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Extrait ajouté par Ziela 2017-02-14T14:14:25+01:00

— Ce que j’ai dit dans Paris Match, c’est la vérité vraie, demoiselle. Aujourd’hui, j’ai trouvé un sens à ma vie. Et ce sens, c’est toi. La seule façon de nous séparer, c’est que je meure, mais ce sera pas de ma main. Je veux vivre, Alice, je veux vivre pour toi.

Oh ! Bordel ! Ce n’est plus un torrent de larmes sur mes joues, c’est une piscine olympique.

Fred passe une main remplie de tendresse sous mes yeux.

— Pleure pas, princesse. Tout va bien ! Je suis désolé d’être aussi con et aussi franc, tout le temps.

— On a dit vérité vraie. Et tu l’as toujours respecté ce pacte, toi.

— Non. C’est faux.

Mes mains deviennent subitement moites et mon cœur tambourine tout ce qu’il peut face à son regard si empreint d’austérité. Que m’a-t-il caché ? Après la froideur extrême que j’ai ressentie durant tout notre échange, je suis brusquement envahie par une bouffée de chaleur intense.

Fred m’attire à lui. Mes seins se posent contre son torse et mon sexe entre en contact avec le sien, mais pour une fois, cela ne me fait rien. Dans le creux de mon ventre, mes papillons commencent à agiter leurs ailes, mais pas parce que j’ai envie de l’homme qui me fait face. Non.

Je sens le battement des papillons, parce que cet homme est sur le point de m’avouer une vérité qui, je le sens, va me briser le cœur. Et j’ai peur. Peur de ce qu’il s’apprête à me balancer, peur d’avoir mal face à sa foutue franchise. Malgré tout, sa franchise, je l’aime, même si elle me torture parfois.

Je me noie dans le regard ténébreux de Fred, mes papillons virevoltant avec une douce violence au plus profond de mes entrailles. Putain ! Oui, cet homme, je l’aime et tout ce qui va avec lui : ses coups de gueule, sa nonchalance, ses fêlures, sa force, sa beauté, ses débordements, son impulsivité, sa tendresse, sa dangerosité. Cet homme, je ne veux pas qu’il change. Jamais.

Je me fiche de ce qu’il a à me dire. Je ne veux pas l’entendre. Il en a embrassé une autre ? Je m’en fous. Il m’a trompée ? Tant pis, je lui pardonne. La seule vérité vraie dont je suis sûre, c’est que je ne peux plus me passer de lui.

Ma main vient caresser ses cheveux.

— Fred, j’ai pas besoin de savoir…

— Si. Cette vérité-là, je veux que tu l’entendes.

Je ferme les yeux et laisse mes larmes couler. Bordel ! Je vais avoir mal !

Il pose à nouveau son front sur le mien. Il est bouillant. Son souffle, si près de ma bouche, me tétanise. Je veux qu’il m’embrasse, je veux qu’il pose ses mains sur moi ; finalement, je veux qu’il me fasse l’amour, mais surtout pas qu’il parle.

— Alice, regarde-moi.

Sa voix est imprégnée d’une douceur que je ne lui ai jamais entendue. Surprise, je relève la tête. Ses yeux brillent d’un éclat qui fait fondre mon cœur. Mais que va-t-il m’avouer, nom de nom ? Et pourquoi cette lumière si intense dans ses yeux et ce visage si grave ?

Je me mords la lèvre jusqu’au sang, le cœur au bord de l’explosion.

— Fred, je…

Son regard se pose dans le mien, tellement hypnotique que je suis incapable de m’en détacher. Alors j’abandonne et me noie dans ses prunelles vertes flamboyantes jusqu’à m’y consumer. Telle Phèdre face à son Hippolyte, je ne peux plus parler, je sens tout mon corps transir et brûler.

Fred reprend la parole et moi, je tremble de tous mes membres :

— La vérité, c’est que t’es devenue ma vie, Alice. Depuis le jour où on s’est rencontrés, dans mon cœur, y a plus que toi.

Ses yeux s’enflamment, sa voix n’est que murmure, pourtant elle explose dans ma tête, telle une bombe nucléaire. Mon cœur éclate, purement et simplement. Cette révélation-là, purée ! je ne l’avais pas vue venir.

Fred se penche vers moi et laisse ses lèvres frôler les miennes en chuchotant :

— La vérité vraie ? Je t’aime, demoiselle. Je t’aime à en crever.

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Extrait ajouté par Ziela 2015-11-15T20:32:43+01:00

Tu voulais une réponse, Elsa ? L’amour, c’est de la merde, ça nous ronge de l’intérieur à en crever.

J’en veux à Alice.

Je lui en veux terriblement de s’être trouvée en travers de mon chemin, sur cette putain de route en septembre.

Bordel de merde !

Je lui en veux, parce que, cette fille, je l’ai dans la peau à m’en faire exploser le cœur. Jamais j’aurais cru qu’un truc pareil m’arriverait un jour.

La seule qui pourrait calmer ma rage animale cette nuit, ce serait elle. D’un geste, d’un regard, d’un mot, elle saurait m’apaiser. Près d’elle, je suis vivant, je suis moi‐même, je veux lui donner le meilleur. Dès que je la quitte, j’ai mal, ça me bouffe et je souffre. Je souffre d’un manque d’elle, de sa peau, de son odeur, de son rire.

Putain ! On dirait un camé sans sa dose d’héroïne.

Tu voulais une réponse, Elsa ? Oui, je l’aime, à en mourir.

Et si je refuse de lui parler de mon passé, c’est pour la préserver de toute cette merde, de toute cette haine qui me poursuit nuit et jour depuis dix ans. Elle a pas besoin d’en être imprégnée, non, je veux pas.

Et pourtant, Elsa, je sais au fond de moi que t’as raison. Bordel !

Je peux rien espérer sans lui avoir raconté. On peut pas avancer dans une histoire sans se dire la vérité. Ce passé que je tente d’oublier fait partie de moi. Je le fuis depuis dix ans, mais il s’accroche à moi, telle une ombre. Car il est mon ombre. Et on ne se débarrasse pas d’une ombre, on vit avec.

Putain de merde !

Je sais ce que je dois faire, ça me fait peur, mais j’ai pas le choix, j’ai plus le choix, parce que cette fille, je l’aime.

Finalement, quand on s’est embrassés la première fois, c’est pas elle qui a traversé le miroir, c’est moi.

Je relève la tête et regarde le merdier que j’ai foutu dans la chambre. Alice me traite souvent d’ado et je viens de lui donner raison. Un putain d’ado attardé.

Je m’enroule dans ma couette et ferme les yeux en soupirant. La fatigue s’abat sur moi et je la laisse m’emporter vers un sommeil noir, profond, sans rêve, sans cauchemar. Ça en devient si rare qu’en me réveillant, quelques heures plus tard, je me demande si j’ai réellement réussi à fermer l’œil durant la nuit.

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Extrait ajouté par Odlag 2016-07-17T15:36:00+02:00

— Cette clé, c’est pour te prouver que, moi aussi, j’ai confiance en toi, demoiselle. Toi et moi, je sais pas pourquoi, c’est fort, c’est dangereux, mais maintenant qu’on s’est trouvés, on a besoin l’un de l’autre. Ça me fout toujours puissamment la trouille, mais je commence à l’apprivoiser.

[...]

Ma voix tremble quand je demande, émue :

— Des âmes sœurs ?

Fred ferme les yeux.

— Je croyais pas que c’était possible, mais oui, t’es mon âme sœur, Alice. T’es devenue ma vie.

— Alors me lâche pas, gueule d’ange, parce qu’une vie sans toi dorénavant je suis vraiment pas sûre d’y arriver. Je t’aime, je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne.

— Embrasse-moi, tu commences à dire des conneries.

— J’aime dire des conneries.

Il sourit en me caressant le visage.

— Et moi, j’aime te les entendre dire.

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Extrait ajouté par Odlag 2016-07-17T15:40:27+02:00

— On a peur de ce qu’on connaît pas, demoiselle. Et la majeure partie des hommes ont peur de la mort, parce que c’est la seule chose dans leur vie qu’ils ne peuvent pas maîtriser.

Je lance d’un ton cynique :

— Mais toi, tu ne fais pas partie de la majorité !

— Non, parce que je crois pas que la mort puisse être pire que la vie.

Je me perds dans la puissance de son regard. Il est sérieux, là ? Mon cœur se serre au fond de ma poitrine tant ses propos me touchent. Je sens mes yeux devenir humides.

— Tu as vécu des choses terribles, Fred, mais… tu as su traverser les épreuves et aujourd’hui, tu as une vie fabuleuse ! Tu as des amis, des gens qui t’aiment, qui comptent sur toi et pourtant… Tu n’as pas peur de laisser tout ça ?

Il pose son front contre le mien, j’attrape sa main et enlace ses doigts avec force. Je redoute tellement la réponse qu’il va me donner que j’en ai mal d’avance, au plus profond de mon âme.

En prenant la parole, sa voix grave et cassée est d’une douceur infinie :

— Ce sont les vivants qui sont malheureux, Alice. Les morts, eux, qu’est-ce qu’ils en ont à foutre ? On parle de Paradis, d’Enfer, on s’invente des mondes parallèles pour se donner un peu de courage, mais au fond, on n’en sait rien. Et c’est mieux comme ça, parce que si ça se trouve, y a tout simplement rien de l’autre côté. Et ça, ça foutrait définitivement peur à tout le monde.

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Extrait ajouté par Ziela 2015-11-22T22:52:52+01:00

« L’appareil photo fait son travail et Astrid s’exclame :

— C’est génial ! Parfait ! J’adore la spontanéité ! Elles vont être superbes, celles-ci !

La langue de Fred se retire, mais son nez reste posé contre le mien. Ses beaux yeux verts me sourient. Je passe une main dans son cou et caresse le haut de sa nuque. Je laisse mon regard venir se perdre dans le sien. Je m’y plonge, m’y noie, m’y consume.

Face à ces prunelles magnifiques, je parviens enfin à oublier ce qui m’entoure. La chambre disparaît ; la photographe, ses deux assistants, les pros de la beauté et le journaliste ne sont plus que des ombres floues. Moi, je suis posée sur un nuage de coton et je m’envole dans les cieux avec mon ange aux yeux verts. Oui, ici, maintenant, il ne reste plus que lui, il ne reste plus que moi. Et la voix envoûtante de Beth Gibbons.

 

"Give me a reason to love you

Give me a reason to be

A woman"

 

Je me concentre sur Fred et son regard tendre qui me parle. Et pour la première fois, j’y lis tout l’amour que ce mec ressent pour moi, toute la peur que cela lui procure, tous les doutes qui l’assaillent. J’y devine ce qu’il aimerait pouvoir me dire, me confier, m’avouer, tous les mots qu’il n’ose pas prononcer.

Pour la première fois, c’est à mon tour de pouvoir lire en lui comme dans un livre ouvert. Et là, dans cette chambre hors de prix, entourée d’inconnus, j’ai envie de pleurer de bonheur. Cet homme à la beauté insolente m’aime d’un amour infini. Il est mien, je suis sienne.

Lorsque Fred se penche à nouveau vers moi, je me laisse glisser en arrière, contre le matelas. Il se retient de m’embrasser ; son souffle contre ma bouche devient alors une douleur exquise et puissamment enivrante. J’ai envie de lui, comme jamais. Je le désire ardemment, souhaitant qu’il me touche, qu’il me fasse du bien, comme il est le seul à savoir le faire.

Sa bouche frôle mes lèvres, puis se retire. Il dépose un baiser sur mon menton. Je bascule ma tête en arrière, il descend sur mon cou. J’arque mon dos, il m’entoure de son torse, de son ventre, il me protège du regard du monde. »

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Extrait ajouté par Bookwolf 2018-05-26T16:10:55+02:00

Spoiler(cliquez pour révéler)— Où voulez-vous que je le mette, mademoiselle ?

J’indique la suite.

— Là-bas, près du canapé, merci.

Elle disparaît dans l’autre pièce et je réalise qu’il faut peut-être lui donner un pourboire. Fred a toujours fait ça, ces deux derniers matins.

Je m’empare de mon sac et ouvre mon porte-monnaie. Mince ! Un billet de cinq euros, ça fait un peu rapiat et vingt euros, ça me semble beaucoup. Je cherche le portefeuille de Fred du regard. Par chance, je l’aperçois sur la commode, près de l’entrée. Il ne m’en voudra pas de fouiller dedans pour y trouver un billet de dix.

Alors que je m’en empare et commence à l’ouvrir, j’entends la serveuse fermer la porte de la suite.

Tout en cherchant l’argent, je lui jette :

— Oh non ! Vous pouvez laisser ouvert !

Un bruit de clé dans la serrure me fait subitement tourner la tête. La jeune femme me scrute attentivement, un sourire mauvais aux lèvres, balançant la clé de la suite devant elle.

Elle n’a plus les cheveux blonds et courts.

67

Je suis tétanisée, dans l’impossibilité de bouger le moindre membre. Même mon cerveau a cessé de fonctionner. Je fixe Sarah-la-cinglée totalement hagarde. Ses yeux sont remplis de haine et ses traits sont défigurés par une répugnance et un mépris hors du commun.

— Tu sais qui je suis, salope ? me siffle-t-elle en plissant les paupières.

Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot. Ses lèvres s’entrouvrent dans un sourire maléfique, perfide, cruel. Il faut que je fasse quelque chose, je dois gagner du temps. Fred va revenir. Il est en danger !

Je jette un œil désespéré vers la porte, à quelques pas de moi. Bastien est juste derrière, je dois trouver le moyen de le prévenir.

— N’y pense même pas, salope ! Ton cerbère ne peut rien pour toi !

Elle passe sa main derrière son dos et soulève sa robe de serveuse de l’hôtel. Ma respiration s’arrête et je blêmis. Elle braque un flingue devant elle.

— Tu bouges, t’es morte. Tu cries, t’es morte.

Oh ! Putain ! C’est un vrai ? Si ça se trouve, elle l’a acheté dans un magasin de jouets, ils en fabriquent des terribles de nos jours. Mais je ne suis pas assez suicidaire pour vérifier.

Sarah se rapproche, je recule.

— Fred va bientôt revenir.

Ma voix tremble et n’est qu’un murmure peu convaincant. Le sourire de Sarah s’élargit.

— Hum… Ça dépend s’il est rapide.

Elle s’avance encore et je me retrouve accolée au mur.

— Il a sept étages à descendre et à remonter à pied.

Je la regarde sans comprendre. Elle se met à rire.

— Oh ! C’est bête ! J’ai bloqué l’ascenseur.

Elle parvient à ma hauteur et pose le revolver contre mon cou. Le métal froid sur ma peau me donne des vertiges. Non, ce n’est pas un jouet. Merde !

La folle me dévisage diaboliquement.

— Qu’est-ce qu’il te trouve, franchement ? Tu es d’une banalité affligeante.

Elle soulève mes cheveux du bout du canon en grimaçant de dégoût. D’un coup, ses pupilles s’agrandissent et une colère violente s’empare d’elle.

— Tu ne l’as même pas reconnu ! Putain ! Il a failli t’écraser en voiture à Montmartre et toi, tu ne savais même pas qui c’était ! Moi, je suis sa plus grande fan, depuis toujours. Je suis tout pour lui ! Toi, salope, tu n’es rien !

Elle me crache ces derniers mots au creux de l’oreille. Je ferme les yeux, retenant mes larmes du mieux que je peux.

Bordel ! Pourquoi Bastien n’a-t-il toujours pas réagi ? Il doit bien se rendre compte que la serveuse met du temps à sortir ! Ou alors, il pense que nous nous tapons la discute, comme deux bonnes vieilles copines.

Fred ! J’ai besoin de toi ! Pourquoi a-t-il fallu qu’Elsa se pointe ce matin ?

Mon cerveau retrouve subitement ses capacités réflexives et se met à carburer à cent à l’heure. Je jette un œil horrifié à Sarah-la-cinglée en demandant :

— Elsa n’est pas en bas, n’est-ce pas ?

— Oh ! C’est que tu serais intelligente ? Non, c’est moi qui ai demandé à la réception d’appeler

Frédéric.

Elle pose ses doigts sur mon visage et m’écrase les joues. Je tente de me débattre, mais elle pousse ma tête en arrière et je me cogne contre le mur.

Putain ! Ça fait mal !

— Il a toujours eu un faible pour les brunes, tu sais ? Mais ce n’était que pour de la baise. Moi, il m’aime ! Il m’a écrit une chanson, rien que pour moi !

Oui, et elle s’appelle Chrysanthèmes, mais je ne suis pas sûre que cette tarée parle de la même.

Je lui jette :

— Little Sarah n’est pas de Fred, c’est Mickaël qui l’a écrite pour Flavia. Si tu l’ignorais, Sarah, c’est son second prénom, hommage de ses parents à l’épouse d’Abraham. Tu vois ? J’en sais plus que toi sur

Fred et sa bande, parce que j’en fais partie. Toi, tu n’as jamais réussi à t’y intégrer.

Merde ! Je crois que je n’aurais pas dû dire ça. Une lueur de rage traverse ses yeux. Avant que j’aie le temps de réagir, Sarah attrape mes cheveux et me tire en avant. Je pousse un cri. Elle me jette violemment

à terre. Mon menton cogne contre le sol et le goût du sang imprègne ma bouche.

La voix de Bastien se fait entendre, inquiète :

— Alice, tout va bien ?

Sarah s’assoit sur mon dos et bloque mon bras droit en arrière avec sa jambe, puis elle pose le flingue contre ma tempe.

— Tu lui mens et comme il faut ! Sinon bang !

Je ferme les yeux et sens mes joues devenir humides. Je dois trouver quelque chose pour prévenir

Bastien.

Je tente de maîtriser ma voix :

— Oui, tout va bien, Gilles !

Pourvu qu’il comprenne !

La folle semble satisfaite. Elle se penche vers moi et fait courir le revolver le long de ma nuque.

— Que vais-je faire de toi, salope ?

Je murmure entre deux sanglots :

— Laisse-le vivre.

Elle se penche encore plus.

— Qu’est-ce que tu dis ? Je n’ai pas compris.

Je tente de calmer mes larmes.

— Tue-moi, mais laisse-le vivre !

D’une voix empreinte de cynisme, Sarah s’exclame :

— Oh ! Comme c’est mignon ! Tu veux te sacrifier pour lui ? Mais tu n’es rien, salope ! Rien du tout !

Moi, je suis sa plus grande fan ! Je l’aime éperdument et je suis tout !

Non ! Elle est folle. Juste folle. Mes larmes s’arrêtent et une rage primaire s’empare subitement de moi.

— Non ! Il ne t’aime pas !

D’un coup, j’arrondis mon dos et la fais basculer sur le côté. Elle pousse un cri en tombant. J’en profite pour me mettre à quatre pattes et avancer vers la porte. Je m’apprête à me relever, mais Sarah s’agrippe à ma jambe et me tire violemment en arrière. Je m’effondre et me retourne sur le dos en essayant de me dégager de son emprise.

Bastien se met à tambouriner contre la porte de la suite.

— Alice !

Sarah saute sur moi, j’attrape ses bras et tente de dévier le flingue le plus loin possible de mon corps.

Bordel ! Un coup pourrait partir à la volée !

Je crie :

— Bastien ! Elle est là !

Sarah dégage sa main et m’envoie une gifle magistrale. Je suis littéralement sonnée, mais l’énergie du désespoir me redonne rapidement des forces.

— Va chercher Fred !

J’entends la poignée de la porte s’abaisser avec fureur, puis le gorille commence à donner des coups dessus. S’il continue comme ça, les gonds ne vont pas tarder à céder.

Vite, Bastien ! Je t’en prie !

— Si tu tentes d’enfoncer cette porte, je la bute ! s’écrie Sarah avec violence.

Ses yeux noisette sont injectés de sang, elle est rouge de fureur et ses forces se décuplent soudainement. Elle parvient à me clouer les bras au sol.

Je hurle :

— Bastien ! Elle a un flingue ! Va chercher Fred !

Bastien frappe plus fort. Sarah beugle comme une furie.

— Tu entres, je lui éclate la tête d’une balle ! Recule !

Le garde du corps stoppe aussitôt ses coups et lance :

— J’appelle les flics !

— Tu fais ça, elle est morte ! J’entends une seule sirène, cette salope crève !

Je me débats comme je peux. Elle est lourde, cette pétasse, et elle a de la force ! J’essaie de lever mon ventre, mais elle y met tout son poids. J’ai de la peine à respirer, et ce sang qui coule dans ma bouche…

C’est infect et ça me donne envie de vomir.

Sarah me regarde avec des yeux remplis de folie.

— Alors ? Tu disais quoi, salope ? Il ne m’aime pas ? Il m’aime depuis qu’on a 16 ans ! Il me l’a dit et je sais que c’est vrai. Il m’a quitté à cause de ses connards d’amis, ce sont eux qui l’ont influencé !

— Tu l’as dénoncé aux flics, espèce de tarée !

Elle m’envoie une nouvelle gifle si rapide que je n’ai pas le temps de la voir venir, puis elle plaque sa main sur mon bras.

— Il méritait une leçon ! Mais on m’a punie pour ça ! On a dit qu’il ne voulait plus me voir, je n’avais même plus le droit de lui écrire. Mes parents m’ont forcée à déménager, j’en ai été malade. J’aimais

Paris, c’était notre ville, à tous les deux ! J’ai fait une dépression, on m’a obligée à suivre une thérapie.

Je la regarde en écarquillant les yeux. Les médecins avaient détecté sa folie et l’ont malgré tout laissé

traîner dans la nature ?

Je n’ai plus de limites, je ne parviens plus à me raisonner. Je lui balance en lui crachant à la gueule :

— Les hôpitaux psychiatriques étaient trop pleins en Normandie ? Ils n’avaient plus de place pour toi ?

Une haine incommensurable s’affiche sur son visage.

— Ta gueule, salope !

Elle lève le flingue et l’abat vers ma tempe. J’ai l’impression que mon cerveau éclate sous le coup. Le décor vacille autour de moi. Je vois des points noirs et blancs, l’évanouissement me guette, mais je vais chercher les derniers restes d’énergie en moi et je tiens bon.

Sarah continue de s’enfoncer dans ses délires :

— Fred, je l’aime depuis le premier jour où je l’ai vu, au lycée. Lui et moi, nous sommes des inséparables. Je l’ai reconnu tout de suite sur la pochette du CD. Il était si beau. Il avait changé de nom, mais je savais que c’était lui. J’allais voir Dark Moon dès que je le pouvais. En brune, en blonde, en rousse. C’est si facile de transformer son apparence.

Pendant qu’elle parle, je sens qu’elle relâche un peu la pression sur mes poignets. Je dois continuer de la faire palabrer, je dois gagner du temps. Bastien est sûrement parti chercher du secours. Fred ne va plus tarder. Oh ! Mon amour ! Je suis désolée !

Je plante mes yeux dans ceux de Sarah avec dégoût.

— Tu es allée cher lui, l’été dernier ?

Elle sourit.

— J’ai toujours été douée pour les filatures. La preuve : je vous ai suivis jusqu’ici après ma visite à

Montmartre vendredi après-midi. Personne n’a jamais rien vu. S’introduire dans cet hôtel et volé un costume et un chariot a été si simple ! Presque trop facile. Chez lui, en Suisse, c’était plus compliqué, mais j’y suis parvenue.

Un sourire de démente s’affiche sur ses traits. Elle passe sa langue sur ses lèvres et déclare d’un ton pervers :

— Si tu savais tout le bien que je me suis donné sur son lit. Je n’ai jamais autant joui. Et j’ai pris ceci.

Contre toute attente, elle se lève. Je tente de me mouvoir aussi, mais elle pointe illico le revolver en direction de ma poitrine.

— Bouge un doigt et t’es morte, salope !

Elle recule, fait glisser la fermeture Éclair de sa robe de sa main libre, tout en continuant de me tenir en joue, puis elle retire le vêtement par le bas. En dessous, elle porte un legging et un tee-shirt noir avec une tête de mort à cornes cauchemardesque, ayant la bouche grande ouverte. Sur le bas du tee-shirt, écrit en demi-lune, le nom d’un groupe de punk breton : Tagada Jones. Fred m’en a vaguement parlé un jour.

Les yeux de Sarah-la-cinglée s’illuminent.

