tu en as déjà vu ?

— Eh bien, les démons ne peuvent voir les anges que quand ceux-ci veulent être vus. Ils peuvent se cacher de nous, mais nous ne pouvons pas nous cacher d’eux. Ils nous reconnaissent toujours immédiatement, même si je ne sais pas comment ils font. Mais j’en ai rencontré quelques-uns au fil des ans. J’ai croisé Hadraniel à un rassemblement de bikers une fois, et j’étais assis à côté d’Ambriel à un concert des Doobie Brothers.

Abaddon soupira et laissa retomber ses pieds par terre.

— Alors je suppose qu’il ne reste qu’une seule possibilité.

— Laquelle ?

— La Terre sainte.

Baphomet cligna des yeux, perdu.

— Israël ?

— L’autre.

— Oh. Le parc d’attractions. Bonne idée.

C’était au tour d’Abaddon d’être perdu. Il aurait pu croire que Baphomet plaisantait, mais son ami démon n’avait pas vraiment le sens de l’humour.

— Il y a un parc d’attractions nommé la Terre sainte ?

— Bien sûr. Ils rejouent le sermon sur la montagne et la crucifixion tous les jours.

— C’est dingue.

— C’est à Orlando.

— Pas étonnant.

Abaddon secoua la tête et se leva.

— Je ne vais pas non plus à Orlando.

— Alors, où ?

— Là où l’argent est rare et où la Foi coule à flots, déclara Abaddon en lui donnant une tape sur l’épaule. Dans la Bible Belt, mon pote. Quoi de mieux ?