Extraits

Il a bien fallu que je m’accorde le temps nécessaire pour cette quête… le temps nécessaire pour définir ce que j’ai réellement perdu, pour me donner les moyens de le retrouver et pour… découvrir si oui ou non cela présente pour moi quelque importance

Lorsque j’étais petit, ma nourrice me racontait l’histoire de la Voleuse d’Enfants qui enlève les bébés des familles nobles pour leur substituer des crétins issus d’Inclassables. Des années durant, j’ai eu la certitude que pareille chose avait dû arriver à HK et à SB… Après tout, ils ont choisi leur destin et si Finismonde les a engloutis sans laisser de traces, ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient. Derrière eux, il ne reste rien ni personne… à part moi… et moi-même, ils ne m’ont laissé qu’avec des souvenirs

Tel un clabbah échoué sur le sable, HK s’est redressé, tentant désespérément de prendre un air digne. — J’aurais dû me douter qu’il était inutile de faire appel à ton sens de l’honneur. Son ironie n’a pas eu plus de succès que ses grands airs. SB a pris HK par le bras et il l’a entraîné vers la porte. Puis il s’est retourné pour me cracher au visage : — Gedda ! Ensuite, je n’ai plus entendu parler d’eux et je me suis d’abord dit : « Bon débarras ! 

Je me suis toujours attendu à ce que SB commette une erreur de cette taille, mais toi, je ne pensais pas te rencontrer à plus d’une demi-galaxie de distance de nos ancêtres… et de tes terres. (Je me suis éclairci la gorge.) Les choses ont dû s’améliorer pour toi depuis l’époque à laquelle remontent mes souvenirs pour que tu puisses te permettre de délaisser ainsi la gestion de tes affaires. À moins que, depuis, tu n’aies pris une épouse et obtenu d’elle un héritier 

C’est alors SB qui m’a répondu : — Nous sommes venus faire fortune. D’ailleurs, nous ne faisons que passer. Nous allons à Finismonde. Et, prenant les devants sur ma réprobation, il a tenté de m’imposer le silence en dardant sur moi son regard. Il n’a pas changé, toujours aussi matamore et primaire. Maintes fois, j’ai dû soutenir des regards similaires depuis que j’ai quitté la maison, aussi lui ai-je dit : — Ça ne prend pas, tes grands airs, SB. Nous ne sommes pas tous restés des gosses

Existerait-il une réponse décente que je ne serais pas ici en train d’attendre mon tour de les suivre. J’ai pourtant conscience de n’être pas à ma place dans cette fournaise en compagnie d’une bande d’imbéciles ou d’illuminés qui cherchent seulement à échapper à leurs responsabilités ou à leur passé, qui voudraient obtenir les réponses sans avoir à poser de questions, qui ne font que tendre la bouche vers la manne du destin. Moi, je ne suis pas des leurs. Je n’ai pas le choix. Si je suis ici, c’est par devoir, pour sauver l’honneur de ma famille

Aucune d’elles ne me satisfait plus que la pure et simple absence d’explication. Depuis que je suis sur Numéro Quatre, j’ai toujours pensé qu’en ayant recours au meilleur matériel et en faisant appel à des Techniciens de Kharemough pour le manipuler on finirait par savoir la vérité. La Compagnie a englouti des fortunes dans la recherche d’une solution pratique… sans aucun résultat. Même les oracles n’ont pu fournir une réponse valable, bien qu’ils soient censés pouvoir répondre à n’importe quelle question. On ne leur a probablement pas posé la bonne

Pour un trop grand nombre d’entre eux, Finismonde est une véritable obsession. Les fous ! Mais après tout, il est normal et même inévitable qu’il en soit ainsi. Finismonde est une sorte de chancre en plein cœur du plus vaste continent de Numéro Quatre. Des millions de kilomètres carrés virtuellement toujours vierges malgré plusieurs siècles de présence de l’Hégémonie. Les raisons d’explorer ce territoire n’ont pourtant jamais manqué, ni celles de croire aux fortunes colossales réalisées par ceux qui ont osé s’y lancer. La Compagnie en est la preuve. Les profits qu’elle a tirés de ces étendues désolées ont donné aux Raffinages Universels plus de pouvoir que n’importe quelle autre organisation sur Quatre, à part, peut-être, le Conseil Planétaire. Ce sous-sol recèle d’inépuisables filons de minerais précieux, des gemmes grosses comme le poing… d’inconcevables richesses

En ville, je n’ai rien eu de plus pressé que de me payer un casque solaire et un verre d’eau fraîche. Ici, rien n’est gratis, pas même l’eau. Cette agglomération est le fief de la Compagnie, m’a expliqué le marchand, pas un lieu de villégiature. À Seuil, le trust qui contrôle Finismonde est connu sous le nom de Raffinages Universels Réunis, mais ici, on le nomme la Compagnie tout court. Sur son monopole exclusif, elle s’est enflée, corrompue, et son omniprésence est telle qu’on la rencontre à chaque coin de rue sur les enseignes des boutiques, sur les lèvres des gens, sur la combinaison blafarde qui sert d’uniforme à ceux qu’elle emploie. Ici, personne ne pose son regard sur autrui plus longtemps qu’il n’est nécessaire et j’ai pourtant la sensation d’être observé en permanence

J’ai reçu ces mots comme une gifle en travers du visage, une grossière injure qui m’eût été personnellement adressée. J’ai continué de fixer l’inscription jusqu’au moment où la crispation de mes mâchoires a fini par devenir douloureuse et par me faire prendre conscience qu’ici je n’étais plus le même homme. « Ça ne te regarde pas », me suis-je dit