— En fouillant dans son armoire, j’ai été surprise de découvrir ce tee-shirt. Il l’a acheté le jour où il m’a emmenée voir ce groupe en concert. En dix ans, il n’a pas pris un pli. Fred l’a gardé en souvenir de moi.

Je pâlis. Elle a définitivement perdu la raison. Je fixe la tête de mort horrifique, on dirait qu’elle m’invite à rejoindre sa gueule ouverte. Je frissonne. La peur revient en force au creux de mon ventre.

Je dois faire quelque chose, bordel ! Il doit bien y avoir un moyen. Sarah s’approche de moi et je ne réfléchis pas : je balance ma jambe vers la sienne dans un cri. Surprise, elle ne parvient pas à éviter mon tacle et tombe à terre.

Aussitôt, je me tourne et saute sur mes pieds. Je me précipite sur la porte et commence à abaisser la poignée lorsque la main de la tarée se referme sur mes cheveux. Je suis violemment tirée en arrière. Je me mets à hurler et me débats comme une furie.

Elle m’envoie un puissant coup de pied dans le dos et je vole contre le mur. Dans un geste de protection, je tends mes mains devant moi, mon poignet droit craque dans un bruit sourd. La douleur m’électrise et se répercute dans tout mon bras. Putain ! J’ai mal ! La garce !

Sarah se jette sur moi et mon instinct de survie me fait virevolter d’un coup. Nous tombons à terre, mais cette fois, cette folle enserre mon cou. Je pose mes mains sur ses poignets, mais j’ai si mal à mon bras blessé que je ne parviens pas à tenir.

Je me tords de droite et de gauche comme un animal pris au piège. Putain ! Je ne veux pas mourir ! Pas comme ça !

Fred ! Où es-tu ?

— Je suis tout pour lui ! TOUT ! Toi, tu n’es RIEN ! Tu vas crever, Alice Lagardère ! Et après, Fred ne sera plus qu’à moi, à moi seule !

Elle resserre son étreinte, je commence à suffoquer. J’ai besoin d’air, bordel !

J’essaie à nouveau de retirer ses mains, mon poignet me fait souffrir, mais mon envie de vivre est plus forte que la douleur.

Sarah hurle :

— Mais après toi, il peut y en avoir d’autres ! Vous n’êtes que des sorcières ! Toutes ! Il est à moi ! À

MOI ! On va partir, tous les deux ! Pour toujours, rien que lui et moi !

Non ! Je dois sauver Fred ! Je dois le protéger. Mais elle serre trop fort, cette salope ! Mes forces me quittent, la chambre commence à rétrécir. Je ne parviens plus à reprendre mon air. Je vois flou. Non !

Je sens mes doigts relâcher la pression sur les poignets de Sarah. Elle ne peut pas gagner ! Ce n’est pas comme ça que ça se passe dans les films ! Le méchant perd, toujours !

Je crois que je pleure.

Fred ! Mon amour ! Je n’ai pas réussi, je ne suis pas assez forte. Je t’aime, je suis désolée.

— ALICE !

La voix grave et cassée est lointaine. Si lointaine… Pourtant, elle résonne à mes oreilles comme une douce chanson foutrement mélodieuse. Puis il y a des bruits sourds. On dirait qu’on cogne contre du bois.

— ALICE !

Alors que je me sens partir, je vois vaguement la porte de la chambre s’ouvrir brutalement. Sarah appuie plus fort sur ma peau.

Dans un dernier réflexe, mes yeux s’ouvrent en grand. Mon ange aux yeux verts est là. Tu es si beau, mon amour. Mais son image est fugace et se floute subitement.

Mes mains se relâchent, mon corps se détend. Il est trop tard. Je ne contrôle plus rien. Mes paupières se ferment malgré moi et les ténèbres m’envahissent.

68

— J’aurai le droit de t’appeler ?

— J’espère bien.

— Même plusieurs fois par jour ?

— Tant que tu veux, demoiselle.

Elle a besoin d’être rassurée, mon Alice. Bordel ! Trois mois ! Mais pourquoi ça me fout le cafard comme ça ? C’est rien, trois mois.

Je passe ma main dans ses cheveux, j’ai encore envie de l’embrasser. Je crois que je pourrai jamais m’en lasser.

Le téléphone se met à sonner, j’attrape le combiné.

— Allô !

— Bonjour, monsieur Pelletier. Je suis désolée de vous déranger, mais une certaine Elsa Aubert demande à vous voir.

Elsa ? Qu’est-ce qu’elle fout là ? Pourquoi elle a pas appelé sur mon portable ?

— Vous êtes sûre ?

— Oui, monsieur. Elle vous attend à la réception.

Et merde !

— OK, je descends.

Je me tourne vers Alice.

— C’était la réception. Y a Elsa qui est en bas, elle veut me parler.

Alice se pousse. À sa tête, je vois qu’elle est pas contente. Elsa, tu fais chier !

Je soupire. La partie de baise suivante devra attendre. Dommage, on avait bien commencé.

Je m’habille et ouvre la porte de la suite.

— Gilles ? Faut que je descende !

Devoir se coltiner la garde rapprochée à chaque pas, bordel ! ce que c’est pénible ! Vivement d’être sur les routes. Au moins, à l’étranger, ils me lâcheront un peu la grappe. En tout cas, ils ont intérêt.

Je retourne vers le lit et me penche sur Alice.

— Y a Bastien devant la porte. Je t’envoie le petit-déj’ pendant que je suis en bas ?

Elle m’embrasse dans un sourire.

— À t’à l’heure, demoiselle.

— Dis bonjour à Elsa pour moi.

Ouais, tu parles ! Je me demande ce qu’elle me veut.

Je sors de la chambre, Gilles sur mes talons. On salue Bastien et on rejoint les ascenseurs. J’appuie sur le bouton. On attend quelques secondes. J’appuie de nouveau. La lumière indique que la cabine reste coincée au quatrième étage.

— Merde ! On dirait qu’il est bloqué.

Putain ! Elsa, t’as vraiment choisi ton moment !

Je regarde Gilles en haussant les épaules. Les escaliers, ça me réveillera.

Pendant la descente, j’essaie de me concentrer sur le programme du jour et celui de la tournée. On a assuré hier. Faut qu’on déchire encore plus ce soir. Finalement, le fait de savoir Alice dans les coulisses, ça m’envoie de l’adrénaline. Je veux qu’elle soit la première à apprécier le spectacle. Je veux donner le meilleur de moi-même pour elle.

Elle a peur de la séparation, peur que je sois en manque de cul et que je m’en envoie une autre. Mais y a plus qu’elle. Je m’en fous des autres. Je m’en suis toujours foutu. J’aimerais tellement pouvoir la rassurer. Je veux pas qu’elle se prenne la tête pour ça pendant trois mois.

Faut qu’elle me fasse confiance, putain !

Je souris. Elle me fait confiance. Une confiance aveugle. C’est dans les autres meufs qu’elle n’a aucune foi. Et les autres peuvent essayer ce qu’elles veulent, je sais que je ne céderai pas. Alice, je l’aime. Et je devrais peut-être le lui redire avant qu’on se quitte demain. Pourquoi c’est si difficile ? Elle arrête pas de me l’avouer, elle. Ça lui sort avec tellement de facilité de la bouche que ça m’en explose le cœur à chaque fois.

Moi, je sais pas le dire pour de vrai. J’y arrive pas. Je crois qu’en fait j’ai tellement regretté de l’avoir dit à Sarah que, depuis, je me protège.

J’aurais mieux fait de me bourrer la gueule correctement ce jour-là. J’aurais fini dans un coma éthylique, mais au moins, j’aurais jamais balancé une connerie pareille. J’ai jamais eu le moindre sentiment pour cette fille. À part la baiser, y a rien d’autre qui m’intéressait.

Putain ! À 16 ans, j’étais déjà un sacré cas ! J’ai fait le con et aujourd’hui, j’en paie le prix. Les flics ont intérêt à bouger leur cul, et rapidement !

Gilles m’ouvre la porte du rez-de-chaussée. Des mecs attendent devant l’ascenseur.

En passant près d’eux, je leur jette :

— Vous emmerdez pas à l’attendre, il est bloqué.

Ils se regardent d’un air désespéré. Bande de blaireaux en costard-cravate ! C’est sûr que de grimper les escaliers avec vos pompes en croco cirées, ça va vous tuer.

On rejoint la réception, je fronce les yeux. Elsa n’est pas là. Elle se fout de ma gueule ?

La réceptionniste m’aperçoit et me fait signe. Tandis que je m’approche, elle se met à rougir. Je soupire. Bordel ! Mais elles ont fini de baver devant moi à chaque fois ? Elles croient quoi ? Que je vais craquer d’amour pour elles suite à leurs battements de cils ? Que je vais leur promettre monts et merveilles ? Ouais, je suis beau, mais je suis pas un mec bien. Je suis fêlé. Je suis dangereux. Et j’ai le cœur déjà pris.

Allez ! Referme ta bouche, poupée, t’as bientôt la langue qui pend.

Elle minaude :

— Monsieur Pelletier, bonjour. C’est moi qui vous ai appelé.

Ça, je m’en doute, c’était pas la voix de ton collègue au téléphone. Bon, on a déjà assez perdu de temps comme ça.

— Où est Elsa Aubert ?

La réceptionniste semble surprise par mon ton brusque. Un autre jour, je me serais peut-être amusé à la faire rougir encore un peu, mais pas ce matin. Je suis pressé ; j’ai une partie de baise qui m’attend avec une belle demoiselle.

La gonzesse, un peu déstabilisée par ma froideur, m’indique le bar.

— Elle m’a dit qu’elle vous attendait là-bas.

Oh, putain ! C’est pas vrai ! Si Elsa est partie boire un verre, c’est que la discussion sera peut-être plus longue que prévu. Elle veut quoi, bordel ? Me parler de son dernier plan cul ? Elle aurait pu le faire au téléphone.

Je prends la direction du bar. Merde ! J’ai oublié de demander pour le petit-déj’ ! Tant pis, je le ferai au retour.

Nous entrons dans le bistrot de l’hôtel. Il est près de 11 heures et il commence à y avoir du monde. Je cherche Elsa des yeux. Elle est où, putain ?

Je jette un œil à Gilles qui tend son cou dans tous les sens. Nos regards se croisent. Le sien est rempli d’incompréhension, le mien commence à être en colère.

Je lance encore un œil à la salle et mets la main à la poche arrière de mon futal. Et merde ! J’ai oublié mon portable dans la chambre.

— Tu me prêtes ton téléphone ?

C’est plus un ordre qu’une question. Gilles me le donne de bonne grâce et j’appelle Elsa. Elle va m’entendre, bordel ! Heureusement que j’ai fait l’effort d’apprendre son numéro par cœur.

— Allô ?

J’écarquille les yeux. C’est le métro que j’entends derrière elle ? C’est quoi ce bordel ? Mes mains deviennent moites. Putain ! J’ai un mauvais pressentiment.

Ma voix est blanche :

— C’est Fred. T’es où ?

Elle paraît étonnée de mon entrée en matière.

— Oh ! Salut ! T’as changé de numéro ?

— Elsa ! Putain ! T’es où ?

— Je suis à la station Montparnasse-Bienvenüe, pourquoi ?

Je réponds pas. Je me sens mal. Une peur irrationnelle s’empare de moi. C’est pas possible. Je suis qu’un con !

— Fredo, ça va ? T’as l’air…

Je lui raccroche au nez, tourne les talons et fonce vers les ascenseurs.

— Fred ! Qu’est-ce qui te prend ? me crie Gilles avant de se lancer à ma poursuite.

Je m’arrête devant les portes closes et dans un espoir stupide, j’appuie sur le bouton. La cabine, toujours au quatrième, refuse de s’ébranler.

C’est quoi pour un hôtel, putain ! Je cogne violemment contre les portes, un chasseur qui passe près de nous me jette un œil désapprobateur.

— Monsieur, c’est…

— Il est en panne, votre ascenseur, ducon !

Il veut répliquer, mais je lui en laisse pas le temps. D’un geste brusque, je rends le portable à Gilles et cours vers la porte donnant sur les escaliers.

— Appelle Bastien ! Alice est en danger !

Gilles fronce les sourcils, perdu.

— Fred…

— Elle nous a eus, la salope ! Grouille-toi !

Je me mets à grimper les marches trois par trois. Sept étages… L’ascenseur en panne… Elsa qui veut me parler… Et moi, j’ai rien vu venir. Putain ! Alice ! Non !

Je tourne brièvement la tête vers Gille.

— Laisse tomber Bastien, appelle les flics !

— Je peux pas ! On capte pas le réseau depuis ici.

Quoi ? Mais c’est pas vrai ! Serge, si je m’en sors, je te tue !

On accélère. Alice, tiens bon ! Je suis désolé ! Tout est de ma faute !

J’entends une porte claquer plus haut. Je lève les yeux, mais je vois rien. Des bruits de pas précipités se dirigent vers nous. Sur le palier du cinquième, je pile brusquement avant de me cogner dans Bastien. Il a les yeux exorbités et il est pâle comme la mort. On dirait qu’il vient de croiser le Fantôme de l’Opéra.

— Fred ! Je suis désolé ! Elle… J’ai rien vu ! Putain ! Elle était blonde, j’ai pas fait gaffe !

Mon cœur s’arrête. Alice… Non !

— J’ai appelé les flics. Ils seront là dans moins de dix minutes.

C’est trop long ! Bordel de merde !

Je pousse Bastien et me remets à courir. Ils’exclame :

— Elle est armée ! J’ai voulu défoncer la porte, mais elle a menacé de tuer Alice.

C’est moi qu’elle veut, cette pute, et elle a lu l’article. Elle sait que si elle tue Alice, je meurs aussi. Et ça, c’était pas un mensonge.

On croise du monde dans les escaliers. Les gens voient que l’on court et au lieu de se pousser, ces abrutis restent plantés au milieu du passage. Rien à foutre ! Je les pousse et passe. Ils râlent, m’incendient et en rajoutent une couche quand Bastien et Gilles les poussent à leur tour. Ce que les gens sont cons !

On parvient enfin au septième étage. Je me mets à crier :

— ALICE !

Tout est silencieux dans le couloir. Beaucoup trop. Je cours comme un dératé vers la porte de la chambre en sortant la carte magnétique de ma poche.

Je cogne contre le battant. Putain ! Réponds, demoiselle ! Me fais pas ce coup-là !

— ALICE !

J’introduis la carte et la porte s’ouvre dans un clic. Je reste figé dans l’entrée. Bordel ! Non ! Sarah est assise sur Alice, elle est en train de l’étrangler ! Putain ! Alice a les yeux fermés, elle bouge plus.

Je me mets à trembler de fureur. Espèce de salope ! Tu vas me le payer !

— LÂCHE-LA !

Sarah lève ses yeux vers moi. Un sourire s’affiche sur son visage de démente. Putain ! Elle ose sourire, cette cinglée !

Gilles et Bastien m’entourent et sortent leurs armes. Sarah s’empare d’un flingue posé à côté d’elle et le pose contre le front d’Alice.

— Dis à tes gorilles de ranger leurs joujoux ou je lui explose la cervelle !

Mon cœur bat violemment. Je parviens pas à détacher mes yeux du corps inerte d’Alice. Non ! Elle est vivante ! Dites-moi qu’elle est vivante, putain !

Sans quitter Alice du regard, j’ordonne à Gilles et Bastien :

— Rangez vos armes.

Je les sens hésiter.

— Faites pas les cons ! Rangez vos flingues, merde !

Ils obéissent, une lueur mauvaise dans les yeux.

— Et qu’ils sortent ! C’est juste toi et moi, mon amour.

— Fred, on peut…

— Sortez !

Ma voix est robotique. Bastien tressaille.

— Fred…

— Sortez, bordel !

Ils reculent à petits pas. Je leur lance dans un murmure :

— Appelez Serge et une ambulance !

Je m’appuie contre la porte et la ferme avec rage.

— Pourquoi une ambulance, mon amour ? Tu crois que les toubibs pourront la sauver ?

Elle se penche sur le visage d’Alice en souriant de toutes ses dents.

— Je crois qu’elle respire encore un peu… Ou non ! Peut-être pas…

Je m’avance en serrant les poings. Elle braque son flingue sur moi.

— Ne bouge pas !

Tu crois que tu me fais peur, espèce de tarée ? J’avance encore, elle se relève, surprise par mon comportement. Eh ouais, salope, c’est pas un flingue qui m’empêchera de rejoindre Alice.

— N’avance pas !

Son regard n’est plus aussi déterminé. Elle a un doute. Je fais encore deux pas, elle recule, sans baisser le flingue.

— Frédéric ! Non !

Son sourire disparaît lorsque je m’agenouille auprès d’Alice. Je passe mes mains sur son visage. Je tremble violemment. Ma voix se fait douce et des larmes s’imprègnent au bord de mes yeux.

— Alice, dis-moi quelque chose ! Tu peux pas me laisser, t’as pas le droit ! On s’est fait une promesse. Alice !

Sa peau est froide. Je me penche vers elle.

Sarah se met à hurler :

— Je suis tienne, Fred ! Je suis ta plus grande fan, depuis toujours ! Je t’aime éperdument ! Je suis tout pour toi ! Tout !

Je l’écoute pas, ne lui adresse aucun regard. Je m’en fous. Elle n’est rien, rien du tout ! Alice, elle, elle est tout.

Putain ! Me lâche pas, demoiselle ! Pourquoi t’es froide comme ça ? C’est pas normal !

Je passe ma main dans ses cheveux et effleure sa bouche de mes lèvres. Je sens rien. Elle respire plus. Non !

— Laisse-la, Frédéric ! Elle est morte ! Elle devait mourir, parce que tu es à moi ! Depuis toujours ! Tu as dit que tu m’aimais, tu m’as même écrit une chanson ! Je sais que tu ne m’as jamais oubliée. Je t’aime, mon amour, je t’aime tellement !

Alice est morte… Non !

Je ferme les yeux. J’ai envie de hurler et de commettre un meurtre. Je tourne mon visage vers Sarah et la regarde froidement. Pour la première fois, je réalise qu’elle porte le tee-shirt qu’elle m’a volé. Et des souvenirs m’assaillent. Des souvenirs qui me font mal.

Ce tee-shirt, je l’ai acheté y a dix ans au concert de Tagada Jones. J’avais invité Sarah et en sortant de la salle, je l’ai embrassée pour la première fois. Je m’en rappelle très bien et ça me donne envie de gerber.

Je me relève et fixe Sarah d’un regard glacé avant de poser mes yeux sur le flingue. Je m’avance, lentement. Elle fait un pas en arrière.

— Pourquoi tu tires pas ?

À ma remarque dépourvue de chaleur, les paupières de Sarah s’agrandissent. Elle semble perdue. Elle regarde l’arme dans sa main avec une lueur de doute. Je m’avance encore, elle se retrouve accolée au mur.

— Je pensais que toi et moi, on devait partir pour un grand voyage, Sarah ?

Je parviens à mettre du velours sur ma voix. Je tente d’oublier la boule de haine qui s’est nichée au creux de mon ventre. Pour tuer plus facilement un agneau, faut pas qu’il voie le couteau.

Je vais te faire la peau, salope ! Une vie pour une vie ! Moi, le pardon, je connais pas.

Sa poitrine se soulève rapidement. Elle est en mode panique. Elle comprend pas ma réaction. Elle m’a jamais compris de toute manière. Elle connaît rien de moi. Je lui ai jamais parlé de mes parents, de ma colère intérieure, du violon, de mon amour pour les chevaux. Cette meuf n’a jamais rien représenté à mes yeux, hormis le moyen de sauver Elsa et les autres des rumeurs de merde qui couraient sur nous.

Je parviens à sa hauteur et pose mon torse contre l’embout noir du flingue, au niveau de mon cœur. La main de Sarah commence à

trembler. Moi, j’ai retrouvé tous mes moyens.

Je plante mes yeux dans les siens.

— Tire, Sarah. Vas-y !

Elle secoue la tête.

— Je t’aime, Frédéric. Depuis toujours.

— Je sais.

Je pose ma main sur la sienne et laisse mon doigt venir à la rencontre du sien, sur la gâchette. Elle sursaute à ce contact et ses yeux se remplissent d’amour.

Je m’appuie un peu plus contre l’arme. Un faux mouvement et le coup part. En plein dans le cœur.

Je rapproche mon visage du sien. Elle entrouvre ses lèvres et tend son cou. Pour la première fois depuis que je suis entré dans cette pièce, je souris.

— Tu veux plus me tuer, Sarah ? C’est pourtant si facile, t’as qu’à faire un tout petit mouvement du doigt.

Elle secoue la tête.

— Non ! Je ne veux pas que tu meures, mon amour. Nous sommes réunis, enfin. Tu vas me chanter des chansons rien que pour moi. Tu as une si belle voix !

Mes lèvres viennent frôler sa peau. Elle frémit.

— Des chansons ? Comme Little Sarah ?

— Oui.

Elle jette un regard dégoûté vers Alice.

— Elle a osé me dire que tu ne l’avais pas écrite pour moi, cette salope ! Mais je sais que c’est faux !

Je fais claquer ma langue. Elle me dévore des yeux. Je laisse ma bouche effleurer la sienne. Elle relâche la pression sur le flingue et moi, j’accentue la mienne.

— Alice dit toujours la vérité, Sarah. Elle sait pas mentir.

Une lueur de doute traverse son regard. Je remonte mes lèvres vers son oreille et lui murmure :

— La seule chanson que j’ai écrite en pensant à toi, c’est Chrysanthèmes. Je t’ai jamais aimée, Sarah. J’ai déconné. J’ai jamais été un mec sérieux.

Ses yeux roulent dans ses orbites. Elle tente d’assimiler toutes ces nouvelles informations et avant qu’elle ne réagisse, je la plaque contre le mur et lui arrache le flingue des mains.

Je recule en pointant l’arme sur elle. Elle me regarde complètement affolée.

— Non ! Tu mens !

— Je t’ai menti y a dix ans ! Et depuis, tu t’es allègrement vengée, Sarah. T’as pourri ma vie !

J’arme le chien. Je la tue et je me tuerai après. Toute façon, plus rien n’a d’importance désormais.

Elle sanglote :

— Je ne voulais rien dire à la police, mon amour. Mais… tu m’avais fait du mal.

Une haine incommensurable s’empare de mon cœur.

— Et toi ? Tu sais le mal que tu m’as fait ? Tu m’as vendu aux flics, parce que je t’ai dit que c’était fini entre nous ? On est sortis ensemble six semaines ! On avait 16 ans, putain ! Tu te souviens des crises de jalousie que tu me faisais quand j’allais répéter avec Mickaël ? Et tous les mots haineux que t’as eus envers Elsa ? T’es complètement barrée, Sarah, tu l’as toujours été !

Elle sursaute à ces mots et ses yeux viennent m’implorer. Mais il est trop tard. Toute ma bile et ma rancœur ont besoin de sortir :

— Tu sais ce qu’ils’est passé chez les flics, cette nuit-là ? Tu sais pourquoi j’ai refusé de te revoir ?

Elle secoue la tête et je sens la peur l’envahir. Elle a compris que mon aversion pour elle est bien réelle et que moi, je vais pas hésiter à tirer.

Je hurle :

— On m’a violé ! Et j’ai voulu mourir ! J’ai perdu le peu de bien qu’il restait en moi ce soir-là. Je t’ai détestée, Sarah ! J’ai eu de la haine pour toi ! Mais j’ai refait ma vie et j’ai réussi à t’oublier ! Et aujourd’hui, tu viens de m’arracher la seule personne que j’ai jamais aimée !

Son regard glisse vers Alice et s’assombrit.

— Non ! Tu ne peux pas l’aimer ! Non !

Elle pose ses mains contre sa tête et se bouche les oreilles. Moi, j’en ai marre de parler. Ça sert à rien et ça change quoi ? Alors je vise.

— Fr…

Je me fige, puis tourne ma tête vers Alice. J’ai rêvé, c’est pas possible ! Je retiens ma respiration. Ce n’est qu’un murmure et pourtant…

— Fre…

Je me précipite vers Alice, prends sa main froide et pose mes doigts sur son front.

— Alice ?

Je me remets à trembler. Je serre sa main.

— Alice, ouvre les yeux, s’te plaît ! Je suis désolé !

