Extraits

"Comment tu fais? lui avait demandé Wardle, perplexe, quand ils s'étaient revus par la suite. Mince alors j'aimerais bien connaitre ton..."

En voyant Strike lever ses gros sourcils, Wardle s'était subitement interrompu, comprenant qu'il avait été à deux doigts de lui faire un compliment.

"il n'y a aucun secret, avait dit Strike. C'est juste que certaines femmes sont attirées par les unijambistes en surpoids avec un nez de boxeur et des poils pubiens sur la tête.

-Si tu veux mon avis, le fait que ces femmes-là circulent librement prouvent que les psys ne font pas leur boulot dans ce pays", avait conclu wardle. Strike avait éclaté de rire.

Sans un sourire, Linda entraîna Strike avec elle. Ne restaient que quelques personnes dans la file des invités. Robin n’en pouvait plus de devoir sourire et répondre aimablement aux félicitations des uns et des autres.

« Pourquoi n’ai-je aucune trace des appels de Cormoran ? », marmonna-t-elle à Matthew pendant qu’un vieux monsieur s’éloignait à petits pas vers la salle sans avoir été ni accueilli ni remercié.

— C’est ce que j’essayais de t’expliquer…

— Pourquoi je n’ai pas eu ces appels, Matthew ?

— Robin, on ne pourrait pas remettre ça à plus tard ? »

La vérité lui tomba dessus avec une telle soudaineté que Robin étouffa un cri.

« C’est toi qui as effacé mon historique, articula-t-elle, son esprit accomplissant une série de déductions en une fraction de seconde. Tu m’as demandé mon code, dans la station-service, quand je suis revenue des toilettes. » Voyant la tête des mariés, les deux derniers invités jugèrent préférable de passer leur chemin. « Tu as pris mon téléphone. Tu as dit que c’était pour notre lune de miel. Tu as écouté son message ?

— Oui, répondit Matthew. Et je l’ai supprimé. »

La bulle de silence explosa, remplacée par un hurlement strident. Sa tête se mit à tourner. Elle était là, dans sa longue robe en dentelle blanche qu’elle détestait et qu’elle avait dû faire retoucher parce que leur mariage avait déjà été repoussé une fois, clouée sur place par les obligations mondaines qui pesaient sur elle. À la limite de son champ visuel, des visages se mêlaient par dizaines dans un brouillard tourbillonnant. Les invités affamés attendaient qu’elle donne le signal.

Puis elle aperçut Strike, de dos. Il était debout près de Linda, devant la table de son grand frère Stephen. Un serveur était en train de rajouter un couvert. Robin s’imagina courant vers lui et disant : « Sortons d’ici. » Comment réagirait-il si elle faisait une chose pareille ?

Ses parents avaient dépensé des milliers de livres pour ses noces. La salle de banquet était bondée. Tout le monde attendait que les mariés rejoignent leur place à la table d’honneur. Plus blanche que sa robe, Robin s’avança au bras de son époux sous un tonnerre d’applaudissements.

Dans le milieu social où baignait Charlotte, tout le monde savait qui était qui. Deux personnes pouvaient ne s'être jamais rencontrées mais se connaître quand même, par l'intermédiaire d'un frère, d'une soeur, d'un cousin, d'un ami ou d'un camarade d'université, ou bien encore parce que leurs parents respectifs étaient liés. Cette microsociété formait une tribu étroitement soudée, refermée sur elle- même et défendant farouchement son territoire. Il était rare que ses membres aillent chercher l'amitié ou l'amour à l'extérieur.

Robin finit de déchirer le papier Kraft et, comme elle s’y attendait, découvrit au fond de la boîte la demi-douzaine de micros que Strike avait remis à Jasper Chiswell durant le weekend. En tant que ministre de la Couronne, Chiswell n’avait pas à franchir les portails de sécurité, comme l’avait fait Robin en arrivant. Elle examina les engins. Ils ressemblaient à des prises de courant classiques et ils étaient conçus pour être branchés sur de vraies prises, lesquelles continuaient à fonctionner normalement. L’enregistreur intégré démarrait dès que quelqu’un se mettait à parler. Robin entendait son cœur battre dans le silence qui avait envahi la pièce après le départ d’Izzy. Elle commençait à mesurer la difficulté de la tâche qui l’attendait.

Robin passa en revue les indices pourtant évidents qu'elle, la grande détective, avait sciemment ignorés jusqu'à présent.

"Quelle imbécile ! murmura-t-elle à la pièce inondée de soleil. Comment j'ai pu être aussi conne ?"

"Il est difficile de rompre un amour établi. Difficile, oui, mais il faut le faire."

Il faut que je tienne, pensa-t-elle après qu'ils eurent raccroché. Je ne veux pas tout perdre encore une fois.

Quelle chose merveilleuse que de reprendre espoir alors que tout semblait perdu.

Il m'a dit que vous étiez son meilleur élément. Eh oui, c'est ce qu'il a dit.

Mais je pourrais bien dire que ça m'est égal.

Henrik Ibsen, Rosmersholm