Au loin, j’entends des sirènes, mais n’y attache pas d’importance. Ma demoiselle est vivante ! Alors pourquoi est-elle si froide ? Je pose ma bouche contre sa main et souffle dessus pour tenter de la réchauffer.

— Alice ! Reviens !

Je retiens pas mes larmes. On n’en est plus là. Et puis, elle m’a déjà vu pleurer. C’est bien la seule d’ailleurs. Même devant Elsa, je me suis toujours contenu, ou presque.

Putain ! Maintenant, tu connais tous mes secrets, demoiselle. T’es la seule à qui je me suis autant révélé. T’es la seule en qui j’ai totalement confiance. Je peux pas vivre sans toi. Me laisse pas !

Je me penche vers elle et dépose un baiser sur ses lèvres.

— Je t’aime, Alice. Comme un fou. Reviens ! Je t’aime, putain !

— NON !

Sarah hurle comme une démente.

— Tu n’as pas le droit de l’aimer ! Il n’y a que moi ! QUE MOI !

Elle se baisse et porte ses doigts à ses bottes. Elle en tire un poignard. Merde ! Je l’avais pas repéré, celui-là !

Je reprends le flingue dans ma main. Je crois que j’entends du bruit dans le couloir, mais tout est si confus dans ma tête que je sais plus vraiment ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.

Je plonge mon regard dans celui de Sarah. Je cille pas.

— Si, je l’aime ! Elle est tout pour moi. Toi, tu n’es rien !

— Non ! Si tu n’es pas à moi, Fred, tu n’es à personne !

D’un bond, elle se jette sur moi. J’ai pas le temps de viser, elle est plus rapide. Son poids me fait basculer brutalement en arrière. Ma tête cogne contre le sol et ça me sonne.

Sarah tente de me planter le couteau dans le cœur, je parviens à arrêter son geste et repousse son bras. Elle crie en plantant ses ongles dans mon cou. D’un geste de rage, je lui envoie la crosse du flingue contre le crâne. Elle tombe au sol, étourdie.

Chacun son tour, salope !

Je veux ramasser le poignard, mais d’un geste habile de la main, Sarah s’en empare et se remet debout. Elle a de la ressource, cette tarée !

Ses yeux ne sont plus que haine et démence. Je crois que les miens aussi. Après dix ans, il est l’heure de solder nos comptes. Balle de match. Ce sera elle ou moi.

Des coups contre la porte. La voix de Serge qui prévient :

— Fred ! On est là !

Je tressaille et laisse mon regard se poser sur l’entrée de la chambre. J’aurais pas dû. Sarah profite de ce moment de faiblesse pour me sauter à la gorge. À la vue de son ombre, je brandis le flingue dans un geste réflexe, mais sa main parvient à dévier la mienne et le coup part en l’air. Nous tombons tous les deux sur le lit.

— Police ! Jetez vos armes !

Un tir dans le couloir, contre la serrure. Et une douleur vive dans mon corps. Je hurle. Putain ! C’est froid ! Non… Ça brûle !

Sarah recule en retirant le poignard ensanglanté de mon flanc. Je lâche le flingue et pose mes mains sur ma blessure. Elle m’a pas loupé, la salope. Ça fait mal, putain !

Les yeux de Sarah sont imprégnés de folie. Elle s’empare de l’arme à feu et vise le corps inanimé d’Alice.

NON !

Je réfléchis plus et laisse mon instinct parler pour moi. Je lui envoie un coup de pied sur le bras, elle crie de douleur et lâche son arme. Puis elle se tourne vers moi. Je la reconnais plus. C’est plus Sarah. Je crois que la démence s’est définitivement logée en elle.

Elle lève son poignard et l’abat sur moi. Je la bloque et dans un hurlement de haine, je la pousse avec mes jambes. J’y mets toute ma rage.

Sarah s’envole et retombe lourdement sur le sol, sa tête cognant avec violence contre le mur derrière elle. Elle s’écroule. Je crois que je viens de la tuer.

Je me laisse glisser par terre et rejoins Alice. J’ai les mains pleines de sang, mais je m’en branle. Je suis dans un autre monde.

Je pose mes mains contre la peau froide d’Alice en murmurant :

— C’est fini, demoiselle. Réveille-toi, on a gagné la partie.

Mais elle bouge pas. Et moi, je suis en train de foutre du sang partout sur elle. La porte s’ouvre avec fracas et la chambre est envahie par les flics. Ils pointent leurs armes sur moi.

— Ne bougez pas !

Ils se foutent vraiment de ma gueule, ceux-là ! Et dire qu’on les paie avec nos impôts !

En quelques secondes, ils analysent la situation et doivent réaliser que je suis pas dangereux, car ils se tournent vers la porte et l’un d’eux s’écrie :

— Vous pouvez entrer ! On a des blessés !

Cet abrutis’avance vers moi.

— Vous allez bien, monsieur ?

Je le fixe sans répondre. J’ai l’air d’aller bien, ducon ?

Des secouristes entrent précipitamment, suivis de Serge et des gardes du corps. Ça valait bien la peine de se les farcir durant toutes ces semaines, ceux-là ! Quelle blague !

— Fred ! Nom de Dieu ! Je suis désolé !

Serge s’agenouille à mes côtés. Je me détourne de lui et me reconcentre sur Alice. Mais pourquoi elle bouge plus, putain ?

Deux secouristes s’occupent d’elle. L’un d’eux s’exclame :

— Elle perd du sang, mais j’arrive pas à voir d’où ça vient !

Comment ça, elle perd du sang ? Mais non, c’est moi qui…

— Son pouls est faible, elle a besoin d’oxygène !

Son pouls est faible ? Mais y a un pouls ! Elle est vivante ! Je ferme les yeux et me mets à pleurer. Serge passe un bras autour de mes

épaules.

— Fred, tout va bien ! C’est fini ! Mais… C’est quoi ça ? Fred ! Tu saignes !

À ces mots, il remonte mon tee-shirt.

— Putain ! Il est blessé !

Ah ça ! Je crois qu’elle m’a pas raté. Et ça fait mal. Mais je m’en fous. Je veux qu’ils s’occupent d’abord d’Alice. Moi, ça n’a pas d’importance. C’est ma demoiselle qui compte.

Un troisième secouriste, une femme, s’avance vers moi et pose son regard sur ma blessure.

— Je crois qu’il fait une hémorragie ! Monsieur Pelletier, je dois compresser la plaie pour stopper l’écoulement.

— Occupez-vous d’Alice !

— Elle est entre de bonnes mains, mes collègues s’occupent d’elle.

Je jette un œil sur ma gauche. Deux autres personnes sont au chevet de Sarah. Visiblement, elle est pas morte. Je l’ai pas envoyée assez fort contre le mur, cette salope.

— Je reviens, monsi…

— Fred.

La secouriste me regarde avec étonnement.

— J’aime pas les « monsieur ».

Elle sourit.

— Très bien. Je reviens, Fred.

Elle disparaît quelques secondes. J’en profite pour me rapprocher d’Alice.

Serge me sermonne :

— Fred, ne bouge pas !

Mais il me retient pas. Je m’empare de la main d’Alice. Elle me semble un peu plus chaude. Le secouriste a posé un masque à oxygène sur son visage. Moi, je commence à avoir de la peine à respirer.

— Fred, venez.

La secouriste me tire gentiment en arrière. Je tente de me débattre. Non ! Je veux rester là, près d’Alice. Une seconde main se pose sur mon épaule et une voix d’homme m’ordonne :

— On doit vous soigner. Votre amie va bien, ne vous inquiétez pas.

Je me tourne vers le secouriste et tente de lire dans ses yeux s’il me ment, mais mon regard se trouble. Je crois que j’ai des vertiges.

Je demande :

— C’est la vérité vraie ?

J’ai l’impression qu’ilsourit vaguement.

— Oui. La strangulation a été violente et elle en portera les marques quelque temps. Son pouls est faible, mais elle va s’en sortir, je vous le promets.

Je m’adosse contre le lit. Serge se tient près de moi. Je sens qu’on remonte mon tee-shirt. La douleur revient à la charge, m’arrachant les entrailles.

J’entends la secouriste jeter entre ses dents à son collègue :

— Ça n’arrête pas de saigner ! Faut lui poser une voie !

Ils vont pas me piquer, putain ! J’ai toujours détesté les piqûres ! Mais avant que j’aie le temps de demander quoi que ce soit, je perçois une douleur légère sur ma main.

Devant mes yeux, Alice est mise sur un brancard. Je tente de me lever.

— Fred, ne bougez pas !

— Je veux aller avec elle !

Je me mets debout et m’avance en portant la main à mon flanc. La douleur est de plus en plus vive. Je tombe sur les genoux. Merde ! Je serre les dents.

— Fred !

Serge se précipite vers moi.

— Pas sur ce coup-là, mon vieux. On doit te soigner d’abord. Tu la rejoindras après.

Je le repousse, essaie de me relever, mais je m’effondre.

Le brancard s’ébranle et j’en vois un autre le suivre. Ils emmènent Sarah aussi. Non ! Pas les deux ensembles dans la même ambulance !

Je veux aller avec Alice ! Je veux pas la laisser seule ! J’ai promis de veiller sur elle !

J’entends une voix un peu plus loin :

— La seconde ambulance arrive !

Celle-là, je crois qu’elle sera pour moi. Putain ! Je déteste les hôpitaux ! Je voudrais pouvoir repousser les secouristes, mais je me sens de plus en plus faible. Et j’ai froid. Si froid…

— Serge !

Je veux crier, mais ce n’est qu’un murmure quisort de ma bouche. La main de Serge s’empare de la mienne.

— Calme-toi, d’accord ? T’as besoin de tes forces, Pelletier.

Ouais, je dois chanter ce soir. Je grimace de douleur. Putain ! Je crois qu’on va devoir annuler. Et merde ! Les autres vont m’en vouloir.

18 000 billets ! Le public va pas apprécier.

— J’ai froid.

— Va chercher une couverture ! ordonne la femme à son collègue.

Elle se penche sur moi.

— Arrêtez de parler, Frédéric. Votre ami a raison, il faut garder vos forces. Vous avez perdu beaucoup de sang, on va devoir vous transfuser.

— C’est pas mon…

Je croise les yeux de Serge. Si ! Putain ! C’est mon ami ! Je lui fais que des crasses depuis sept ans, mais au fond, je l’aime bien.

Je me mets à frissonner. Ce que j’ai froid, bordel ! Je ferme les yeux.

— Fred ! Gardez les yeux ouverts ! Soyez avec moi !

Je les rouvre et regarde la secouriste. Elle a l’air grave. Et j’aime pas ce que je lis dans ses prunelles grises. Je crois que je suis dans la merde.

On pose quelque chose sur moi. Une couverture chauffante. Mais elle chauffe que dalle. Et j’ai de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts. Je veux les fermer ! Je veux juste dormir ! Et si ça se trouve, quand je les rouvrirai, je serais au lit, auprès d’Alice. Elle toute nue et moi en train de la caresser. Elle est si belle quand elle dort.

— Fred ! Gardez les yeux ouverts !

Je rouvre les paupières, mais ça me fait mal. Les visages devant moi sont de plus en plus flous. Je sens la main de Serge contre la mienne.

Je la presse comme je peux. J’ai plus de force.

— Serge, je suis désolé.

— Chut, ne parle pas.

— Je vais pas m’en sortir, hein ?

— Arrête de raconter des conneries, Pelletier !

Mais pourquoi il pleure alors, bordel ?

— Pleure pas pour moi, Serge.

Il passe sa main sur ses yeux.

— Je pleure pas, Fred. Surtout pas pour toi, emmerdeur ! Qu’est-ce que tu crois ?

Je souris faiblement.

— Au fond, mes conneries, tu les aimais bien, non ?

— Et tu vas m’en faire encore plein d’autres ! Alors arrête ! Accroche-toi ! Le groupe a besoin de toi ! Alice a besoin de toi ! J’ai besoin de toi. On t’aime, Fred !

Je ferme les yeux.

— Moi aussi, je t’aime bien, Serge

— Je sais.

Il pose sa main sur ma joue. Elle est chaude, elle me brûle. Je frissonne.

— Fred ! Ouvrez les yeux !

Non ! Lâchez-moi ! Je veux les garder fermés ! J’ai mal, j’ai froid, je vois trouble !

— Pelletier ! Ouvre les yeux, merde !

Je tente de faire un effort pour lui, mais j’y arrive plus. C’est trop dur. Les bruits autour de moi commencent à s’estomper. Je ne ressens plus que la douleur et mon propre corps. Il est lourd. Il me fait mal, si mal…

Mes pensées se mettent à pulser dans mon cerveau. Je revois ma grand-mère, mes chevaux. Black me fait un clin d’œil. J’espère que

Manu prendra bien soin de lui.

Je revois mes potes. Je suis désolé, les mecs. Je vous lâche pour la tournée. M’en veuillez pas trop. Et allez plutôt vous envoyer en l’air au lieu de venir pleurer sur ma tombe. C’est pas la peine.

Elsa… Tu vas me manquer, putain ! Je promets de venir te voir de temps en temps. Et essaie de te poser, toi aussi. Tu voulais que je tombe amoureux, mais ce serait pas mal que ça t’arrive à l’occase.

L’image d’Elsa s’estompe et je vois Alice. J’ai pas tenu ma promesse, demoiselle. Mais toi, je veux que tu vives ! Pour moi ! Ton humour, ta spontanéité, tes joues rouges, ton joli sourire, tes boucles brunes, tes yeux bleus, tes seins, tes hanches, tes jambes, ton cul… Tout me manque déjà.

Si j’avais su, j’aurais pris le temps de te faire l’amour encore une fois, ce matin. Ouais. Une dernière fois. Faire l’amour… Ça te va si bien… La baise, c’est pas ton style.

Une chose est sûre : dorénavant, je pourrais veiller correctement sur toi, demoiselle, je serai jamais très loin.

Soudain, je m’agite. Je manque d’air. J’étouffe.

— Merde ! Il convulse !

— Faites quelque chose ! Pelletier !

Alors le froid cède sa place à la chaleur. Enfin ! Putain, il était temps ! J’ouvre les yeux et je souris. Je suis plus dans la chambre de l’hôtel.

Je suis sur un nuage blanc, bordé de lumière. Ma mère est là. Près de moi. Elle pose sa main sur ma joue. Ses yeux brillent. Elle a l’air heureuse de me voir.

C’est ça, la Mort ? On dirait une brume de douceur. Si je l’avais su finalement, peut-être que j’aurais tenté de te rejoindre plus tôt, la

Faucheuse.

Une autre main chaude se pose sur mon bras, je tourne la tête et mes yeux s’embuent. Mon père est là, lui aussi. Il me sourit en me dévisageant de ses grands yeux bleus. Et dans son regard, je lis tout l’amour et toute la fierté qu’il éprouve pour moi.

Sur ses lèvres, un murmure :

— Je suis désolé, mon fils. Pardonne-moi.

Je crois que je commence à pleurer. Merde !

J’entends des voix au loin.

— On est en train de le perdre !

— Pelletier ! Me fais pas ce coup-là ! Accroche-toi !

Je tente de revenir sur Terre. J’ai encore un truc à dire à Serge. Mais ça me fait mal de parler. D’ailleurs, je crois que je parle pas, c’est qu’un souffle.

— Serge…

— Fred !

Sa main doit serrer la mienne, mais je la sens plus.

— Je m’appelle… pas… Pelletier… Mon nom c’est… Moreau.

— Il est en train de délirer complet, là ! Fred ! Réveille-toi !

— Prends… soin d’elle.

— Non, Fred ! C’est toi qui va prendre soin d’Alice ! Fred…

Je l’entends plus. J’entends plus rien. Les visages de mes parents s’envolent, eux aussi. Je suis seul. Seul dans le noir et dans l’abîme. Et une chaleur intense m’envahit.

Putain ! J’ai toujours voulu avoir une mort rock’n’roll. Pour le coup, je crois que c’est réussi.

69

Bip… Bip… Bip…

C’est insupportable, ce bruit. Ça pulse dans ma tête comme un marteau. Je me sens lourde, j’ai l’impression d’être clouée au sol. Mes yeux refusent de s’ouvrir.

Bip… Bip… Bip…

Encore ? Mais c’est quoi ce bruit lancinant ?

J’ai mal. J’ai mal à la gorge, à la poitrine, aux bras, aux mains. J’ouvre les paupières. Lentement.

Il fait sombre autour de moi. Où suis-je ? Je ne reconnais rien. Une peur panique s’invite dans mon esprit. Le bip bip accélère. Je tente de calmer ma respiration. Ça aussi, ça me fait puissamment mal.

Je ferme les yeux.

Bip… Bip… Bip…

Il fait toujours nuit. J’ai soif. Ma gorge est aussi sèche qu’une pierre au soleil. Je suis couchée. Je veux me relever, mais je ne parviens pas à bouger. Les souvenirs me reviennent. La chambre d’hôtel… Sarahla-cinglée…

Les coups de Bastien contre la porte… Mon ange aux yeux verts…

Fred ! Où est Fred ?

Je tente de l’appeler, mais aucun son ne sort de ma bouche. J’ai si mal à la gorge ! J’ai soif ! Je veux boire !

Je ressens une douleur vive sur ma main gauche. Je tourne la tête et lève mon poignet. Je découvre un pansement et une aiguille plantée dans ma peau. Un cathéter ! Mes yeux suivent les deux tuyaux qui y sont reliés. Je crois que je suis à l’hôpital. Non ! Je déteste les hôpitaux !

J’essaie de soulever ma main droite, mais une douleur encore plus intense me tire un gémissement. J’ai une attelle. Encore ? C’est pas vrai !

Je ferme les paupières, j’ai envie de pleurer.

Bip… Bip… Bip…

Mais qu’ils arrêtent ce fichu bruit ! Et pourquoi je suis seule ? Où est Fred ? Où est la folle ? Et les gardes du corps ?

Une chaleur irradie soudain sur ma main gauche. Elle est douce, elle me fait du bien. Je ferme les yeux et me concentre sur cette sensation agréable. Je me calme.

Bip… Bip… Bip…

Je rouvre les paupières et tourne la tête. Un apaisement subit s’empare de moi.

Il est là ! Il est si chaud ! Sa main est posée sur la mienne. Il a la tête tournée. Je ne vois que ses cheveux noirs en bataille. Je crois qu’il dort.

— Fr…

Bordel ! Ça fait mal ! Son prénom ne parvient pas à franchir ma bouche. Elle est tellement sèche ! De l’eau ! Par pitié !

Je passe ma langue sur mes lèvres. C’est du carton. Tant pis. Aucune importance. Fred est là, près de moi, c’est la seule chose qui compte.

Je ferme les yeux et me rendors.

Bip… Bip… Bip…

La lumière du jour me réveille. Aussitôt, je ressens le froid sur ma main. Je tourne la tête à gauche et une boule d’angoisse se forme dans mon ventre. Fred n’est plus là.

Mon amour ! Où es-tu passé ?

Je jette un œil affolé à l’espace autour de moi. La chambre est froide, sans vie. Les murs sont désespérément blancs, comme les rideaux aux fenêtres. À côté de mon lit, j’en vois un autre, vide. Mais surtout, entre les deux, il y a un chariot avec une bouteille d’eau et un verre. Mes yeux se fixent dessus, espérant qu’il ne s’agit pas d’un mirage.

Je parviens à me relever un peu en m’aidant de mes coudes. Ce que j’ai soif, nom d’une pipe ! Je tends le bras gauche en direction de la bouteille, mais le cathéter me tire méchamment la peau. Et merde ! Je me recouche, découragée, et ferme les yeux. Je n’entends aucun bruit, à part ce bip bip incessant. Subitement, je panique et rouvre les paupières.

— Fred !

Ma voix est faible et rocailleuse. J’ai foutrement mal à la gorge.

— Fred !

Je tousse. Bordel ! C’est pas vrai !

« Comment veux-tu qu’il t’entende avec une voix pareille ? D’ailleurs, ce n’est pas une voix, c’est un murmure. »

Je serre les draps entre mes doigts et me mets à pleurer. J’ai un mauvais pressentiment. Ma gueule d’ange ne m’aurait jamais laissée seule. Mais il était là, je l’ai vu, j’ai senti la chaleur de sa main.

Je referme les yeux et laisse l’anxiété et la détresse m’envahir définitivement.

— FREEEED !

J’ai hurlé à m’en arracher les cordes vocales. Je rouvre les yeux. Je transpire et je tremble. Je suis mal. J’ai froid.

La porte s’ouvre et une femme entre dans la pièce. Elle est vêtue d’une blouse blanche et de Crocs bleues. À ma vue, son visage se fend d’un sourire.

— Mademoiselle Lagardère, vous êtes réveillée !

Elle s’approche de moi, visiblement ravie de me voir avec les yeux ouverts.

— Comment vous sentez-vous, mademoiselle Lagardère ?

— Où est Fred ?

Ma voix n’est qu’un souffle. Je veux boire. J’ai vraiment des cailloux dans la gorge.

L’infirmière me toise une seconde, puis dans un silence pesant, elle vérifie le cathéter, ainsi que les deux poches de perfusion suspendues au-dessus du lit. Elle prend mon pouls et ma température via un thermomètre tympanique. Elle est sourde ou quoi ?

— Où est Fred ?

Elle passe une main rassurante sur mon visage.

— Tout va bien, mademoiselle, vous devez vous reposer. Je reviens, je vais chercher le médecin.

Je la regarde, interloquée. Elle se fiche de moi ? Pourquoi ne répond-elle pas à ma question ? Où est

Fred, nom d’une pipe ?

Je déglutis et ma gorge s’enflamme.

— J’ai soif.

L’infirmière se retourne, je la vois hésiter.

— On vous hydrate, mademoiselle Lagardère, me dit-elle en désignant les poches au-dessus de ma tête.

Une sourde colère s’empare de moi. Je m’en fous de leurs perfusions ! Je veux boire ! Je veux m’enlever cette rocaille de la gorge !

Je répète :

— J’ai soif !

Chaque mot prononcé me demande des efforts. Elle va se bouger les fesses, oui ?

Finalement, à mon grand soulagement, l’infirmière se dirige vers la bouteille d’eau et en verse un peu dans le gobelet en plastique. Elle revient vers moi.

— Doucement, mademoiselle.

Elle pose le rebord du verre contre mes lèvres. À peine l’eau pénètre-t-elle dans ma bouche que je me sens revivre. Oh ! La vache ! Ce que ça fait du bien ! Par contre, je grimace lorsque le liquide glisse dans ma gorge. On dirait une longue aiguille s’infiltrant contre les parois de mon larynx. Ça me brûle, mais j’en veux encore, car malgré la douleur, les cailloux rapetissent.

L’infirmière me fait boire trois gorgées, puis repose le verre.

Je laisse ma tête retomber sur l’oreiller.

— Où est Fred ?

— Je reviens, je vais chercher le médecin.

Elle fait volte-face et se dirige vers la porte. Je la regarde disparaître, proprement médusée. Mais pourquoi ne me dit-elle rien ? C’est quoi ce bordel ? Je suis en mode panique, il faut que je rationalise !

« Alice, calme-toi ! Fred est là, dans le couloir. Il attend juste le feu vert pour venir te voir ! »

Alors pourquoi elle ne répond pas à ma question, l’autre idiote ? Et s’il lui était vraiment arrivé

quelque chose ? S’il était… Mon cœur se serre, les larmes coulent à nouveau. Fred ! Mon Fred ! Non !

Ce n’est pas possible !

« Tu l’as vu, Alice, il était là. »

Mais pourquoi a-t-il disparu, alors ? Et si ce n’était qu’une mauvaise farce jouée par mon cerveau trop fertile ? J’attends une réponse, mais ma stupide conscience décide de garder le silence.

Pourquoi tu te tais, toi, d’un coup ? Tu as un doute ? Non ! Parle-moi ! Dis-moi encore que j’ai tort !

Fred ! Rejoins-moi ! S’il te plaît ! Montre-moi que je me trompe !

Mon cœur explose de douleur, mais cette fois-ci, les larmes refusent de sortir. Je me mets à crier de rage.

— FREEED ! FREEED !

La porte s’ouvre, je me tais, le cœur battant. Mais je finis par fermer les yeux et serrer les dents, anéantie. Ce n’est que le médecin et l’infirmière muette.

— Mademoiselle Lagardère ! Bonjour ! Je suis le docteur Niémans.

Le médecin me sourit chaleureusement, moi, je le scrute, complètement hagarde. Je dois avoir l’air d’une folle. Quelle ironie !

— Où suis-je ? Où est Fred ?

Ma voix est toujours aussi rauque, mais j’ai moins mal. L’eau m’a fait du bien.

Le médecin me prend le pouls à son tour.

— Vous êtes l’hôpital de la Salpêtrière.

Il s’empare d’une lampe et me demande de la fixer pendant qu’il teste les réflexes de mes pupilles.

— Nous sommes le 9 janvier, mercredi après-midi. Vous avez dormi plus de cinquante heures. Suivez mon doigt… Très bien…

Je pose des yeux dépités sur mes mains. Purée ! J’ai dormi un peu plus de deux jours !

Le 9 janvier… Dark Moon joue à Marseille, ce soir. Un espoir s’infiltre dans mon cœur. C’est pour ça que Fred n’est pas auprès de moi. Et c’est pour ça que je l’ai vu durant la nuit. Il est venu me dire au revoir. Et moi, comme une imbécile, je ne suis pas restée éveillée !

— Pouvez-vous me dire votre prénom ?

— Alice.

— Celui de vos parents ?

— Joséphine et Philippe.

— Où habitez-vous ?

— À Épalinges, en Suisse.

— Votre jour de naissance ?

— Le 15 mai.

Le médecin semble satisfait. Il ausculte mon cou, mon poignet, vérifie le cathéter, les poches de perfusion, puis enfin, il prend un air sérieux en me disant :

— Vous avez eu beaucoup de chance. Quelques secondes de plus et je ne vous parlerais sûrement pas en ce moment. Vous rappelez-vous de ce qu’il s’est passé ?

Je pose mon regard sur le mur blanc, face à moi, tentant de me souvenir. La cinglée sur moi…

L’étranglement… Fred qui est entré dans la chambre… Il m’a sauvée ! Cette fois, je sens les larmes au bord de mes paupières. Je hoche la tête en direction du docteur Niémans. Il reprend :

— Vous allez avoir les marques de la strangulation durant quelque temps encore. Et votre poignet est fêlé. Vous devrez garder l’attelle quelques semaines. Mais pour le reste, je suis content. Tout semble être parfaitement normal. Vous avez manqué d’air, mais les secours sont arrivés à temps.

— Où est Fred ? Frédéric Pelletier ?

Le médecin et l’infirmière se jettent un bref regard. Ça veut dire quoi ça ? La boule d’angoisse refait surface. Les yeux du médecin se font doux. Je n’aime pas ça, je n’aime pas ça du tout.

— Tout va bien, mademoiselle Lagardère. Vous êtes en sécurité. Vous avez besoin de repos. Je pense que nous allons vous garder encore deux jours avec nous, en observation. Il faudra…

— Où est Fred ?

Ma voix est teintée d’angoisse. Je leur jette un œil paniqué. Mais ils vont répondre, bon sang !

— Il lui est arrivé quelque chose ? C’est ça ?

L’infirmière pose une main sur mon épaule.

— Calmez-vous, mademoiselle. Nous répondrons à vos questions, mais il faut d’abord rester tranquille.

Non ! Je veux des réponses tout de suite !

Je me redresse.

— Répondez-moi !

Mon ton est hystérique. J’ai envie de leur sauter à la gorge et de les étrangler à mon tour jusqu’à ce qu’ils crachent le morceau.

L’infirmière me pousse gentiment contre l’oreiller.

— Mademoiselle, calmez-vous !

— JE SUIS CALME !

Je crie et me mets à pleurer. Fred serait là, il se ficherait de moi en me rappelant à quel point je suis nulle pour le bluff.

Fred ! Gueule d’ange ! Non ! Non ! La réalité, violente, inéluctable, me saute aux yeux : Fred m’a sauvée, mais je ne le verrai plus, plus jamais. Il a donné sa vie pour sauver la mienne.

Putain ! Non ! C’est pas comme ça que se termine l’histoire d’Aurore ! À la fin, le prince réveille sa belle d’un baiser.

« Mais c’est ainsi que se finit chaque histoire d’amour passionnel. Les “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”, ce n’était pas pour Fred et toi. Tu le savais. »

Mais je m’en fous des enfants ! Moi, je veux juste ma gueule d’ange ! Ce n’est qu’un cauchemar ! Une saloperie de cauchemar ! Je vais me réveiller ! Sarah-la-cinglée ne peut pas avoir gagné !

Je relève les yeux vers le médecin.

— Où est Sarah Richard ?

Je crois contrôler ma voix, mais ce n’est qu’une vague illusion. C’est la panique totale. Je suis proprement hystérique.

— Nous discuterons de tout ceci plus tard, mademoiselle Lagardère, une fois que vous aurez retrouvé

votre calme. On va vous donner un petit sédatif et…

— Non ! Non ! Je ne veux pas ! Je n’en ai pas besoin !

Je recule en tirant bêtement le drap contre mon corps, comme si cela pouvait suffir à me protéger.

Le docteur Niémans soupire et pose un regard paternel sur moi.

— Mademoiselle, vous avez besoin de repos, le choc a été violent. Nous parlerons quand vous serez plus apaisée.

— Non ! Maintenant !

Je repousse le drap et fais mine de me lever. Le médecin lance un regard à l’infirmière, secoue la tête, puis sort de la chambre. Je le vois disparaître par la porte ouverte, le cœur battant à tout rompre, puis je me tourne vers la femme en blanc.

Elle a sorti une aiguille d’un des tiroirs du chariot et la remplit d’un liquide transparent. Non ! Je ne veux pas de leur saloperie ! J’ai toute ma tête, je veux simplement que l’on me réponde ! Je veux savoir si je dois pleurer ou sourire !

Elle s’approche de moi. Je crie violemment en reculant sur le lit.

— NON !

Ses yeux me supplient d’être raisonnable. Je renifle. Non… je ne veux pas… J’ai déjà suffisamment dormi.

Je secoue la tête et m’écrie encore une fois :

— NON !

— Mademoiselle, je…

— Elle vous a dit non, bordel !

Je suffoque. Ce n’est pas possible ! Si c’est un rêve, je refuse de me réveiller !

L’infirmière se retourne, les yeux écarquillés de surprise. Sa voix se met à gronder :

— Monsieur Pelletier ! Qu’est-ce que vous fabriquez ici ?

J’ai de la peine à reprendre mon souffle. Mes mains commencent à trembler tandis que Fred s’avance dans la pièce.

La vache ! Il a une sale tête ! Il est pâle, il a des cernes sous les yeux et il semble terriblement en colère. Il est vêtu d’un tee-shirt noir et d’un pantalon large de jogging gris. Sur sa main droite, j’aperçois un cathéter. Merde alors ! J’ai vraiment besoin d’explications.

Je m’assois sur le rebord du lit. Mon cœur bat la chamade. Il est vivant ! Putain ! Mon amour !

L’infirmière s’interpose entre lui et moi.

— Monsieur Pelletier, je sais que vous avez un don assez exceptionnel de récupération, mais retournez dans votre chambre ! Vous avez besoin de repos !

Ses yeux s’abaissent sur la main de Fred.

— Ne me dites pas que vous les avez encore arrachés !

Il lui lance un regard de défi. Elle secoue la tête, désespérée. Le docteur Niémans revient dans la chambre. Il s’arrête sur le seuil, abasourdi.

— Qu’est-ce que… Monsieur Pelletier ! Mais ce n’est pas possible ! Estelle, aidez-le à retourner à

l’étage en dessous !

Fred se tourne vers le toubib, l’air mauvais.

— Vous me touchez pas et vous laissez Alice tranquille !

Je retiens ma respiration. Fred est si proche et pourtant si lointain. Je veux sentir sa peau sur la mienne.

Barrez-vous ! Laissez-nous tranquilles ! Juste lui et moi ! J’ai besoin d’être sûre que je ne rêve pas, car tout ce qui se déroule en ce moment même sous mes yeux me paraît complètement irréel.

À ma grande surprise, le visage du médecin s’éclaire et un sourire apparaît sur ses lèvres.

— Vous êtes quand même un sacré cas ! J’en ai vu défiler des gens du show-biz un peu tordus entre ces murs, mais vous, je crois que vous obtenez la palme !

Fred lui renvoie un sourire carnassier.

— Ouais, et encore, vous avez pas vu grand-chose !

L’infirmière jette un œil désappointé vers son chef.

— Docteur, ce n’est pas raisonnable ! Il doit…

Le médecin hausse les épaules. La femme en blanc ouvre la bouche, visiblement offusquée, mais son chef est plus rapide qu’elle et ordonne sur un ton autoritaire :

— Je vous laisse cinq minutes, pas une de plus. Ensuite, monsieur Pelletier, vous regagnez votre chambre et vous y restez ! Venez, Estelle.

L’infirmière laisse son regard aller de Fred à moi et de moi à lui, incapable de refermer sa bouche.

Finalement, elle obéit aux ordres et rejoint le médecin à contrecœur. Ce dernier referme la porte.

Mes yeux se posent alors sur ma gueule d’ange et mon cœur chavire. Il pulse tout ce qu’il peut, raisonnant jusqu’à mes tympans. Fred s’avance, je ne respire plus. Il marche lentement en portant la main

à son flanc droit.

Il s’assoit sur le rebord du lit en grimaçant.

— Salut, demoiselle. Respire.

Je le dévore des yeux tout en laissant ma main tremblante effleurer son visage. Le mien est recouvert de larmes. Oh, oui ! C’est bien sa peau douce que je sens sous mes doigts. Un rire nerveux s’échappe de ma bouche.

Je murmure :

— Salut, gueule d’ange. Dis-moi que je ne rêve pas.

Il sourit tendrement et s’empare de ma main.

— Tu rêves pas.

Alors mes pleurs redoublent. D’un geste doux, Fred m’attire contre lui et je pose ma tête sur son

épaule.

Entre deux sanglots, je parviens à lâcher :

— J’ai cru… Ils ne voulaient rien me dire et… j’ai cru que…

Il caresse mes cheveux.

— Tout va bien, Alice, je suis là.

Il faut que j’arrête de pleurer. Nous n’avons que cinq minutes. Ou peut-être plus qu’une seule…

« Mais arrête de faire ta madeleine, nom d’une pipe ! Il est vivant ! Il te tient dans ses bras ! »

Je relève la tête.

— Embrasse-moi.

Son sourire s’élargit. Il appose sa main sur ma nuque et attire mon visage vers le sien. Son souffle chaud contre ma bouche est un délice. Oh oui ! C’est bien lui… Son odeur… Ses lèvres sucrées, sa langue si douce… C’est Fred, mon Fred !

Mon cœur explose d’une joie si intense qu’elle m’en fait presque mal. Je passe mes mains autour de son cou et me serre contre lui. Il recule.

— Doucement, Alice.

Je le regarde, confuse.

— Excuse-moi. Tu as mal ? T’as plutôt une sale tête, en fait.

Il rigole en me caressant le visage.

— Toi, t’es toujours aussi belle, princesse.

Je lui rends son sourire et sens mes joues rougir. Il n’y a que lui pour parvenir à me mettre dans cet

état.

Il grimace à nouveau, je m’inquiète en posant mes yeux à la hauteur de son flanc.

— Sérieusement, tu as mal ?

Il soulève son tee-shirt et je pousse un cri de surprise à la vue d’un énorme bandage. Mes yeux reviennent se perdre dans les siens. Il ne sourit plus.

— C’était pas loin cette fois, demoiselle.

— Elle t’a tiré dessus ?

— Non, elle m’a planté.

Je le regarde sans comprendre.

— Un coup de poignard. Ça fait mal, cette connerie !

Mon souffle est court. Un poignard ? Oh ! Putain ! Fred entreprend alors de me raconter tout ce que j’ai manqué.

Au fil de son récit, mes yeux se remplissent à nouveau de larmes, et je jette un œil inquiet à l’horloge, près de la porte. Ça fait plus de cinq minutes, là, non ? L’infirmière va bientôt revenir. Je ne veux pas !

À la fin de son histoire, les yeux de Fred s’imprègnent de tristesse.

— J’ai vraiment cru que j’y passais, cette fois. J’ai senti la mort si près. J’y étais, j’en suis sûr.

— Mais comment…

Un léger sourire s’affiche sur son visage avant que son regard ne se perde dans le vague.

— Les secouristes ont dû se dire que sauver le rockeur numéro un du moment, ça pouvait faire bon genre dans leur CV. J’ai fermé les yeux. J’étais bien, j’avais plus de douleur. Quand je les ai rouverts, j’étais aux soins intensifs. Et j’avais de nouveau mal. Je suis resté vingt-quatre heures dans le service et puis ils m’ont remonté dans une chambre. Apparemment, comme a dit l’autre infirmière, t’à l’heure, j’ai un sacré sens de la récupération.

— Où est ta chambre ?

— Un étage en dessous.

Je jette un œil au lit vide derrière moi. Il sourit.

— C’est pas le même service qu’ici. Je dois rester sous surveillance. Ils ont peur qu’après une récupération trop rapide mon corps fasse une rechute.

Je lui fais les gros yeux en m’offusquant :

— Fred ! C’est pas raisonnable !

— Tu m’as déjà vu raisonnable, demoiselle ?

Je lève les yeux au ciel.

— Mais comment tu as fait pour sortir de ta chambre ?

Je désigne son cathéter.

— Et ça ? Tu as enlevé les perfusions ?

Il sourit effrontément et me regarde avec son air de gamin canaille :

— C’est la troisième fois que je les enlève.

— Fred !

Son visage redevient sérieux.

— Je voulais te voir, Alice. Savoir que t’étais là, juste au-dessus, et ne pas pouvoir être à tes côtés, ça me rendait dingue !

— Tu… tu es venu vers moi cette nuit ?

Il acquiesce. Je ferme les yeux, soulagée. Je n’ai pas rêvé, alors ! Tu vois, satanée conscience ?

« Hé ! C’est moi qui t’ai dit de garder espoir ! »

Ouais, tu parles !

Subitement, un frisson me parcourt l’échine. Si Fred et moi sommes ici, où est la folle ? Comprenant mes pensées, ma gueule d’ange passe une main apaisante sur ma joue.

— Sarah est sous bonne garde.

— Elle est là ?

— Elle a un traumatisme crânien et trois côtes cassées. Je crois que, finalement, je l’ai pas trop loupée non plus. Quand elle sera en état, ils la transféreront dans un centre de détention psychiatrique.

Je déclare avec ironie :

— Ils ne pourront rien faire pour elle ! C’est une folle finie !

Fred ne sourit plus.

— Elle a besoin d’être soignée, Alice.

— Tu prends sa défense ?

— Non. Je crois pas non plus qu’elle retrouvera la raison un jour. Mais elle a besoin qu’on s’occupe d’elle.

— T’es trop bon, gueule d’ange !

— Tu sais, je suis pas sûr que la vie dans ce genre d’établissement est meilleure. Ça doit même être carrément l’enfer : shooté du matin au soir, devoir palabrer devant des psys qu’en ont rien à foutre, côtoyer d’autres tarés à longueur d’année… La prison, c’est peut-être le purgatoire à côté.

Il a sans doute raison.

Je regarde en direction de la porte. Mon sang se glace malgré moi. Sarah est là… Quelque part dans cet hôpital… Et si…

— Alice, t’as plus rien à craindre ! Elle est sous bonne garde et elle est loin de nous. C’est grand comme hôpital, c’est le plus grand de Paris.

Je me laisse aller contre son torse. Il referme ses bras sur moi en posant un baiser dans mes cheveux.

Je m’enivre de son odeur. Pas de parfum, forcément. Juste lui et c’est si bon.

La porte s’ouvre brusquement sur l’infirmière du nom d’Estelle. En nous voyant ainsi, dans les bras l’un de l’autre, elle ne peut s’empêcher de sourire et paraît presque navrée de nous interrompre.

— Monsieur Pelletier, je suis désolée, mais il va falloir être raisonnable.

Il soupire.

— Je reviens te voir bientôt, demoiselle.

— Monsieur Pelletier !

Je l’attrape par le tee-shirt et l’oblige à se pencher vers moi. Je demande dans un murmure :

— C’est quoi le numéro de ta chambre ?

— 612.

— Alors à bientôt dans votre chambre, monsieur. Je crois qu’ils me laisseront plus facilement sortir de ce service-ci, et ça vous évitera des ennuis.

Sa bouche se rapproche de la mienne et je me sens devenir toute chose. Alors ça !

Il chuchote :

— J’aime bien les ennuis.

Je lève à nouveau les yeux au ciel.

— Irrécupérable, mon amour !

— Foutrement.

Il m’embrasse avec fougue et j’en oublie les yeux de l’infirmière sur nous. C’est une voix que je ne connais que trop bien qui me fait brutalement reprendre pied avec la réalité. Oh non ! Ce n’est pas possible !

Mes lèvres quittent celles de Fred et je le regarde avec inquiétude. Il s’est rassis sur mon lit, ses yeux observent la porte ouverte et une flamme sombre traverse ses prunelles.

La voix s’écrie avec un énervement hors du commun :

— Nous voulons la voir ! Laissez-nous passer !

La voix du docteur Niémans se fait entendre :

— Madame, je vous demande encore deux minutes de patience. Elle n’est pas seule.

— Quoi ?

— Laissez sortir monsieur Pelletier et…

— Il est là, cet énergumène ? Très bien ! J’ai deux mots à lui dire !

— Madame ! Veuillez retourner au fond du couloir et laissez monsieur Pelletier retourner dans sa chambre sans faire d’esclandres !

Fred repose ses yeux sur moi. Il grimace, et ce n’est pas dû à sa blessure.

— J’ai oublié de te dire que Serge a prévenu tes parents. En plus, y a eu des articles dans les journaux, alors je te laisse imaginer.

Et merde ! Il ne manquait plus que ça !

Fred ajoute dans un sourire :

— Je crois que pour les prochains repas de Noël, je suis définitivement rayé de la liste de ta mère.

Avant qu’il n’ait le temps de se lever, une tornade brune déboule dans ma chambre comme une furie, les yeux exorbités. À la vue de Fred, son visage devient rouge de colère.

Oups… Ça va péter sévère !

70

Ma mère est suivie par mon père et par le docteur Niémans. Elle pose en premier ses yeux inquiets sur moi.

— Alice ! Ma chérie !

Elle s’approche et découvre les stigmates sur mon cou. Apparemment, ça ne doit pas être beau, car elle s’exclame :

— Oh ! Mais quelle horreur ! Ma pauvre chérie !

Elle a toujours su trouver les mots pour me rassurer, ma mère.

Ses yeux se posent ensuite sur Fred et une lumière de colère les traverse. Elle tend un doigt furieux dans sa direction.

— Vous ! Vous avez vu ce que vous avez fait ?

L’infirmière se place devant ma gueule d’ange pour le protéger. Le médecin s’avance vers ma mère.

— Madame Lagardère ! S’il vous plaît, calmez-vous, sinon, je vous mets dehors !

C’est peut-être à elle qu’il faudrait faire une piqûre de sédatif.

— Joséphine, ma chérie…

Mais elle n’écoute rien et fait un pas vers Fred, qui reste planté sur place, la défiant du regard.

— Madame Lagardère, je suis désolé, j’ai fait ce que j’ai pu…

— Ce que vous avez pu ? Alice a failli mourir ! Par votre faute !

— Maman ! Arrête ! Il m’a sauvé la vie !

Elle se tourne vers moi, légèrement déstabilisée par ma réaction. Mon père en profite pour passer un bras autour de ses épaules.

— Joséphine, laisse-le tranquille. Lui aussi a failli perdre la vie, je te rappelle.

Fred porte la main à son flanc, il grimace. Cela n’échappe pas à l’infirmière et moi, j’ai juste envie de le prendre dans mes bras.

— Venez, monsieur Pelletier, je vous ramène dans votre chambre.

— On reparlera de tout ça, Frédéric ! lui jette ma mère en le toisant d’un regard mauvais. En attendant, je vous interdis de vous approcher de ma fille !

Fred se campe devant elle et déclare froidement :

— Personne me donne des ordres et m’interdit quoi que ce soit, madame Lagardère, et c’est pas vous qui allez commencer !

Elle ouvre la bouche, proprement offusquée. Je souris. Fred n’a vraiment peur de personne et je crois qu’effectivement, on devra trouver un autre endroit où passer Noël l’année prochaine. Moi, je dis que dans sa maison à lui, ce sera très bien, et j’y ferai un beau sapin !

Fred s’avance vers moi par pure provocation. Mon père retient ma mère par le bras et je vois le docteur Niémans prêt à intervenir si besoin.

— À plus tard, princesse.

Je murmure :

— Chambre 612 ?

Il sourit.

— Chambre 612.

Il m’embrasse tendrement, puis recule vers la porte tout en lançant un regard satisfait à ma mère. Si elle pouvait, je pense qu’elle aussi lui donnerait un coup de poignard à l’instant précis.

À peine Fred est-il sorti que je sens l’ambiance s’alléger dans la chambre. Ma mère pousse un soupir de soulagement. Le médecin nous laisse à son tour.

Mes parents prennent place à mes côtés et mon père me serre dans ses bras.

— On a eu peur, Alice.

— Pas autant que moi, je crois.

Ma remarque le fait sourire. Ma mère passe sa main dans mes cheveux et me scrute d’un œil angoissé.

— Mais enfin, ma chérie, que s’est-il passé ? Monsieur… Oh ! Comment s’appelle-t-il déjà ?

— Serge Moridiani.

— Oui, c’est ça ! Il nous a dit qu’une femme complètement folle s’en était prise à vous et vous avait grièvement blessés. On a pris le premier train. Oh ! Ma chérie !

Elle me prend dans ses bras.

— Maman, je vais bien. Fred est arrivé à temps, il m’a sauvée.

Elle plante son regard dans le mien en secouant la tête.

— Et s’il n’était pas arrivé ? Le médecin nous a dit que…

— Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Je suis en vie, Fred aussi, c’est ça qui compte.

Et Sarah également. Ça, ça me réjouit moins.

— Que s’est-il passé exactement ? demande mon père. Dans les journaux, ils ont parlé d’une fan qui harcelait Frédéric depuis plusieurs années.

Je les regarde quelques secondes, hésitant sur la meilleure version à leur raconter. En même temps, pour le mensonge, je ne suis pas douée. Alors, je me décide à leur avouer la vérité, depuis le début.

Une fois mes explications terminées, ma mère est livide et même les yeux de mon père brillent d’effroi.

OK ! J’aurais mieux fait d’enjoliver le tableau et de passer par-dessus certains détails, notamment celui du lapin mort dans la boîte à chaussures et le fait que Sarah était armée.

Ma mère passe sa main sur mon visage, j’ai l’impression qu’elle a envie de pleurer, mais elle se retient. D’une voix douce qu’elle espère convaincante, elle m’exhorte :

— Tu ne peux pas rester avec cet homme, Alice. Il est dangereux.

Je grince des dents.

— Non. Ce n’est pas lui qui est dangereux !

— Alice ! Tu comprends ce que je veux dire. Le côtoyer, c’est dangereux. Il y a eu cette fille, mais il peut y en avoir d’autres. On ne sait jamais comment les gens vont réagir. Visiblement, Frédéric a beaucoup de succès et tu dois faire bien des envieuses.

La colère gronde dans ma voix :

— Maman, je ne suis plus une enfant ! Merde !

Elle me regarde complètement choquée.

— Alice ! Je ne veux que ton bien ! La vie d’un chanteur… ou de n’importe quelle personne du showbusiness, ce n’est pas une vie ! Tu lis bien les journaux, toi aussi, tu vois qu’ils ont tous des problèmes !

Avec Hugo au moins…

Ah non ! Elle ne va pas la ramener avec Hugo ! Je tape du poing sur le lit et recule contre mon oreiller.

— Non ! Cette fois, j’en ai assez ! Tu n’as pas à me dire ce qui serait soi-disant mieux pour moi ! La presse people ne déblatère que des conneries ! Tu ne sais rien de Fred et arrête de me parler de Hugo, parce qu’il est loin d’être parfait !

— Alice, je…

— J’aime Frédéric ! De tout mon cœur ! Et je suis prête à faire partie de son monde ! Et tu sais quoi ?

Je ne me suis jamais sentie aussi vivante que depuis que je l’ai rencontré ! Si tu ne parviens pas à

l’accepter, alors tant pis. Je ne le quitterai pas.

Elle ferme les yeux, retenant ses larmes. Elle sait qu’elle ne gagnera pas. Pas cette fois.

Mon père demande :

— Tu es sûre de toi, Alice ?

— Je n’ai jamais été aussi sûre, Papa.

Un sourire résigné s’affiche sur ses lèvres. Ma mère soupire.

— Tu as changé, Alice.

Je lui prends la main et la serre fort.

— Non, je suis amoureuse, c’est tout. Et Fred m’a donné de nouvelles ailes.

— J’espère qu’il prendra bien soin de toi.

Je ferme les yeux en souriant, repensant à tous les cadeaux que Fred a déjà pu me faire, sans compter tout le bien-être et l’épanouissement sexuel qu’il sait si bien m’apporter. J’en rougis. Mais le plus beau présent que cet homme a su m’offrir, c’est la clé de son cœur et celui-là, je veux en prendre soin le plus longtemps possible.

Un coup à la porte. Une infirmière entre avec un plateau-repas. Je jette un œil à l’horloge. 17 h 30.

Punaise ! C’est tôt ! En même temps, à l’odeur qui s’invite dans la pièce, mon estomac se réveille automatiquement.

Quand l’infirmière dépose le plateau devant moi, je grimace : de la purée de pomme de terre et carotte, et un yoghourt en dessert. C’est tout. J’ai l’impression d’être une grand-mère ayant perdu son dentier.

À mon regard déconfit, l’infirmière m’explique :

— Il faut y aller doucement, mademoiselle Lagardère. Votre estomac pourrait mal réagir à un repas plus riche. Demain, vous aurez une meilleure surprise.

Génial ! Je grimace, mais mon ventre se met malgré tout à gargouiller et je sais que cela ne sert à rien de protester.

— On va te laisser manger tranquillement, dit mon père en se levant. On revient demain.

— Vous dormez où ?

— On a trouvé un petit hôtel plutôt sympathique pas très loin.

Ma mère se penche vers moi et m’embrasse.

— Ta sœur pense bien à toi. On t’aime, tu sais ?

— Moi aussi, je vous aime.

— Et tu l’aimes, lui aussi.

Ses yeux me lancent un dernier regard plein d’espoir, je hoche la tête en affirmant :

— Oui, lui plus que tout au monde.

Elle grommelle :

— Tu crois que je dois l’inviter pour Pâques ?

Je me mets à rire. Fred qui espérait échapper aux prochains repas de Noël, il va être servi ! Je crois que je vais attendre un peu avant de lui parler du revirement subit de ma mère, ça risquerait de l’achever.

À peine mes parents partis, je me jette sur la nourriture en faisant fi des conseils de l’infirmière. J’ai tellement faim que je suis incapable d’avaler la purée lentement, même si je galère un peu en mangeant de la main gauche. Et le yoghourt est engouffré en moins de quatre coups de cuillère. Le problème, c’est que c’était léger et que je me sens loin d’être rassasiée.

Je presse sur le bouton d’appel, Estelle débarque dans ma chambre quelques minutes plus tard.

Elle regarde l’assiette vide, surprise.

— Vous avez déjà fini ?

— Avouez qu’il n’y avait pas grand-chose.

— Je suis désolée, mais votre estomac était au repos depuis lundi. On vous a nourrie par intraveineuse, alors il faut y aller tranquillement.

Je soupire en levant les yeux au plafond, puis tente un sourire. Après tout, ce n’est pas de sa faute à

elle.

— Je peux aller me promener ?

Son regard s’adoucit.

— Vous, vous voulez descendre d’un étage !

Je rougis en baissant les yeux. Pourquoi tout le monde parvient-il à deviner tout le temps mes pensées ?

Estelle reprend :

— D’accord, mais vous ne restez pas trop longtemps. Il doit vraiment être tranquille et se reposer. Je ne devrais pas vous le dire, mais il a perdu beaucoup de sang. Il a beau vouloir prouver le contraire, son corps est encore faible.

— C’est une fichue tête de mule.

— Oui, ça, on a remarqué. C’est marrant, je ne l’imaginais pas ainsi.

Là, c’est elle qui rougit et évite mon regard.

— Enfin, j’imaginais bien qu’il avait un sacré tempérament, mais… J’ai lu les articles sur vous et je vous ai vus dans la presse people, mais je ne me doutais pas à quel point vous étiez amoureux l’un de l’autre. Ça me rappelle au début, avec mon ex-mari.

Je grimace. Elle se rattrape comme elle peut :

— Enfin, je veux dire… vous… ça va durer longtemps, j’en suis sûre.

Ouais, tu parles ! Elle vient de me ficher le moral dans les chaussettes. Bravo !

Elle jette un œil aux poches de perfusion.

— La bonne nouvelle pour vous, c’est que je vais pouvoir vous débarrasser de ceci. Vous n’en avez plus besoin.

Elle s’occupe de m’enlever le cathéter et me met un nouveau pansement à la place. Ma main redevient légère, quel bonheur !

Estelle m’aide à me lever, je suis tout ankylosée. Aux premiers pas, je tressaille, mais l’instinct de marche revient rapidement. Et un autre aussi.

— Faut que j’aille aux toilettes.

L’infirmière m’accompagne jusqu’à la porte des W.-C. et je découvre avec bonheur que j’ai même droit à une cabine de douche. Je devrais peut-être en prendre une d’ailleurs avant de descendre rejoindre

Fred. À la réflexion, je crois que j’en ai bien besoin.

Une fois sur les toilettes, je peste. Mais quelle galère, cette attelle ! Pourquoi ne suis-je pas ambidextre ? Les jours à venir vont être longs…

En me lavant la main gauche, je m’observe dans le miroir et comprends mieux la réaction de ma mère.

Mon cou est violacé et des marques rouges apparaissent, çà et là. Elle m’a planté ses ongles dans la peau, cette salope ! En fait, je crois que j’ai une aussi mauvaise tête que ma gueule d’ange ; je suis pâle, les traits tirés.

« Toi, t’es toujours aussi belle. »

Tu parles ! Quel bonimenteur gentleman ! On dirait surtout que je me suis fait passer dessus par un semi-remorque.

Mes yeux se posent alors sur l’accoutrement dont je suis affublée. Nom d’une pipe ! La chemise de nuit de l’hôpital ! Mais quelle horreur ! En plus, elle est ouverte derrière ! Je ne peux pas descendre comme

ça ! Fred, lui au moins, il avait des fringues décentes.

— Tout va bien, mademoiselle ?

J’ouvre la porte de la salle de bain et demande d’une petite voix :

— Vous n’auriez pas un peignoir en stock ?

À mon grand étonnement, Estelle se tourne vers la petite armoire murale de la chambre.

— Je crois qu’il y a mieux que cela.

Elle l’ouvre et je reste ébahie. Quelqu’un m’a apporté des affaires ! Je découvre un survêtement gris, un long tee-shirt pouvant faire office de chemise de nuit, un peignoir blanc, des pantoufles et une petite trousse de toilette contenant le strict nécessaire : savon, shampoing, brosses à dents et à cheveux, crème pour la peau.

Alors ça !

Il y a même des chaussettes et des shortys. Je les reconnais : ce sont ceux que j’ai achetés samedi matin, avec Elsa.

Je regarde l’infirmière complètement incrédule. Elle me sourit.

— C’est le manager de Dark Moon qui a apporté tout cela hier matin.

Je m’empourpre. Serge a fait du shopping pour moi ? Eh bien ! Waouh !

Tant bien que mal, je prends une douche rapide. L’eau chaude apaise mes tensions, parvenant même à

me faire oublier, l’espace de quelques minutes, le pourquoi de ma présence entre ces murs blancs.

Pour m’habiller, en revanche, j’ai besoin de l’aide d’Estelle. J’ai vraiment l’air d’une empotée de première.

Alors que je m’apprête à sortir de la chambre, quelqu’un frappe à la porte. Je l’ouvre et me retrouve nez à nez avec Bastien et Gilles. Le premier porte un gros bouquet de fleurs dans les mains. Je rougis.

— Bonjour, Alice. On peut ? Cinq minutes ?

Je leur souris franchement et à leur grande surprise, je les serre dans mes bras l’un après l’autre.

Bastien reprend, le visage grave :

— Je suis sincèrement désolé. Je n’ai rien vu. J’aurais dû être beaucoup plus vigilant.

— Moi non plus, je n’ai pas fait gaffe. Elle avait sacrément bien préparé son coup !

Je retourne m’asseoir sur le lit, ils prennent place sur des chaises, face à moi.

Gilles s’excuse :

— Ça n’aurait jamais dû se produire. On n’est que…

Je lève la main.

— Non ! Vous avez agi comme il fallait. Bastien, si vous… tu… avais défoncé la porte, elle aurait mis ses menaces à exécution, j’en suis sûre.

— Moi aussi.

— C’est grâce à vous deux que la police et les ambulances sont arrivées si vite. Sans vous, Fred serait…

Ma voix se brise et Bastien pose une main réconfortante sur la mienne.

— Mais on a malgré tout failli à notre mission. L’important, c’est que vous soyez tous les deux en vie, aujourd’hui.

Nous discutons encore quelques minutes, puis ils se proposent de m’accompagner à l’étage inférieur.

Apparemment, Serge a une nouvelle mission pour eux : obliger ma gueule d’ange à rester dans sa chambre. Je crois que ce n’est pas gagné.

71

En parvenant devant la porte 612, les papillons au creux de mon ventre commencent à s’agiter. Je frissonne de plaisir : Fred est là, derrière ce mur. Je me demande ce qu’il a eu le droit de manger, lui.

Une infirmière sort de la chambre, je lui jette un regard en biais. Mince ! Elle est jolie, celle-là ! Il ne manquait plus que ça ! En plus, je suis certaine que toutes les femmes en blanc de cet étage se battent pour savoir laquelle aura l’honneur de s’occuper de Fred Pelletier durant la journée.

Je devrais peut-être insister pour qu’on le mette dans le lit à côté de moi. Là au moins, on sera sûr qu’il arrêtera de faire sa tête brûlée et de se mettre en danger. Après tout, il a bien dit qu’il y avait des risques de rechute. Mon corps tremble à cette pensée.

Il faut vraiment que tu sois raisonnable, mon amour.

L’infirmière a laissé la porte légèrement entrouverte et des voix me parviennent de la chambre. Je reconnais celle de Serge et je l’ai rarement entendu comme ça. Son ton est doux, presque paternel.

— Pourquoi tu ne m’as jamais parlé de cela plus tôt, Fred ?

— J’y arrivais pas. La honte… La colère… Le dégoût de moi-même… La frousse… Et puis, je pensais qu’avec le temps toute cette merde finirait par s’estomper de ma mémoire. J’avais tort.

— Viens là, toi !

— Serge, arrête !

— Ça, ça mérite une photo ! s’exclame joyeusement la voix de Mickaël.

Je pousse la porte en silence et souris. Serge serre Fred dans ses bras et malgré sa protestation, ma gueule d’ange a refermé les siens sur son agent aussi. Elsa et Mickaël les regardent d’un air attendri.

Elsa ? Elle ne devait pas être en Écosse ? Se sentant observée, elle tourne ses yeux vers moi et un grand sourire vient s’afficher sur son visage.

— Alice ! Je suis si contente de te voir !

Elle se précipite vers moi et me prend dans ses bras. Au moins, pas de jaloux, tout le monde a droit à

son câlin. D’autant plus lorsque Mickaël nous rejoint et nous entoure, toutes les deux.

— Moi aussi, je suis content de te voir. On a tellement flippé en apprenant la nouvelle, putain ! Flavia viendra vous voir demain.

Je pose mes yeux sur Elsa.

— Tu n’es pas en Écosse ?

— J’ai repoussé. Après le coup de fil de Fred, j’ai compris qu’un truc ne tournait pas rond. J’ai rejoint illico votre hôtel et j’ai cru que je délirais en découvrant les voitures des flics et une ambulance.

Personne ne voulait m’expliquer ce qu’il se passait ni me laisser entrer. Et j’ai vu les brancards sortir, d’abord le tien et celui de l’autre tarée. Quand je t’ai vue avec le masque à oxygène… Putain ! Et Fred qui ne sortait pas… J’ai balisé un max. Vous êtes parties en ambulance et j’ai attendu encore un bon moment. Finalement, ils ont sorti Fred et Serge m’a vue, j’ai pu les accompagner ici.

Elle pointe un doigt vers ma gueule d’ange.

— Toi, tu ne nous refais plus jamais un coup pareil, bordel !

— J’essaierai.

Elle lui fait les gros yeux et je m’approche du lit. À ma grande surprise, Serge vient vers moi et me prend dans ses bras.

— Désolé pour tout ça, Alice.

— Vous n’y êtes pour rien. Merci pour les habits.

Il hausse les épaules en relâchant son étreinte.

— C’est la moindre des choses.

Je m’assois sur le lit de Fred. Il m’attire contre lui et m’embrasse dans le cou.

Les infirmiers ont relié son cathéter à deux poches de perfusion. Mais comparé à moi, elles ont été

placées sur une de ces barres porteuses à roulettes et Fred peut se déplacer comme il le souhaite. Alors pourquoi s’est-il amusé à les arracher ?

— Bon, je crois qu’il est temps de mettre les voiles, dit Mickaël en passant son bras autour des

épaules d’Elsa. On reviendra demain.

Ils nous font tous les trois la bise, puis ils sortent. Fred passe sa main dans mes cheveux et remet une boucle derrière mon oreille.

— Quelle belle surprise !

— Tu me manquais, mon amour.

Je l’embrasse et il me demande en riant à moitié :

— Et ta mère ? Elle s’est calmée ?

J’entreprends de lui raconter notre houleuse engueulade, sans lui parler de Pâques. On a le temps pour

ça. Surtout qu’il paraît fatigué et je m’en veux presque de l’avoir rejoint. Je ne suis qu’une égoïste : il a besoin de repos et moi, je veux des câlins.

— Tu as l’air fatigué, Fred. Je vais te laisser.

Il s’empare de ma main et ses yeux s’enflamment.

— Tu plaisantes, demoiselle ? T’es là, tu restes.

— Fred, c’est sérieux. L’infirmière m’a parlé et…

— T’inquiète pas pour moi. Je vais bien.

— Si, je m’inquiète pour toi. Tu crois quoi ? Arrête de vouloir faire ton homme fort tout le temps ! Tu as aussi le droit de montrer tes…

Il hausse un sourcil. Je m’empourpre. Je crois qu’il n’est jamais très bon de rappeler à un homme qu’il a également des faiblesses. Ils le savent parfaitement, mais n’aiment pas qu’on le souligne. Ah ! Ces mecs !

Son regard est brûlant. Pour un peu, je crois qu’il serait encore capable de me sortir qu’il est apte à

faire l’amour. Je sais que ça me mettrait dans tous mes états et que ça ne serait pas raisonnable du tout.

L’amour dans une chambre d’hôpital… Et voilà… Mon nouveau shorty est mouillé !

Je détourne mes yeux en rougissant. Histoire de concentrer mes idées saugrenues sur un autre sujet, je jette un œil au décor autour de moi. Mon apollon a droit à des murs bleu ciel, c’est plus sympa. Et sa chambre est privée. Veinard ! Moi, si ça se trouve, j’aurai de la compagnie d’ici la fin de mon séjour et on ne sait jamais sur qui on peut tomber.

Ce qui attire le plus mon regard, ce sont les fleurs. Sa chambre en est remplie. La vache ! Et des cartes, du chocolat et même des bouteilles de bière et de whisky ! J’ai l’impression que ses fans se sont mobilisés. Waouh ! Allez savoir pourquoi, ça me touche.

Je me lève et vais voir tout ça de plus près. Je respire les fleurs, lis quelques cartes avec l’accord de

Fred. Tous ces gens, hommes et femmes confondus, ressentent vraiment de l’amour pour lui. Il doit leur apporter beaucoup.

Fred me rejoint et jette un œil sur quelques écrits.

— Ton public t’aime, gueule d’ange. C’est indéniable. Je suis bluffée.

— Ouais. Moi aussi.

Des journaux sont déposés sur une table, je les tire vers moi et ouvre la bouche de stupéfaction. Il y a des articles sur lui et moi avec de gros titres. Et ce ne sont pas des magazines people, mais de vrais journaux ! Nom d’une pipe ! Tu m’étonnes que ma mère ait pété un plomb.

Fred Pelletier et son amie agressés !

Dans la matinée du lundi 7 janvier, Fred Pelletier, le chanteur du groupe de rock Dark Moon, a été

violemment agressé dans sa chambre d’hôtel.

C’est une jeune femme de 27 ans, fan de la première heure de l’artiste, qui a tenté de le tuer, lui et sa petite amie helvétique.

Fred Pelletier a été admis aux soins intensifs de la Salpêtrière à Paris. Les médecins ne veulent pas se prononcer pour le moment.

Fred Pelletier est le leader…

Je tremble à la lecture. Je me demande si les journaux suisses ont eu des articles tout aussi dramatiques. Nom de nom ! Johanna et Mathieu doivent être dans tous leurs états ! Sans parler de mes collègues… J’aurais dû reprendre le travail aujourd’hui. Il faut que je les appelle.

Je prends un périodique daté de ce matin.

Le chanteur de Dark Moon sain et sauf !

Hier soir, les médecins de la Salpêtrière à Paris annonçaient que la vie de Fred Pelletier, le leader de

Dark Moon, n’était plus en danger.

Après plusieurs heures passées entre la vie et la mort, le chanteur du groupe de rock a pu quitter le service des soins intensifs mardi en début d’après-midi.

Je relève les yeux vers ma gueule d’ange et pointe ses poches de perfusion du doigt.

— « Entre la vie et la mort » ? Et la nuit dernière, tu arraches ces tuyaux pour venir me rejoindre ?

Mais c’est n’importe quoi ! Tu veux vraiment y passer ou quoi ?

Il lève sa main droite en tirant la langue.

— Je supporte pas ces trucs !

— Fred, c’est pour ton bien et c’est juste l’histoire de quelques jours.

Je repose mon regard sur l’article.

À peine la terrible nouvelle de l’agression s’est-elle propagée, que de nombreux fans du chanteur se sont rendus devant l’hôpital afin de soutenir leur idole par la pensée.

En fin de journée, c’est avec soulagement qu’ils ont appris que Fred Pelletier était sorti d’affaire.

Son amie, également transférée à la Salpêtrière, est toujours dans un coma léger, mais elle présente des signes de réveil, ce n’est plus qu’une question d’heures, selon le corps médical.

Fred lit par-dessus mon épaule et me déclare d’un ton ironique :

— Tu vois, ils le disent : je suis sorti d’affaire.

— Alors pourquoi tu te tiens le flanc ?

— Ça tire, c’est tout.

— Tu parles. Va te recoucher ! Zou !

Je l’oblige à reculer.

— Tu vois que tu sais donner des ordres, demoiselle.

Son sourire coquin me fait rougir jusqu’aux oreilles et mes papillons s’envolent.

— Ne joue pas à ce jeu-là, gueule d’ange !

— Tu ne veux pas ? Moi, ça me manque.

Il s’assoit sur le bord du lit et m’attire entre ses jambes. J’y crois pas : il bande ! Non ! Ce n’est pas raisonnable. En plus, les toubibs peuvent entrer ici comme ils veulent. Pourtant, je ne résiste pas à l’appel de ses lèvres et l’embrasse passionnément.

Il se laisse aller contre le lit et je le suis dans le mouvement en prenant garde de ne pas me coller à lui.

Sous la douceur de ses coups de langue, ma respiration s’accélère et mon corps se réveille.

— Touche-moi, Alice.

— Je vais te faire mal.

— Non. Touche-moi !

Mes mains viennent se perdre dans ses cheveux, puis je les laisse descendre le long de son tee-shirt et relève légèrement le tissu, juste pour toucher sa peau au niveau de la lisière du jogging.

À peine mes doigts frôlent-ils son épiderme que de puissantes idées cochonnes s’invitent dans mon esprit. C’est vraiment n’importe quoi !

Fred passe ses mains sous mon pull et un frisson d’excitation me traverse. En plus, je n’ai pas de soutien-gorge.

— Toujours aussi douce, ma demoiselle. J’ai envie de…

Je pose un doigt sur ses lèvres.

— Ne le dis même pas, Fred ! On ne peut pas !

— Et ça m’excite encore plus !

Il s’empare de ma main gauche et l’amène sur la bosse de son sexe en érection. Mmmmh… J’ai tellement envie de lui, moi aussi !

Pendant que ses doigts enlacent les miens, les obligeant ainsi à sentir à quel point cet homme sublime me désire, son autre main se pose sur mon dos et d’un coup, il peste :

— Mais ça m’énerve ce machin ! Putain !

Je le retiens d’arracher le cathéter et le houspille :

— Arrête ! Et ne t’avise pas de l’enlever ! Bon, stop ! Se donner des envies pas sérieuses pour rien, c’est pas cool.

Je retire ma main de son entre-jambes et me redresse. Il me fait alors son air de petit garçon espiègle et je pose mes mains sur mes yeux en grognant.

— Non, tu ne m’auras pas comme ça ! Je serai la voix de la sagesse, ce soir.

— Alice…

— Non ! Je veux bien m’allonger à côté de toi et on discute, mais rien de plus.

Voyant que je ne céderai pas, il soupire et se pousse pour me laisser de la place à ses côtés. Je me blottis contre lui et pose ma main sur son torse.

— Vous allez faire comment pour la tournée ?

— C’est en pourparlers avec Serge et les toubibs. J’ai perdu beaucoup de sang et je dois suivre un traitement de fer pour éviter l’anémie.

Il désigne les poches de transfusion.

— D’après ce que j’ai compris, ils veulent pas que je remonte sur scène avant le mois prochain et je dois me reposer un maximum d’ici là. Du coup, je pense qu’on va tenir les dates de la mi-février à fin mars, comme prévu, et tant pis pour les autres. On se rattrapera sur la tournée suivante.

Tout en faisant des cercles concentriques sur son tee-shirt, je demande, pleine d’espoir :

— Quand tu dis que tu dois te reposer… Chez toi ?

Il dépose un baiser dans mes cheveux.

— Ouais et je vais avoir besoin d’une infirmière personnelle.

— La place est encore vacante ?

— Dépêche-toi de poser ton CV, demoiselle, y a du monde qui se bouscule déjà au portillon.

Je remonte mon visage vers le sien et frôle sa bouche de mes lèvres. La libertine dévergondée en moi est subitement sur le qui-vive.

— Quelles sont vos exigences, monsieur Pelletier ? De savoir vous embrasser à s’en perdre ? D’être la reine des pipeuses ou de vous offrir une masturbation en direct ?

Fred me scrute d’un air surpris et je vois à la lueur de ses yeux verts que le chasseur est à l’affût. Moi, je n’en mène pas large. Mais pourquoi viens-je de balancer une telle promesse ? Je ne sais pas comment il s’y est pris, mais je crois qu’il m’a eue.

— Tu serais prête à me refaire une démonstration ?

Et voilà ! Ce n’est pas tomber dans l’oreille d’un sourd et en plus, ce mec a une bonne mémoire. Je suis fichue ! Alors je joue le jeu, et j’en suis tout humide.

— Peut-être bien, si votre santé est en jeu, monsieur.

— Intéressant. Mais ce n’était pas mon exigence. Ni les pipes d’enfer.

— Ah bon ? Alors c’est quoi ?

Mon cœur commence à tambouriner et j’ai chaud. Je sens que Fred va me surprendre et j’en tremble.

Il passe sa main gauche dans mes cheveux et noie ses yeux dans les miens.

— Savoir me dire « je t’aime ».

Une larme se met à couler le long de ma joue et je caresse son visage.

— Je t’aime, Frédéric.

— Vous êtes engagée.

Il amène ma tête contre lui et m’embrasse avec une tendresse infinie.

Plus d’une heure passe. Le soleil s’est couché depuis longtemps. Fred s’est endormi, le front contre mon épaule, mais il n’y a rien à faire, je ne parviens pas à quitter cette chambre. La voix de la sagesse ?

Tu parles !

Je regarde avec amour mon rockeur respirer. Il est si beau et il a l’air tellement apaisé ainsi. Je passe la main dans ses cheveux.

Fort et fragile… Autoritaire et tendre… Si adolescent et pourtant incroyablement adulte…

Autant de complexités réunies en un seul homme. Elsa a raison, il faut parvenir à le supporter. Les gens qui l’adulent ne savent rien de lui, de ses fêlures, de son passé, de ses folies cachées. Il a su s’offrir au monde, pourtant le monde ne voit que la pointe de l’iceberg. Même moi, je suis certaine que j’ai encore bien des choses à découvrir de lui.

Mon cœur s’emballe et je souris aux anges : finalement, je vais l’avoir encore un mois complet auprès de moi. Ça valait bien la peine de se prendre la tête ! Pour un peu, j’en remercierai presque Sarah-lacinglée.

Que va-t-elle devenir, celle-là, d’ailleurs ? Avec le recul, et après en avoir encore un peu parlé avec

Fred, je commence à ressentir de la pitié pour cette fille. Et à mon grand étonnement, mon esprit lui envoie une petite prière. J’espère qu’un ange veille sur elle, malgré tout.

Une brève frappe contre la porte de la chambre me sort brusquement de mes pensées et une infirmière entre sans attendre la permission. Encore un clone de Barbie ! Mais c’est pas vrai ! C’est quoi ce service ? C’est Serge qui a demandé à ce que toutes les jolies infirmières de la Salpêtrière soient regroupées auprès de Fred ou quoi ?

Je m’assois et la regarde approcher du lit d’un air mauvais.

— Il dort ? demande-t-elle d’une voix innocente.

Non, il joue au Scrabble, fausse blonde !

Comme je ne réponds pas, elle hausse les épaules et vérifie le niveau des perfusions. Puis, elle se penche sur Fred, relève le tee-shirt et scrute le pansement. Enfin, c’est peut-être ce qu’elle veut me faire croire, parce que je trouve qu’elle s’attarde un peu trop longtemps.

Ma gueule d’ange, lui, dort profondément, car rien ne semble le perturber. Il en avait sacrément besoin, le pauvre. Il n’est vraiment pas raisonnable.

Dès qu’elle a fini son manège, l’infirmière s’intéresse à moi et me tend la main en chuchotant :

— Vous devez être Alice Lagardère. Enchantée, je m’appelle Précieuse.

Précieuse ? Rien que ça ! Je me retiens de grimacer. Je serre sa main et lui adresse le plus magnifique sourire hypocrite dont je suis capable en demandant d’une voix froide :

— Vous allez le garder longtemps dans votre service ?

Elle pose ses yeux sur Fred et cligne des cils plusieurs fois avant de me répondre en minaudant :

— Cela va dépendre de sa capacité à récupérer ses forces.

Je me retiens de rire nerveusement. Ses forces ? Si tu savais qu’il était prêt à me faire l’amour sur ce lit, tout à l’heure, chérie, tu n’en reviendrais pas.

En attendant, ce n’est pas une réponse et je n’aime pas le regard qu’elle pose sur lui. Sérieusement, c’est une infirmière ou une fan sournoisement déguisée ?

— Vous entendez quoi par là ?

— Selon les médecins qui s’occupent de lui, si tout va bien, il pourra sortir dimanche.

Elle revient vers moi et c’est à son tour de m’offrir son plus beau sourire de faux-cul :

— Il a besoin de repos, mademoiselle Lagardère.

Ça va, garde ta salive, Précieuse, j’ai compris le message.

Je me tourne vers Fred et dépose un baiser sur sa joue en lui murmurant :

— Dors bien, mon amour. À demain.

En sortant de la chambre 612, je devine le regard de l’infirmière dans mon dos. Mais pourquoi elle reste, elle ? Il dort, elle ne peut rien faire de plus ! Bastien et Gilles se tiennent devant la porte.

— Alors, vous restez vraiment pour le surveiller ? je demande, étonnée.

— Y des fans devant l’hôpital. Certains ont tenté de s’introduire en douce pour venir jusqu’à sa chambre, et je ne parle pas des journalistes ! me répond Gilles.

Je prends une mine dégoûtée. Certaines personnes n’ont vraiment plus aucun respect.

— Mouais… Ben, si vous le pouvez, gardez aussi un œil sur les infirmières. Autant de sosies de

Jessica Rabbit sur un même étage, moi, je trouve ça louche.

Les gorilles se marrent. J’ajoute :

— Plus sérieusement… Si Fred veut sortir de sa chambre, vous allez l’en empêcher ?

Bastien me lance dans un clin d’œil :

— Ça dépend où il veut aller se promener.

Quand l’infirmière sort – enfin ! – de la chambre, elle paraît gênée de me voir encore devant la porte, mais elle a l’intelligence de ne pas me faire de remarque. Elle file même en quatrième vitesse rejoindre ses collègues dans leur bureau et j’aperçois bientôt deux ou trois têtes se pencher frénétiquement par la porte. Visiblement, la sale tronche de la petite amie de la rock star les intrigue au plus haut point. Il est temps que je rejoigne mon antre.

— Je t’accompagne, Alice.

Je ne refuse pas la proposition de Bastien. Sa présence me rassure et c’est même avec regret que je le vois partir après lui avoir souhaité une bonne nuit.

Une fois seule, j’enfile le grand tee-shirt que Serge m’a acheté, puis je profite de ma solitude pour téléphoner à mes colocataires et à Iris.

À chaque fois, ce sont des cris hystériques qui m’accueillent au bout du fil. Johanna est en larmes et je trouve même Mathieu sacrément ému aussi. Je pleure avec eux.

— Tu rentres quand ? me demande mon amie entre deux sanglots.

— Ils me gardent encore deux jours. Et je vais voir comment ça se passe pour Fred.

— Tu veux que je vienne ?

Je souris. J’aimerais la voir, c’est sûr, mais je ne peux pas lui demander cela.

— Non. Il y a mes parents qui sont là et les amis de Fred. Ça va. Et il va bien falloir que je revienne au boulot. Je vais appeler Iris après. Je rentrerai sûrement dimanche.

Et voilà ! J’ai une boule au ventre à l’idée de devoir rentrer sans ma gueule d’ange. S’il sort dimanche, je ne pense pas qu’il pourra déjà prendre le train le soir même. Il faut qu’il se repose un peu ici avant. Et il sera bien entouré. Je suis sûre que Rose se fera un plaisir de le dorloter. Et je ne connais personne qui sache aussi bien se débrouiller seul que Fred.

« Alors, arrête de baliser ! »

J’appelle ensuite Iris et ses paroles m’émeuvent également. À la bibliothèque, apparemment, je suis devenue une star !

— Les gens nous demandent de tes nouvelles et ils veulent t’apporter des fleurs à ton retour. Mon

Dieu ! Ma chérie ! Quelle histoire ! Judith en est toute retournée aussi !

— Tu m’excuseras auprès de Jean-Mi et des autres.

— T’excuser, Alice ? Mais pourquoi ?

— Parce que je devais revenir aujourd’hui et…

— Mais tu arrêtes ça tout de suite, ma chérie ! Ne commence pas à culpabiliser pour ça et surtout, prends le temps nécessaire de récupérer.

— Je reviendrai lundi.

— On verra. Tu vas bien écouter les médecins et si tu as besoin de plus de temps, tu n’hésites pas à

nous le dire, d’accord ?

Attention ! Je risque de la prendre au mot rien que pour rester un peu plus avec mon apollon.

« Alice ! Où est passée ta rigueur au travail ? »

Je crois qu’elle a foutu le camp une nuit de septembre au giratoire du Flon.

Après un dernier coup de fil à ma sœur, c’est l’esprit vidé et le corps en vrac que je me couche avec bonheur dans le lit. La couette est chaude, c’est agréable, et le sommeil s’empare rapidement de moi.

72

Je suis dans la chambre d’hôtel. Fred est auprès de moi.

— Faut que je parte, demoiselle.

— Non ! Reste avec moi !

Il se dirige vers la porte. Je le retiens par son tee-shirt de Tagada Jones et tire aussi fort que je peux.

— Reste, mon amour ! Tu vas mourir !

Fred se retourne vers moi et me sourit méchamment.

— Mais je suis déjà mort, Alice, depuis dix ans !

Son tee-shirt me reste dans les mains et son tatouage de dragon se met à danser sur sa peau nue avant de s’en détacher et d’ouvrir son immense gueule noire vers moi. La bête démoniaque crache du feu et je hurle.

Fred plaque une main contre ma bouche et murmure à mon oreille :

— Ne crie pas, demoiselle. La douleur du dragon n’est rien.

Il ouvre la porte de la chambre et Sarah-la-cinglée pointe un revolver sur mon front. Je recule, horrifiée.

— Je suis sa plus grande fan.

Fred la prend dans ses bras et l’embrasse. Je crie de rage. J’ai mal, je m’effondre.

— Non ! Non ! Non !

Fred la lâche et se tourne vers moi.

— Regarde, Alice, la mort ne m’effraie pas.

Sarah tient un poignard dans sa main et le frappe en plein cœur. Je hurle. Il s’effondre.

Le flingue apparaît à nouveau entre les doigts de la cinglée et elle s’exclame en le braquant vers moi :

— Tu n’es rien, je suis tout et je l’aime éperdument !

Mon cri résonne dans la chambre de l’hôpital. J’ouvre les yeux. Je transpire et une infirmière se tient à

mes côtés, me regardant gravement.

— Mademoiselle Lagardère, vous allez bien ?

— J’ai fait… un cauchemar. C’était horrible !

Je me mets à pleurer.

— Racontez-le-moi.

J’hésite, puis me laisse finalement aller à la confidence. Et je dois reconnaître que ça me fait du bien d’en parler, même si cela n’empêche pas le tambourinement violent de mon cœur et les tremblements de mon corps. Les images du cauchemar sont si présentes, si vives… Est-ce cela que Fred vit, nuit après nuit, depuis plus de dix ans ? M’en faudra-t-il autant pour passer par-dessus cet événement ?

— Tout va bien, mademoiselle. Votre inconscient s’exprime et c’est positif.

— Ah bon ?

— Oui. Ce que vous avez vécu est traumatisant et cela va prendre du temps. Si vous avez besoin d’en parler…

Je secoue la tête. Un psy ? Non, merci !

L’infirmière me donne un verre d’eau, puis je lui demande de me laisser.

Voilà autre chose ! Un cauchemar ! Ah ça ! On va former un sacré couple dorénavant, Fred et moi !

Mon cœur se serre. J’aimerais tellement l’avoir auprès de moi. Lui saurait me rassurer ; les mauvais rêves, il connaît.

Je me pelotonne sous la couette et frissonne. À tous les coups, l’infirmière va noter cet incident dans le carnet de bord de la nuit et demain, j’ai un psy qui débarque dans ma chambre. La fameuse « cellule d’aide psychologique en cas de traumatisme ». Tu parles ! Moi, ma cellule d’aide psychologique, ce sont les bras de Fred.

Je renifle et parviens à me rendormir. Mais le sommeil est léger. J’ai froid, j’ai peur de rêver. Pourtant, le songe qui m’attend est des plus agréables.

Pas d’hôtel, ni de folle, ni de flingue. Je suis chez Fred, dans sa chambre, couchée dans son lit, toute nue. Il s’avance vers moi, vêtu de sa chemise noire en lin, ouverte sur son torse musclé, et de son jean denim élimé que j’aime tant. Sa peau est chaude, elle me fait du bien, elle me réchauffe. J’ai si froid. Fred m’embrasse dans le cou, caresse mes cheveux. Je sens son souffle chaud sur moi.

— Mmmh… Fred…

Il plonge son regard dans le mien et souffle :

— Chut, demoiselle ! Dors.

Dormir ? Avec ce qu’il est en train de me faire ? Il plaisante ?

Il écarte mes jambes et sa langue vient se poser avec délice sur mes parties intimes. Ce que ça m’a manqué !

— Fred ! Mmmmh… Encore…

Mais alors qu’il fourrage avec passion, là, en bas, je l’entends qui me murmure à l’oreille :

— Chut ! Dors !

Là, y a un truc qui cloche !

Je suis au bord de l’orgasme, pourtant je me force à ouvrir les yeux. Mon vagin est réellement en feu suite à mon rêve érotique, mais ce n’est pas ça qui m’intrigue. Je n’ai plus froid et deux bras me réchauffent réellement.

Je tourne mon visage. Fred me sourit.

— Je t’ai dit de dormir, demoiselle.

Je m’étrangle.

— Qu’est-ce que tu fiches ici ?

Je m’empare de sa main ; cette fois, il a carrément retiré le cathéter !

— Fred !

— Je t’ai dit : je supporte pas ce machin !

— Tu ne peux pas rester ici ! Ils vont te trucider.

— J’ai la peau dure.

Ses lèvres frôlent les miennes et son odeur m’enivre. Je sais que je ne vais pas parvenir à résister longtemps.

— Ce n’est pas drôle. Tu n’es pas…

— Raisonnable ? Non, je sais. On me changera pas maintenant.

— Même pas moi ?

Il se met à rire doucement.

— Sur ce coup-là, surtout pas toi.

— Et les gorilles ? Ils t’ont laissé sortir ? Serge va être furieux.

— La vie reprend son cours ! Rock’n’roll, demoiselle. Si tu me dis que tu veux pas de moi dans ton lit, je fous le camp.

J’ai l’impression de revenir dix ans en arrière et d’être dans une colonie de vacances, quand les moniteurs étaient censés surveiller que garçons et filles restent sagement dans les dortoirs. Bien entendu, c’était peine perdue, il y en avait toujours pour réussir à passer outre le règlement. Et bien que Fred n’ait jamais été en colonie, je sais que c’était le roi pour faire le mur au foyer.

Je repousse la mèche noire sur son front et lui avoue :

— J’ai fait un cauchemar.

Il fronce les yeux, soudain inquiet. Je me mets assise et le lui raconte. Il me prend à nouveau dans ses bras.

— Ça va passer, demoiselle.

— Ce n’est jamais passé chez toi.

— Peut-être parce que j’ai voulu enfouir les souvenirs, les oublier. Tu feras pas la même erreur que moi, princesse. Il faut accepter ce qu’il s’est passé, le refouler ne sert à rien.

— Ce n’est pas facile.

— Non, mais on l’a vécu ensemble ce traumatisme, alors on peut s’aider.

Je l’embrasse, doucement.

— Tu crois qu’on ira loin, toi et moi ?

— Je sais pas. Je suis pas devin. On va déjà tenter d’aller jusqu’à demain, qu’est-ce que t’en dis ?

— Demain, c’est une jolie destination. Rien que toi et moi ?

— Toi, moi, le sexe et le rock’n’roll.

— Surtout le rock’n’roll ?

— Non, surtout le sexe.

Ses yeux s’illuminent d’une flamme que je commence à bien connaître. La chaleur de mon vagin avait réussi à s’atténuer, mais face à ce regard remplit de promesses foutrement coquines, elle m’irradie de nouveau.

Fred laisse sa langue venir courir sur mes lèvres. J’entrouvre ma bouche, lui permettant ainsi de s’y engouffrer, faisant céder les dernières barrières que ma sagesse avait tenté de mettre en place. Avant même que je puisse le retenir, Fred glisse sa main dans mon shorty. Il sourit.

— Mademoiselle Lagardère, nous sommes à l’hôpital ! Vous n’avez pas honte de mouiller ainsi ? Vous savez que les infirmières de garde pourraient rentrer sans frapper ?

— Ne me dis pas que tu serais vraiment capable de me faire du bien ici ?

— Je le dis pas.

Je tente de retirer sa main.

— Fred ! Ta blessure ! Tu dois te reposer !

— J’ai un mois pour me reposer.

— Avec moi comme infirmière ? Je crois que c’est raté !

— Non, au contraire. Tu me feras passionnément l’amour et après on s’endormira et on reprendra des forces avant de recommencer.

— Tu voudras que je te fasse l’amour ?

— Tu le fais si bien, demoiselle.

— Et si je veux que tu me baises ?

Il enfonce un doigt en moi et je me retiens de crier de plaisir. Il est incorrigible ! Et qu’est-ce que j’aime ça !

— Alors je vous baiserai, demoiselle, jusqu’à m’en perdre.

— Bien, mais cette nuit vous ne pouvez ni me faire l’amour ni me baiser, monsieur Pelletier.

Il fait tourner son doigt et je m’accroche à la couette.

— C’est mal me connaître.

Il plaisante, là ? Y a encore quarante-huit heures, il était dans le service des soins intensifs !

— Fred…

— OK, j’admets que je pourrai peut-être pas jouir en toi, mais j’ai d’autres moyens de te faire du bien.

Il retire son doigt et soulève mon tee-shirt. Je me laisse faire et frissonne quand ma peau se retrouve nue. Je jette un œil fébrile vers la porte. Nom d’une pipe ! Si les infirmières se doutaient de ce qu’il se passe ici même, ce serait le scandale assuré.

Les doigts de ma gueule d’ange frôlent ma peau et je m’embrase. Mes seins se gonflent, mon clitoris se réveille. Je pose ma main contre l’entre-jambes de Fred et je souffle. La vache ! Je crois qu’il va falloir que je lui fasse du bien aussi !

Sa langue embrasse la mienne, puis il retire son propre tee-shirt. Son bandage me saute aux yeux. Vu la taille, la blessure doit être vilaine. Non, ce n’est vraiment pas raisonnable.

— Fred, c’est pas…

Il colle à nouveau sa bouche sur la mienne, puis m’attire doucement à lui. Mes seins s’écrasent sur son torse et cette sensation, peau contre peau, finit d’enflammer mes sens.

Fred fait glisser mon shorty le long de mes jambes et se couche sur le dos.

— Viens.

Je le regarde sans comprendre. Il pose ses mains sur mes fesses et me fait grimper à la hauteur de son visage.

Dès que le bout de sa langue titille mon clitoris, je me retiens comme je peux de pousser un cri. Je me redresse, mais Fred pose ses mains sur mes hanches et m’oblige à descendre mon intimité vers sa bouche.

Sa langue revient à l’assaut. Je laisse mon dos partir en avant et m’accroche aux barreaux du lit en me mordant les lèvres pour ne pas hurler de plaisir. Putain ! C’est si bon !

Sentant que je ne vais plus essayer de m’échapper, Fred relâche mes hanches et vient poser ses mains sur mes seins. Là, c’est l’extase suprême. Il les caresse, les presse, joue avec mes tétons, exactement comme j’aime.

J’écarte davantage les cuisses, ouvrant mes lèvres inférieures au maximum. Encore ! Oui ! Argh ! La vache !

Je me mets à haleter fort. Je ferme les yeux et serre les dents lorsque la jouissance m’envahit.

— Tu vois ? constate Fred. Pas besoin de queue pour baiser. La langue fait aussi parfaitement son travail.

Je le regarde, enfiévrée, souriant comme une diablesse.

— Et tu crois que la mienne pourrait te faire du bien ?

— Elle me fait toujours du bien, demoiselle.

Je contourne son bandage du bout des doigts.

— Tu es sûr que ça ne risque rien ?

— À part salir les draps ? Non.

Comment vais-je expliquer les taches de sperme aux infirmières demain matin, moi ? À moins que je n’avale…

Voyant mon hésitation, Fred retire son pantalon, me prend la main et la pose sur son pénis. C’est vrai que ce serait dommage de ne pas lui faire du bien, à celui-là.

Je me penche sur lui et entreprends de le sucer comme il se doit. À peine l’ai-je en bouche que Fred se met à gémir. Il est plus qu’à point et cela m’excite comme une folle. J’en oublie rapidement où nous sommes et le pipe avec ferveur.

— Alice ! Ça m’a manqué, putain !

Je me tiens sur le côté, à hauteur de sa main. Je le sens venir. J’accélère le mouvement. Il introduit à

nouveau un doigt en moi. Je me contracte en gémissant.

— Continue, demoiselle… Laisse-toi aller…

Je me reconcentre sur ma pipe tout en suivant son conseil et m’ouvre avec régal au plaisir de ses caresses vaginales. C’est pas vrai ! Je crois que je vais bientôt jouir !

— Alice, viens vers moi.

Quoi ? Je ne l’écoute pas et continue de le sucer de plus belle. Il se redresse légèrement et m’oblige à

remonter vers lui. Il prend ma main et la referme sur son membre.

— Fais-moi jouir comme ça.

Et tandis que je le masturbe, il me caresse entre les jambes. Nos regards se perdent l’un dans l’autre. Il joue avec mon clitoris et ma fente tout en se mettant à respirer de plus en plus fort et moi, je halète comme une chienne. Ce n’est pas possible que le personnel médical n’entende rien de l’autre côté de la porte !

Nos bouches se cherchent avec avidité, nos langues se rencontrent, nos salives se mélangent et nous partons aussitôt dans un orgasme partagé, les yeux dans les yeux. Ceux de Fred sont illuminés par le désir et l’amour. Ce que c’est beau ! J’espère que les miens lui rendent la pareille.

Son sperme se répand sur ma main. Et voilà ! Y en a partout ! Mais j’en ris. Je viens de prendre mon pied sur un lit d’hôpital ; si on m’avait dit ça un jour, je ne l’aurais jamais cru.

Je tends le bras vers le chariot, il y a une boîte de mouchoirs posée dessus. J’en donne un à Fred qui entreprend d’essuyer la preuve de nos idées saugrenues sur le drap-housse bleu.

— Tu as mal ?

— Non, je vais très bien, demoiselle.

— Sûr ?

Il m’embrasse.

— Vérité vraie. Je peux rester avec toi cette nuit ?

— Et si les infirmières te découvrent ?

— Eh bien, elles se diront peut-être qu’il est enfin temps que t’aies un voisin de chambre.

— Ça, ce ne serait vraiment pas raisonnable.

— Foutrement pas, non.

J’entoure son cou et l’embrasse à mon tour. Je crois bien que je n’ai jamais été aussi heureuse qu’à cet instant précis.

Fred pose son front contre le mien.

— Et si on dormait un peu, princesse ?

— Je ne suis pas sûre d’avoir sommeil.

Mais je lui tourne le dos et viens me blottir contre lui. Il m’entoure tendrement de son bras droit, prenant soin de ne pas appuyer sa blessure contre moi.

On ne s’est même pas rhabillés ! Je crois que dans quelques heures, nous allons laisser un souvenir mémorable à la première personne qui rentrera dans cette chambre. Tant que ce n’est pas ma mère…

Fred souffle doucement contre mon cou. C’est chaud. Je suis si bien. Un voile doux m’enveloppe, je ferme les yeux.

Fred rapproche sa bouche de mon oreille et pour mon plus grand bonheur, il se met à fredonner une chanson de sa belle voix grave et cassée. Mon cœur s’emballe et je resserre mon étreinte sur son bras. Si tu savais combien je t’aime, mon Fred !

J’ai rencontré une demoiselle

Moitié ange, moitié rebelle

Elle veut pas croire qu’elle est belle

Cette fille, elle m’a rendu mes ailes

Quel goût ça a, toi et moi

Jusqu’où tu penses qu’on ira

J’aime quand t’es dans mes bras

Demoiselle, t’es ma reine

Pour moi, y a plus que toi

73

Trois ans et trois mois plus tard

— Maman ! C’est quand qu’il arrive Papa ?

— Bientôt.

— Mais c’est long !

— Patience… Je crois que je le vois.

— Où ça ? Dis ! Moi, je vois rien !

— Viens dans mes bras… Là, tu le vois ?

— Oui ! Papa ! Papa !

— Attends, mon cœur, il ne peut pas t’entendre. Il va bientôt sortir. Bon, je te pose. Tu sais que tu n’es plus tout léger, toi ?

Flavia dépose délicatement Malone par terre, puis elle passe sa main sur son dos et s’étire. Je scrute discrètement son joli ventre arrondi et la sermonne :

— Je pensais que tu devais te ménager en évitant de porter du lourd.

Elle me fait un clin d’œil.

— Pour mon fils, je fais une exception et je sais que tu garderas ça pour toi.

Elle caresse tendrement son ventre. Elle est à plus de six mois de grossesse. Ce sera une fille, cette fois. Mais je ne suis pas censée le savoir. C’est Mickaël qui a lâché le morceau avant que Dark Moon ne reparte sur les routes, trois mois plus tôt, après une pause de quelques jours durant leur nouvelle tournée triomphale.

Leur quatrième album, De l’autre côté du miroir, connaît un succès phénoménal depuis sa sortie, et cela fait plus d’une année et demie que le groupe va de scène en scène, en s’accordant de brèves pauses par-ci, par-là.

Comme Malone, je scrute attentivement la vitre nous séparant de la douane de l’aéroport. J’aperçois

Mickaël de dos. Mon cœur bat à tout rompre. Six semaines que je n’ai pas revu Fred. Nous n’avons jamais été séparés aussi longtemps.

Comme il me l’avait promis trois ans plus tôt, il est revenu à la maison régulièrement au cours de leurs diverses tournées. Mais là, six semaines, qu’est-ce que c’était long, nom d’une pipe !

Serge a décidé qu’il était temps de partir à la conquête de l’Amérique, malgré les réticences de Fred et des autres. Dark Moon a passé deux semaines sur la côte Est des États-Unis, puis deux au Canada, et les deux dernières au Québec. Si les Américains sont restés frileux, les Canadiens et les Québécois semblent avoir plutôt accroché. En tout cas, les premières ventes du dernier album sont de bon augure.

Je me lève sur la pointe des pieds et jette un œil impatient à la vitre donnant sur la douane. Je crois que je suis pire que Malone. Que fabrique Fred, encore ? Pourquoi n’est-il pas auprès de son ami ?

Soudain, contre toute attente, mon cœur chavire. Ça y est ! Il est là ! Il vient de rejoindre Mickaël.

Visiblement, monsieur est passé chez le coiffeur avant de rentrer de Montréal. Il y a encore vingt-quatre heures, via Skype, il avait sa coupe à la Kurt Cobain. Ça lui allait bien, ça donnait un autre style. Mais je le préfère comme ça ; le look rock lui sied mieux que le grunge.

Bon… Qu’est-ce qu’ils trafiquent ? Mais… J’y crois pas ! Un mois et demi qu’on ne les a pas vus et eux, ils prennent le temps de rigoler avec la police des douanes ! Je rêve !

Mon téléphone se met à sonner. Je ne prends pas le temps de vérifier l’appelant.

— Allô ?

— Je fais quoi, Alice ? Pour les chemins de table, tu vois mieux un bleu ciel ou un bleu un peu plus foncé ?

OK, toujours vérifier l’appelant avant de décrocher.

Je soupire.

— Je n’en sais rien, Johanna. Ça change quoi ?

— Comment ça, ça change quoi ? Mais tout !

— T’as qu’à choisir la même couleur que celle sur vos faire-part.

— Tu te fiches de moi, Alice Lagardère ? On a les deux couleurs sur nos faire-part !

— Écoute, je ne sais pas. On essaie de se voir dans la semaine et tu me feras voir les échantillons. Je suis occupée, là.

Son ton s’adoucit.

— Oh ! Je suis désolée. Tu es au boulot ?

— Non, à l’aéroport de Genève. J’attends Fred.

— Mince ! J’avais oublié qu’il rentrait aujourd’hui. Excuse-moi.

Sa voix s’excite à nouveau.

— C’est toujours bon pour eux ?

— Mais oui, ne t’inquiète pas.

— Non, mais… t’es sûre, hein ?

Je me retiens de lui raccrocher au nez. Ah ! L’hystérie des futures mariées, faut se la farcir quand même ! Et en plus, je suis sa témoin !

Johanna se met à crier et je l’imagine sautant de droite et de gauche dans son salon :

— Tu te rends compte ? Oh ! La vache ! Je vais avoir Dark Moon à mon mariage !

— Oui, et gratuitement en plus. Tu vas en faire des envieuses.

Je vois Fred et Mickaël saluer les douaniers. C’est pas trop tôt !

— Jo, faut que je te laisse.

— Alice, juste encore…

— On s’appelle plus tard.

— Alice…

Je lui raccroche au nez.

Non, mais oh ! Bientôt un an qu’elle me bassine avec ses préparatifs ! En plus, à cause d’elle, ma mère a failli faire une nouvelle crise cardiaque une dizaine de mois auparavant.

Johanna était parvenue à me convaincre de l’accompagner à Paris pour voir les robes de mariées.

Comme s’il n’y avait pas assez de boutiques en Suisse ! Fred étant en tournée, j’ai accepté. Mal m’en a pris !

À la sortie d’un des magasins, nous avons été prises en photo, et la semaine suivante, je faisais la une de la presse people :

SCOOP !

Fred Pelletier et sa fiancée Alice se marient !

Oui, parce que pour les journaux, depuis la tentative d’assassinat par Sarah, je suis officiellement devenue la fiancée du leader de Dark Moon, et les paparazzi n’attendent désespérément plus qu’une seule chose : me voir avec une bague au doigt. Ils peuvent attendre encore longtemps. D’ailleurs, quand on lui pose la question, ça énerve terriblement Fred. Moi, je m’y suis faite.

Ma mère, elle, n’a que moyennement apprécié l’article. Elle a débarqué à la bibliothèque et m’a planté

Closer sous le nez en s’écriant :

— Pourquoi je suis toujours la dernière au courant ?

Surprise à la sortie d’une des plus chics boutiques de mariage de Paris, Alice Lagardère, la fiancée du sexy Fred Pelletier, chanteur et leader du groupe de rock Dark Moon, a été choisir sa robe en compagnie de sa demoiselle d’honneur.

Le mariage est sans doute prévu dans les semaines à venir et ce sera l’un des événements les plus attendus de l’année.

Quel couturier aura le privilège de la robe ?

Closer est sur le coup !

Le visage de Johanna avait beau être flouté, mon amie était tout de même folle de joie de se découvrir ainsi dans un magazine people. Par contre, elle avait moyennement apprécié le fait d’être reléguée à la place de la demoiselle d’honneur.

Fred, ça l’avait rendu dingue, car c’était la troisième fois en six mois qu’on annonçait notre mariage, sans compter les deux fausses annonces de grossesse. Il avait envoyé un démenti sur-le-champ.

Concernant ma mère, il m’avait fallu tout le tact possible pour la convaincre que cette annonce, tout comme les précédentes, était fausse.

Je secoue la tête et tente d’oublier Johanna, son mariage et surtout Joséphine Lagardère, pour me concentrer sur l’instant présent. Les garçons vont sortir d’un moment à l’autre du terminal. Malone a lâché

la main de Flavia et s’avance vers la porte nous séparant de la douane. Je me sens fébrile. Six semaines !

La vache ! Plus jamais !

Damien ayant annoncé sur le Web le retour du groupe en Europe pour aujourd’hui, certains fans sont venus à l’aéroport international de Cointrin afin d’assister à l’arrivée du chanteur et du batteur de Dark

Moon. Luc, Damien et Serge, eux, sont rentrés sur Paris.

Le groupe s’accorde un bon mois de vacances bien mérité. Après ça, ils participeront à quelques festivals, puis rentreront en studio d’enregistrement d’ici l’automne. Fred a composé une quinzaine de nouvelles chansons et Discographe attend impatiemment le futur album, sans compter les fans.

Mon cœur s’emballe et un sourire de gamine vient s’afficher sur mon visage. Avant tout cela, Fred va m’emmener au Festival de Cannes, dans trois semaines ! Je vais grimper les marches du Palais des

Festivals et assister à la cérémonie de clôture et à la remise de la Palme d’or. Waouh !

Non, ma gueule d’ange n’a toujours pas accepté de tourner dans un film ; en revanche, le groupe a été

sollicité pour la bande-son d’un long-métrage mélangeant rock, vampirisme et histoire d’amour. Et le film a été sélectionné pour la clôture du festival.

Pour cette occasion, Fred a promis de m’emmener à Paris choisir une robe. Il paraît que plusieurs grands couturiers veulent m’en prêter une. Je ne raconte pas comment Johanna était verte de jalousie en apprenant la nouvelle, même si elle a feint de n’en avoir rien à cirer.

Depuis trois ans, ma vie a changé, c’est indéniable, même si je travaille toujours avec plaisir à la bibliothèque universitaire en compagnie de mes deux indécrottables collègues.

Je souffle et frissonne. La bibliothèque, je l’aime, mais je crois que je n’y suis plus pour très longtemps. Vais-je oser parler à Fred de mes envies de nouveaux projets ? Il ne va pas être content. Ça, c’est sûr. Ça va même péter. Oh punaise ! Il va être furieux !

Je crois que je vais attendre un peu et nous laisser d’abord nous retrouver comme il faut. Je lui en parlerai peut-être demain… Ou la semaine prochaine…

« Ou plus tard, quand tu ne pourras définitivement plus faire marche arrière. »

Si seulement c’était aussi simple.

La porte du terminal s’ouvre et mon cœur tambourine tout ce qu’il peut. Cette fois, c’est bel et bien

Fred, Mickaël et deux gardes du corps qui apparaissent. Serge a engagé ces derniers le temps de leur séjour outre-Atlantique.

Malone se précipite vers le batteur.

— Papa !

Mickaël ouvre grand ses bras et son fils s’y jette avec bonheur. Flavia sourit de toutes ses dents. Pour elle aussi, ces dernières semaines ont dû être longues. Elle a accompagné le groupe, avec Malone, une bonne partie de la tournée, mais son médecin a refusé qu’elle prenne l’avion pour le continent américain.

Le regard de ma gueule d’ange croise le mien. Je ne tiens plus et cours vers lui. Il pose son sac de voyage à terre et m’accueille avec chaleur au creux de ses bras. J’entoure son cou et sa délicieuse odeur envahit aussitôt mes narines.

Je l’embrasse passionnément. Je crois qu’on nous photographie quelques mètres plus loin, mais je m’en fiche. Cédric, l’informaticien, s’en occupera.

— Tu m’as manqué, mon amour !

Il m’embrasse à son tour et me serre fort contre lui.

— Toi aussi, demoiselle. T’imagines même pas à quel point.

Je recule et passe ma main dans ses cheveux noirs.

— T’es beau.

Il plisse les yeux et me contemple à son tour.

— Toi, t’as fait un truc. T’es… sacrément belle.

Et merde ! Je secoue la tête. C’est le moment de prouver qu’en trois ans, j’ai fait des progrès dans le bluff.

— Non, je suis juste foutrement heureuse que tu sois là.

Il me scrute encore quelques secondes, puis semble accepter ma réponse et m’embrasse à nouveau.

— Parrain ! Je veux un câlin !

Malone s’accroche au jean troué de Fred et lui adresse son plus beau sourire. Je lâche ma gueule d’ange de bon cœur pour laisser la place à son filleul. Fred le prend dans ses bras, lui fait un câlin, puis il passe sa main dans la poche arrière de son pantalon. Il en sort une sucette en sirop d’érable.

— Tiens, crevette. Souvenir de Montréal. Et si t’aimes, je crois que ton père en a plein sa valise.

Malone s’empare de la sucette, les yeux brillant de gourmandise.

— Qu’est-ce qu’on dit ? lui rappelle Mickaël.

— Merci, Fredo !

Malone pose un petit bisou sur la joue piquante de Fred et ce dernier le rend à son père.

Flavia nous a rejoints et elle embrasse tendrement son homme. Il se penche sur son ventre rond et y dépose un baiser. Celle-là, les photographes amateurs ne la loupent pas !

Fred prend ma main et m’attire contre lui. Dans l’aéroport, une certaine agitation commence à naître et on entend :

— Dark Moon ! Un autographe !

— Fred ! Une photo !

— Fred ! Mickaël ! S’il vous plaît !

Les gardes du corps sont sur le qui-vive. Les deux musiciens se regardent en souriant, puis de bonne grâce, ils rejoignent leurs fans pour une ultime séance de dédicace avant de se déclarer officiellement en vacances.

Flavia soupire et moi, je lève les yeux au ciel. Incorrigibles !

Dès que la dernière personne a reçu une signature, ma gueule d’ange se tourne vers moi.

— Tu me ramènes à la maison, demoiselle ?

— Tu veux conduire ?

— Non, je suis fatigué et j’ai pas bien dormi dans l’avion.

Il paraît que le jetlag est assez méchant quand on revient du Québec, mais je pense qu’il se fera surtout sentir le lendemain.

Nous rejoignons tous le parking souterrain, sous la bonne garde des deux gorilles. Flavia et moi sommes parquées à quelques mètres l’une de l’autre.

À la vue de la voiture de Fred, Mickaël siffle entre ses dents.

— Je l’avais pas encore vue, celle-là.

Mon apollon hausse les épaules.

— C’est la même que l’autre, mais le modèle plus récent.

Et cette nouvelle Audi Sport noire, j’ai pu la conduire durant six semaines !

Suite à mon emménagement définitif dans la maison de Fred, deux ans plus tôt, Mathieu m’a permis de garder la Yaris. Mon ancien colocataire s’est trouvé un deux pièces au centre de Lausanne et du coup, il n’avait plus besoin de voiture.

Ma petite automobile roule toujours aussi bien ; cependant, j’avoue que je n’ai pas résisté à l’appel du dernier joujou de Fred. Je me racle discrètement la gorge. Il vaut mieux que j’évite d’annoncer à ma gueule d’ange que je me suis fait flasher la semaine dernière. Il faudra que je surveille la boîte aux lettres ces prochains jours, l’amende ne devrait pas tarder à arriver et elle risque d’être un peu salée. J’en connais un qui va se ficher de moi s’il la découvre.

Nous disons au revoir à la famille Leroy. Les gardes du corps rebroussent chemin, retournant prendre un avion pour Paris, et je monte avec Fred dans la voiture.

À peine assis, il se penche vers moi et m’embrasse tendrement.

— Plus jamais aussi longtemps, gueule d’ange.

— Non, plus jamais !

Il passe sa main sur mes bas et caresse mes cuisses. Après six semaines d’abstinence, ou presque, mon corps est en puissante surchauffe. Une vraie cocotte-minute.

On a tenté l’amour via webcam, mais franchement, ce n’est pas terrible. Au moins, on a bien ri.

Son blouson est ouvert et je passe mes doigts sous son tee-shirt gris. Nom de nom ! Ce qu’il a la peau douce ! Je frôle la cicatrice sur son flanc, il tressaille. Il n’aime pas beaucoup que je le touche là.

Visiblement, la sensation est encore délicate, même après trois ans.

Alors que sa main droite se glisse sous ma jupe et qu’elle se rapproche dangereusement de mon shorty en satin, je recule.

— Le ticket du parking va expirer. Vaut mieux qu’on y aille.

Il s’avance vers moi, les yeux illuminés d’excitation charnelle.

« Ne le regarde pas, Alice, ou tu vas céder ! »

— C’est pas grave, on paiera le prix fort.

Tu parles ! Ce n’est pas parce que monsieur est riche comme Crésus, et même encore plus depuis le carton de leur dernier album, que je suis devenue un panier percé pour autant. J’ai même refusé qu’il m’offre une voiture l’année passée, en remplacement de ma Yaris. Elle va très bien, pourquoi la changer ?

Et puis, je mets des sous de côté pour m’en racheter une dans quelques années.

« Et tu vas pouvoir piocher dedans pour payer ta belle amende pour excès de vitesse sur l’autoroute. »

Oh ! La ferme, toi !

Je ne veux pas que Fred se sente obligé de dépenser ses sous pour moi. Je n’en ai pas besoin.

D’ailleurs, hormis la voiture, et deux ou trois bricoles de grandes marques qu’il a pu obtenir suite à des séances photo ou dans des soirées branchées, ses cadeaux sont toujours simples et je les adore.

Et il sait les offrir à petites doses, toujours quand je m’y attends le moins. J’ai subitement chaud. Cet homme m’aime comme un fou, il est entier, ne triche jamais et moi, je lui cache des choses une nouvelle fois. Punaise ! Ça va faire mal !

Je me laisse aller quelques secondes à ses baisers foutrement pas sérieux, puis parviens à le repousser gentiment.

— Fred, j’ai envie de rentrer. On sera mieux à la maison pour des retrouvailles dignes de ce nom.

Il me sourit avec douceur, recule et attache sa ceinture.

— Très bien ! Alors à la maison, humble servante ! J’ai une envie de baise foutrement monstrueuse. Six semaines, c’est pas humain.

Je démarre la voiture et prends la direction de la sortie. Mon apollon me surveille du coin de l’œil. Il ne le dit pas, mais je sais qu’il redoute toujours que j’abîme son joli jouet. Ça me rend à chaque fois nerveuse de conduire l’Audi à ses côtés.

Je demande en lui jetant un clin d’œil :

— Tu n’as pas aimé nos parties virtuelles ?

Il se met à rire.

— Oh si ! Je me suis même bien poilé le jour où t’as voulu me faire ton strip-tease et que tu t’es emmêlée dans tes collants.

— Tu parles ! Je me suis fait mal, n’empêche.

Je murmure d’une petite voix :

— Six semaines… T’as souvent fait ça tout seul ?

— Et toi ?

— Arrête de toujours me renvoyer les questions ! C’est trop facile !

— Non. Seulement quand j’en pouvais plus de penser à toi.

Je souris et tourne mon visage vers lui.

— Tu pensais souvent à moi ?

— Foutrement trop souvent. Fais gaffe !

Je soupire.

— C’est bon ! Je l’ai vu, le stop ! Je me suis débrouillée sans toi avec cette voiture pendant un mois et demi…

Il me jette un œil soupçonneux.

— Tu l’as pas prise tous les jours ?

Je rougis. Il secoue la tête.

— Et ta chère et tendre Toyota ? T’as osé la laisser au garage pour la tromper insidieusement avec ma voiture ?

Je demande dans un sourire charmeur :

— Ce n’est pas un peu la mienne aussi ?

— Non. C’est un prêt.

— T’es gonflé !

— C’est toi qu’es gonflée, demoiselle. Rappelle-moi ce que tu m’as dit le jour où je l’ai achetée ?

Je me renfrogne. Ce jour-là, je lui avais fait la morale. Après tout, son ancienne Audi allait très bien, je ne comprenais pas pourquoi il voulait en changer.

Je tente de l’amadouer.

— Même pas un tout petit peu ?

— Même pas en rêve, princesse.

Mais à son sourire, je vois qu’il n’est pas aussi sérieux que sa voix semble vouloir me le faire croire.

Il pose sa main sur ma cuisse, puis s’installe confortablement dans le siège en cuir.

— Ça t’emmerde si je dors ? Je suis nase.

— Il y a cinq minutes, tu étais prêt à me faire l’amour !

— Ouais, mais vu que t’as pas voulu, faut bien que je trouve une autre occupation.

— Tu sais que je t’aime, toi ?

— Regarde la route au lieu de dire des conneries.

Il pose sa tête contre la fenêtre et ferme les yeux. Je l’entends respirer profondément moins de deux minutes plus tard. Je me suis toujours demandé comment il faisait pour parvenir à s’endormir aussi facilement, n’importe où.

*

Cinquante-cinq minutes plus tard, je franchis le portail de l’entrée et salue Bastien dans un sourire. Lui et Gilles ont décidé de rester auprès de Fred et de devenir ses gardes du corps attitrés.

Le succès de Dark Moon est devenu tel que des fans ont tenté de s’infiltrer plusieurs fois jusqu’à la maison. Bastien et Gilles surveillent principalement l’entrée extérieure et nous suivent lors des sorties officielles.

Serge aurait voulu qu’ils viennent avec Fred au Québec, mais ma gueule d’ange a préféré qu’ils restent auprès de moi et d’Inès. Ça me fait vraiment bizarre d’avoir une intendante, mais avec un peu de persuasion, je parviens à la sortir de la cuisine de temps en temps.

Je roule au pas dans l’allée jusqu’au garage et Fred se réveille en s’étirant.

— La sieste était bonne ?

— Je suis décalqué.

Je gare l’Audi et nous rentrons à la maison, main dans la main. Je jette les clés sur la commode de l’entrée, puis retire avec bonheur mes ballerines et ma veste. Fred pose ses mains autour de moi et m’embrasse dans le cou.

— Alors ? Ces retrouvailles dignes de ce nom ?

— Tu ne perds pas le nord, toi !

Mon ventre se met à gargouiller.

— Tu permets que j’avale un truc avant ? D’ailleurs, tu n’as pas faim ?

— Ça dépend de ce que t’as prévu à manger. Je te préviens, faut plus me parler de frites pendant les six prochains mois.

Fred prend un air dégoûté et tire la langue. Il s’empare de son sac de voyage et me suit jusqu’à la cuisine.

— Pourquoi ? Le Québec, c’est quand même pas les États-Unis ?

— Tu parles ! Niveau culture gastronomique, ça change pas grand-chose.

Pendant qu’il ouvre son sac et trifouille dedans, je vais au frigo et en sors du poulet froid, des dips de carottes et je ne peux m’empêcher d’ouvrir un paquet de chips. Inès n’est pas là, elle ne râlera pas.

En voyant le paquet, Fred grimace. Ah oui ! À ce point-là ?

Je demande, étonnée :

— Même les chips ?

Il soupire.

— Sur six semaines, je peux compter sur les doigts d’une main les jours où j’ai pas vu de frites dans mon assiette ! Tu veux rire ? Même avec un plat de lasagnes, la serveuse a réussi à nous en mettre une portion !

J’écarquille les yeux.

— Avec des lasagnes ? Tu plaisantes ?

— Si seulement.

Il sort un pack de bières de son sac. Mmm… de la bière québécoise !

— Heureusement, ils savent se rattraper avec certains bons trucs.

Voyant que je reluque la bière avec intérêt, il ajoute dans un clin d’œil :

— Mais faut qu’elle soit fraîche, princesse, sinon elle vaut rien.

Il se lève et se dirige à son tour vers le frigo. Il y range les bouteilles et en sort une de bière belge, bien fraîche.

— T’en veux une ?

Je détourne les yeux.

— Non, merci.

Il me regarde un peu surpris, la décapsule, puis revient vers le bar américain et prend place sur le tabouret à côté de moi. Nos genoux se frôlent et des scénarios à fortes connotations érotiques se propagent dans mon cerveau.

Fred boit quelques gorgées, picore des bouts de poulet et des carottes, puis il plonge à nouveau la main dans son sac. Il me tend un paquet rempli de sucettes au sirop d’érable.

— Tiens ! Comme ça, t’iras pas piquer ceux de Malone. C’est terrible, ces machins ! Et puis, comme t’aimes le thé…

Dans un tendre sourire malicieux, il dépose une boîte dans ma main. Mes yeux pétillent. Du thé à

l’érable et à la pomme, pourquoi pas ? Peut-être un concurrent sérieux pour mon thé vanille-fraise ?

— Des sucettes et du thé à l’érable… Merci. Mais ma feuille d’érable, elle est où ?

Avant qu’il ne monte dans l’avion, six semaines auparavant, Fred m’avait demandé ce que je voulais qu’il me ramène. Comme je ne souhaitais rien de particulier, je lui avais répondu pour déconner : « Juste une feuille d’érable. »

Il fait la moue.

— Désolé, demoiselle. Ça, j’ai oublié.

Je plisse les yeux en rigolant.

— Toi ? Oublier ? Mais où avais-tu la tête, gueule d’ange ? C’est louche.

Il tire mon tabouret vers lui.

— Je l’avais pas toujours là où j’aurais dû. Ce que tu m’as manqué, putain !

Il passe sa main dans mes boucles, puis s’approche lentement de moi. Le temps s’est subitement arrêté, je n’entends plus que les battements de mon cœur bourdonnant contre mes tympans. Mes seins se gonflent d’excitation sous mon débardeur, la chair de poule m’envahit. Je ne suis plus qu’un corps enflammé par le désir. Je ferme les yeux. Les lèvres de mon rockeur se posent doucement sur les miennes. J’entrouvre la bouche et laisse sa langue passer. Ce qu’elle m’a manqué !

Tandis qu’il me roule un patin diabolique, je ne peux m’empêcher de m’en vouloir. J’aimerais tellement que la semaine dernière ne soit qu’un mauvais rêve. Si seulement je pouvais revenir en arrière.

La colère de Fred va être monumentale, il ne me pardonnera jamais cette trahison. Je le sais. J’ai subitement envie de pleurer et mes paupières deviennent humides malgré moi. Et merde !

Quand la bouche de Fred quitte la mienne pour reprendre son souffle, ses yeux s’étonnent.

— Alice ! T’as quoi ?

Alors une nouvelle fois, je mens, enfin pas tout à fait.

— Tu m’as tellement manqué, gueule d’ange. Emmène-moi là-haut.

Je n’ai pas besoin de le demander deux fois. Il ferme son sac, l’enfile sur son épaule, puis me prend dans ses bras.

— Pose-moi, Fred, tu ne peux pas tout porter !

— T’es légère comme une plume, demoiselle. J’ai même l’impression que t’as perdu du poids.

Mais c’est pas vrai ! Je ne peux vraiment rien lui cacher ! Depuis dix jours, mon estomac s’est un peu mis en grève et j’ai effectivement perdu quelques grammes. Je rougis et détourne les yeux. Je suis mal, bordel ! À ce rythme-là, je ne vais pas pouvoir lui cacher encore bien longtemps la vérité, j’en suis sûre.

Arrivés dans la chambre, il me dépose délicatement sur le lit, puis envoie son sac valdinguer par terre.

Sa bouche ne quitte plus la mienne depuis les escaliers. Ce que c’est bon ! Elle a un goût de bière, de carottes et de lui.

Nos baisers sont enfiévrés. Il enlève mes fringues avec un brin de sauvagerie et j’en fais de même pour lui. En quelques secondes, nous nous retrouvons à poil. Ah ! Ce corps sublime !

Je passe mes doigts sur sa peau chaude. Il frissonne. Je frôle le tatouage de l’ange, descends vers celui du dragon, puis laisse ma main glisser vers son flanc droit.

Quelques semaines après l’agression de Sarah, Fred s’est offert un nouveau tatouage. Utilisant sa cicatrice comme base, il a demandé au tatoueur le dessin d’un poignard s’enfonçant dans la blessure. En le découvrant, j’en avais frissonné d’horreur.

Le tatouage, comme les autres, est très réussi, et je sais pourquoi Fred l’a fait. C’est comme pour ce qui lui est arrivé chez les flics, treize ans plus tôt. Il a un besoin viscéral de graver ces événements effroyables sur sa peau. Si sa mémoire veut les effacer, son corps le lui rappelle, constamment. On n’oublie pas un traumatisme, on vit avec. À présent, j’en sais quelque chose. Et avec le temps et l’aide de

Fred, j’ai réussi à l’accepter et mes cauchemars ont disparu au bout de quelques mois.

J’embrasse le poignard, remonte vers son épaule, frôle ses lèvres, redescends le long de son bras gauche, embrasse l’emblème de Dark Moon, descends à nouveau et je souris. Là, sur son avant-bras, le tatouage que je préfère, le dernier en date : un A, calligraphié en lettre anglaise, entouré de lierre. Pour celui-ci non plus, Fred ne m’avait pas prévenue. Quand il est revenu à la maison et que je l’ai vu, j’en ai pleuré. D’autant plus en lui demandant :

— Pourquoi du lierre ?

Ses yeux se sont mis à scintiller d’une lueur que je n’oublierai jamais. Il s’est penché vers moi et m’a répondu dans un murmure, au creux de l’oreille :

— Parce que c’est la plante de l’attachement, de la fidélité et de l’amour éternel.

Nom de nom ! Ce mec a de la peine à prononcer les « je t’aime », mais ce qu’il sait parfaitement l’exprimer autrement !

Ma bouche remonte vers la sienne et Fred me pousse sur le matelas. Sa langue finit par quitter la mienne et vient se promener avec passion sur ma peau. Ses doigts descendent vers mon vagin, ils l’effleurent, je gémis. Je n’en peux plus, je veux qu’il me pénètre tout de suite !

— Prends-moi, Fred !

Il remonte vers moi et laisse sa main caresser mes seins.

— Si je te pénètre maintenant, demoiselle, j’éjacule direct ! Six semaines sans toi, plus jamais !

Je souris. Finalement, c’est peut-être un bon signe pour lui parler de mes envies futures. Existerait-il un espoir pour que la discussion ne vire pas au pugilat ?

Sa langue vient lécher mes tétons, je commence à haleter. Moi aussi je ne suis pas loin d’une jouissance spontanée, qu’est-ce qu’il croit ?

Son doigt arrête enfin de tourner autour de mon clitoris et s’y pose concrètement. Ah ! Bordel ! C’est bon ! Il le fait tourner de droite et de gauche, je geins à n’en plus finir.

Mes mains caressent son dos et j’y plante mes ongles, tellement ses étreintes, là, en bas, sont puissantes. Je n’en peux plus, je vais jouir, mais je veux le faire en le sentant en moi.

— Prends-moi, Fred ! J’en peux plus !

— T’es sûre ?

— OUI !

Nos orgasmes sont à deux doigts de nous consumer, alors pour que la jouissance soit meilleure, je passe mes jambes par-dessus les épaules de Fred. Il sourit. Je sais qu’il aime la sensation de profondeur que permet cette position. Il avance lentement entre mes jambes. Cette attente n’est qu’un doux supplice.

Son pénis frôle ma fente. J’ouvre la bouche dans un hoquet de désir violent. Le regard de ma gueule d’ange plonge dans le mien, je passe ma main sur sa joue. Il se penche vers moi et me pénètre tout en venant m’embrasser.

Oh ! Putain ! OUI ! Encore !

Il gémit de satisfaction :

— Mmmh… Alice… Bordel ! c’est bon !

Il recule et revient plus fort. Je crie et la boule de feu explose dans le creux de mon ventre tandis que le sperme de Fred se répand en moi. Je ferme les yeux. J’ai à nouveau envie de pleurer. Je suis vraiment à

fleur de peau, ça ne va pas du tout.

Lorsque Fred se retire, je me tourne sur le ventre. Il se couche à côté de moi et entreprend de caresser mon dos du bout des doigts. Je frissonne, j’adore quand il me touche comme ça. Sa bouche dépose des baisers sur ma peau.

— Tu bosses demain ?

Je me mets à rire nerveusement.

— Je ne suis pas en vacances, moi, monsieur ! J’ai déjà pu poser un jour aujourd’hui et demander à

partir plus tôt vendredi pour prendre le TGV, alors je ne vais peut-être pas exagérer non plus.

— Dommage. Je t’aurais proposé de passer la journée au pieu avec moi.

Je lui jette un regard noir. Si je le pouvais, je me ferais bien porter pâle pour rester avec lui, même si je sais pertinemment que mes collègues n’en croiraient pas un mot.

— Ne me tente pas, démon ! En plus, ces temps, j’ai un sacré boulot avec la préparation de la nouvelle expo.

Il fait glisser sensuellement ses lèvres sur mon cou et vient frôler mon oreille.

— T’es sûre ? Pas moyen de te faire flancher ?

Je recule, légèrement de mauvaise humeur.

— Non. Alors arrête !

Il me regarde avec étonnement.

— Y a quoi ? Pourquoi tu réagis comme ça ?

Je fuis son regard.

— Y a rien. C’est juste que… Tu m’as tellement manqué et ça me fait mal de me dire que demain je dois aller au travail.

— Je suis en vacances. Je passerai te voir. Si tu veux, on mange ensemble à midi.

Je relève les yeux sur lui. Ben ça !

— Tu sais que je suis devenue une icône dans cette bibliothèque et que la plupart des gens n’attendent qu’une seule chose ?

— Eh bien, si ça peut leur faire plaisir…

Alors là, il m’en bouche un coin ! Je lui ai vraiment manqué, dites donc ! Je le regarde avec amour, puis reviens vers lui et l’embrasse tendrement.

— Excuse-moi, je suis désolée.

Ses yeux me dévisagent avec force. J’ai l’impression qu’il tente de lire en moi. Je m’empourpre. Je suis mal.

— Qu’est-ce qui t’arrive, demoiselle ? Je te trouve zarbi depuis quelques jours.

Oh punaise ! Je suis même plus que mal. J’aimerais que la Terre s’ouvre en deux et m’avale. Même à

plus de cinq mille kilomètres et à travers l’image d’un ordinateur, il a réussi à se rendre compte que quelque chose clochait. Il est vraiment hors-norme, ce mec.

Je lui souris du mieux que je peux et l’embrasse.

— Rien. Tout va bien.

Ses yeux ne quittent pas les miens et je soutiens son regard de braise comme je peux. Il finit par pousser un léger soupir, puis se redresse et récupère son sac. Il en sort sa trousse de toilette.

— Je vais prendre une douche. J’ai l’impression de puer le phoque.

Je le prends dans mes bras et respire l’odeur de son cou.

— Non, tu sens toi, mon amour. La meilleure odeur au monde !

— Toi, t’es amoureuse, demoiselle. Ton jugement n’est pas objectif.

Pour toute réponse, je grimpe sur lui. Sans attendre son autorisation, je m’empare de sa queue, la masturbe quelques secondes, de toute façon il n’en faut pas plus pour qu’elle se dresse, et laisse glisser ma fente humide contre elle en poussant un puissant râle de satisfaction.

Fred se couche et je commence à me déhancher tout en le regardant. Je pose un doigt sur sa bouche et il entreprend de le lécher, les yeux en feu. Je m’empare de ses mains et les presse sur mes seins. En quelques secondes, j’atteins la jouissance suprême et Fred se lâche en criant mon prénom.

Je me laisse tomber contre lui et entoure sa nuque de mes bras. Nous restons ainsi quelques secondes, puis Fred s’exclame :

— Là, faut vraiment que je prenne une douche.

Je me pousse à regret et le laisse se lever. Pendant qu’il ouvre sa trousse de toilette, je le dévore des yeux, le nœud au ventre. Comment lui avouer ce que j’ai à lui dire ?

Il se tourne subitement vers moi.

— Tiens, au fait, j’allais oublier ça.

Il me tend une petite boîte blanche aux bordures argentées. Je déglutis. Mon cœur se met à battre plus fort. Un écrin. La dernière fois qu’il m’en avait offert un, il contenait la clé de sa maison.

Fébrilement, j’ouvre la boîte, je tremble et je me mets à pleurer. Putain ! Ce mec n’est pas croyable !

— Tu voulais une feuille d’érable ?

Je m’empare du pendentif accroché à une fine chaîne torsadée. Il brille de mille feux et représente une feuille d’érable, joliment cisaillée, aussi fine qu’une feuille de papier. Elle est magnifique.

Je tente de calmer mes sanglots et me rapproche de ma gueule d’ange. C’est la première fois qu’il m’offre un bijou.

— Merci, Fred. Il est… Waouh ! C’est de l’argent ?

Il secoue la tête.

— Or blanc.

Je recommence à fondre en larmes. Fred semble complètement déstabilisé par ma réaction.

— Hé ! Alice ! J’ai fait une connerie ?

Oh ! Putain ! Non, c’est moi qui en ai fait une énorme ! Je secoue la tête et l’attire à moi. Il m’entoure de ses bras afin de me bercer. Il finit par grimacer :

— T’aurais préféré une bague ?

Je parviens à sourire. Nous n’avons parlé de mariage qu’une seule fois après que Johanna et Marc nous ont annoncé le leur. Et j’ai dit à Fred que je n’avais pas besoin d’un bout de papier pour savoir qu’il était mien et que j’étais sienne. Ça l’a soulagé. De toute façon, j’ai compris depuis longtemps que le mariage et lui, ce n’était pas compatible.

Je lui réponds :

— Surtout pas. Si tu m’épouses un jour, tu ne pourras plus m’appeler « ta demoiselle ». Ça me manquerait.

— Pourtant « ma dame », ça a de la gueule aussi. C’est pas toi qui me disais que, dans Game of

Thrones, tu trouvais que ça avait une sacrée classe ?

Je tire la langue.

— Tu parles ! Ça me ficherait un sacré coup de vieux, oui !

Je me détourne de lui et me dirige vers le grand miroir collé à l’armoire murale. Je porte le pendentif à

mon cou et l’attache. En regardant mon image, je me remets à pleurer.

« Mais arrête, Alice ! Nom de nom ! C’est pas vrai ! »

Cette fois, Fred prend un air inquiet. Je crois que je suis dans la merde. Il enfile son jean et me rejoint de l’autre côté du lit.

— Bon, Alice, tu m’expliques ce qu’il se passe ?

Je tente de feinter une nouvelle fois.

— Il n’y a rien, je t’assure.

Mais mes larmes ne parviennent pas à s’arrêter. C’est un véritable torrent. Ce que je m’en veux, bordel ! Mais quelle puissante nulle ! Je suis à deux doigts de faire capoter la relation avec l’homme que j’aime de tout mon cœur.

Fred pose ses mains sur mes épaules et ses yeux se parent d’anxiété. Merde ! Je n’aime pas quand il a ce regard-là. Ça me fait mal jusqu’au fond de mes entrailles.

— Alice, s’il te plaît, raconte-moi.

Je passe ma main sur mes yeux et baisse mon visage. Je suis définitivement la plus mauvaise bluffeuse que cette planète ait jamais portée.

Je m’assois sur le bord du lit, déconfite. Par où commencer ? Tout s’embrouille d’un seul coup.

Fred se met à genoux et pose son front contre le mien. Je murmure :

— Tu promets de ne pas te fâcher ?

C’est complètement stupide et infantile comme question. Bien sûr qu’il va se fâcher, bordel ! Il va même être hors de lui !

Il fronce les sourcils et devient sérieux. Dieu sait ce qu’il est en train d’imaginer ! Devant son silence subitement glacial, je déglutis et tente de calmer les battements violents de mon cœur et mes tremblements. J’ai la nausée. Il ne manquait plus que ça !

— En fait, je… J’ai beaucoup réfléchi ces derniers temps et… je…

Le regard de Fred s’assombrit. Je panique et balance d’un trait :

— J’aimerais passer plus de temps avec toi.

Là, c’est de l’incompréhension totale qui balaie ses yeux.

— Comment ça ? Je sais que c’était pas facile ces derniers mois, j’ai pas été très présent, mais…

Je pose un doigt sur ses lèvres. Il ne va pas commencer à s’excuser non plus !

D’une petite voix, je reprends :

— Ta vie est devenue la mienne. J’aime ton univers et je veux en faire partie, intégralement.

Je suis en train de m’enfoncer, là. Comment lui annoncer la nouvelle après ça ?

Fred m’observe avec attention.

— Qu’est-ce que je dois comprendre ?

Je soupire d’inquiétude.

— J’aime mon boulot, mais… être loin de toi, c’est… et en même temps…

Je suffoque, les larmes coulent, je suis perdue. Fred passe une main tendre sur mon visage.

— Tu veux me suivre en tournée ?

Je me mords la lèvre et laisse mes yeux parler pour moi. Ceux de Fred s’écarquillent de surprise. Il souffle :

— Là, tu me surprends. Je m’attendais pas à ça.

Et attends, gueule d’ange, tu n’as pas entendu le meilleur morceau !

Putain ! Ça va partir en sucette dans quelques minutes. Je le sais et j’ai peur. Le terrain devient sérieusement miné.

— Je ne veux rien t’imposer, Fred, d’accord ? C’est juste que…

Bordel ! Comment avouer ça ? Je marche sur des œufs.

— Certaines… choses… risquent de changer… dans… quelque temps.

Fred s’assoit par terre et recule contre le miroir. Son front se plisse, il ne comprend rien à ce que je raconte, mais visiblement, à son regard, une certaine angoisse commence à l’étreindre. Il est trop tard, j’en ai trop dit ou pas assez. Je ne peux plus faire machine arrière, alors je ferme mes yeux et lance :

— J’ai été chez le médecin la semaine dernière.

Fred se crispe et sa voix se remplit d’inquiétude lorsqu’il me demande :

— Pourquoi ?

J’essaie de soutenir son regard, mais une nouvelle fois, je n’y parviens pas.

— Parce que… je… j’ai…

« L’humour… Passe par l’humour ! »

— J’ai attrapé une sorte… de… petit virus.

Il se rapproche de moi. Il a pâli. Et merde ! L’humour cynique, c’était sûrement pas le meilleur outil à

utiliser.

— Comment ça, un virus ? T’es malade ?

Je respire comme je peux. C’est une bombe nucléaire que je m’apprête à lui envoyer en pleine face.

— Non, je ne suis pas malade. Je vais… très bien… En fait, c’est un virus qui…

Oh ! Bordel… Trois… deux… un…

— … qui dure neuf mois.

Fred secoue la tête, complètement interdit.

— Un virus qui dure neuf mois ? Alice, arrête de raconter des conneries ! Ça n’existe pas un virus qui dure…

Il se tait d’un coup et me regarde avec horreur.

— Tu te fous de ma gueule, là ?

Je hoche négativement la tête. Lentement, il se remet sur ses pieds.

— Alice, tu m’as pas fait ce coup-là, putain !

Je recule sur le lit. Le plus ridicule dans cette situation, je crois, c’est que je suis à poil. Il pose ses yeux sur mon ventre en continuant de secouer la tête.

— Non, non, non ! C’est pas possible !

— Fred, je suis désolée…

Il se met à crier :

— T’es désolée ? Tu te fous vraiment de moi ?

Il se retourne contre l’armoire et la frappe d’un coup de poing. Oh ! misère !

— Et comment c’est possible ? T’es en cloque de combien ?

Je grimace à ce mot. Enceinte, gueule d’ange, s’il te plaît !

Je récupère mes habits et enfile mon shorty et mon débardeur en répondant :

— Sept semaines.

Il pose ses yeux au sol, je crois qu’il calcule dans sa tête et tente d’y comprendre quelque chose.

J’ajoute :

— T’es rentré pour quinze jours il y a huit semaines. C’est pas plus compliqué.

Il relève des yeux meurtriers dans ma direction. Je sens les larmes revenir au galop. Ce regard-là, je ne le lui avais jamais vu et il me blesse puissamment.

— T’as oublié ta pilule ?

Je baisse la tête, honteuse.

— Alice, putain ! Non ! Tu pouvais pas la prendre le lendemain en même temps que l’autre ?

Si seulement ça marchait comme ça, mon amour.

Une sourde colère s’invite en moi et je crie à mon tour, pleine de rancœur :

— Ne commence pas à me tenir un discours de mec, d’accord ? C’est facile pour vous ! Vous entrez, vous tirez votre coup, vous sortez et après vous êtes peinards ! Quand on prend la pilule, y a que nous qui devons y penser ! Au début de notre relation, tu songeais à chaque fois aux capotes, mais depuis que j’ai accepté de prendre la pilule pour toi, tu t’en es toujours lavé les mains !

Je crois que mon discours fielleux le touche, car il détourne le regard. Je complète avec amertume :

— Et ça ne sert à rien de la prendre après douze heures d’oubli, c’est trop tard.

— Mais pourquoi t’as pas demandé celle du lendemain quand tu t’en es rendu compte ?

Cette fois, c’est moi qui le regarde ahurie. Mais pourquoi devait-il poser cette question ? Il va m’étriper ! Je pourrais mentir, mais je n’en ai pas la force et de toute façon, il le saurait.

Je fixe mes yeux dans les siens en déclarant :

— Parce que je ne m’en suis pas rendu compte, justement. On ne s’était pas vus depuis plusieurs jours, j’étais contente de te revoir et… ça m’est complètement sorti de la tête.

— Mais le lendemain, t’aurais dû…

— Je l’ai oubliée pendant trois jours !

Il ouvre la bouche et la referme. Je perçois une violente rage monter en lui. Non ! Pourtant, en prenant la parole, sa voix est étrangement calme. Ça ne sent pas bon.

— Et t’en es sûre ?

Mon cœur bat à tout rompre. Ma respiration est saccadée.

— Oui. J’ai fait un test il y a dix jours. Je n’étais pas bien, nauséeuse et… je savais au fond de moi que le test serait positif.

— Tu l’as fait quel jour, ce test ?

— Euh… le jeudi matin. Pourquoi ?

Une lueur étrange s’imprègne dans son regard, mais il hausse les épaules. Qu’est-ce que ça change de toute manière ? Le test est devenu tout de suite positif. J’en ai refait un second ensuite, histoire d’être sûre, et un troisième le lendemain matin.

— La semaine dernière, je suis allée chez mon gynéco pour savoir à combien j’en étais exactement et si le… l’embryon allait bien.

— Et tu comptes faire quoi maintenant ?

La voix de Fred est glaciale. La mienne tremble.

— Tu veux que je fasse quoi ? Je… on…

Je porte la main à mon ventre. Il ne va tout de même pas oser me parler d’avortement ?

— Je veux le garder, Fred.

Il secoue la tête.

— Non, Alice. Pas question !

Mes yeux se brouillent de larmes.

— Fred, je refuse d’avorter ! Il est là maintenant ! Je l’ai vu ! Il est plus petit qu’un asticot, mais il bien est là. Il a un cœur qui bat.

Fred serre les poings et ferme les yeux. À peine les rouvre-t-il, qu’il se remet à crier :

— Je veux pas d’enfant, Alice ! J’ai toujours été clair avec toi !

Il s’avance vers le lit et envoie son sac voler à l’autre bout de la pièce.

— Putain ! Tu me dis que tu veux rien m’imposer, mais tu me mets au pied du mur, c’est ça ?

— Fred, on peut en parler calmement, d’accord ?

— Non et tu le sais très bien ! Bordel ! Je peux pas être…

Il crache le mot avec dégoût :

— … père ! C’est pas pour moi ! Je saurai pas faire ça ! Je suis pas prêt, putain !

Il se retourne vers le mur et y abat ses deux poings. Quand il revient vers moi, la colère a quitté ses yeux et une accablante tristesse y a pris sa place. Il passe une main dans ses cheveux, s’assoit sur les genoux, près de moi, et finit par caresser mes boucles.

— Alice, si tu veux un enfant… Si c’est vraiment ce que tu désires, je veux bien qu’on en parle, mais là… c’est trop tôt.

Mes yeux sont emplis de larmes et à travers leur brouillard, je dévore ma gueule d’ange de mes prunelles. Faut-il qu’il m’aime comme un dingue pour oser me tenir un discours pareil ?

Un faible espoir s’empare de moi. Je me mets également à genoux et pose ma main sur son ange.

— T’as eu 30 ans, Fred, moi je les aurai l’année prochaine. C’est un bon âge pour…

— Alice, on en a parlé plusieurs fois. Tu sais ce que je pense. Mais je…

À ma grande surprise, ce sont ses yeux qui deviennent humides. Il les ferme, passe ses doigts dessus et quand il les rouvre, les larmes ont disparu. Son regard me fixe intensément.

— Je t’aime, tu le sais et je serais prêt à tout pour toi. Mais un enfant… c’est peut-être la seule chose que je suis incapable de t’offrir.

Je pose à nouveau la main sur mon ventre.

— Pourtant, tu me l’as offert, Fred.

Ses yeux glissent vers le bas de mon corps. Sa voix est ferme et décidée :

— On peut pas le garder, Alice. Je saurai pas m’en occuper. Je veux pas. Je suis pas là les trois quarts de l’année.

Je secoue la tête.

— Ne cherche pas de mauvaises excuses. Mickaël y arrive très bien.

— Mike, c’est Mike.

— Je suis prête à quitter mon boulot pour te suivre, Fred, et pour que cet enfant puisse voir son… père.

Sa voix et son regard deviennent à nouveau froids. Il hurle :

— Mais moi, je suis pas prêt, Alice, bordel ! Pas maintenant ! Je…

Il descend du lit. Il semble complètement perdu. Sa voix devient murmure :

— J’ai besoin d’une douche et d’être seul.

Il recule vers la porte de la salle de bain et me jette un dernier regard, mêlé de colère et de chagrin, avant de claquer violemment la porte.

Je m’effondre sur le lit, en pleurs.

Ma décision est prise, je ne céderai pas. Mais je fais quoi s’il refuse de… Je ne veux pas avorter et je ne peux pas quitter Fred. La balle est dans son camp. Ça craint sérieusement !

Je me tourne vers le tiroir de ma table de nuit et en sors l’échographie que m’a donnée le gynécologue la semaine précédente. Mon cœur fond d’amour pour la tache blanche que j’y vois.

Je me mets sur le dos et caresse mon ventre.

— C’était ton papa, mon trésor. Je t’avais prévenu que ça risquait d’être rock’n’roll. Ça a même plutôt viré hardcore. Mais faut pas avoir peur de lui, d’accord ? Il a toujours eu besoin d’un peu de temps.

Je me remets à pleurer. Foutues hormones de grossesse !

Au loin, j’entends l’eau de la douche couler. Un peu de temps… Tu parles ! Le compte à rebours a commencé depuis sept semaines déjà.

Quel foutu bordel !

74

Putain ! Elle se fout de moi, c’est pas possible autrement ! C’est une blague, une mauvaise blague. Y a une caméra cachée quelque part.

Je savais que ça poserait problème un jour, j’en étais sûr, mais là… Elle a pas le droit de me faire un coup pareil, putain !

Du plat de la main, je frappe violemment le mur de la douche. Je veux pas d’enfant, je n’en ai jamais voulu. Que se passera-t-il pour lui, si un jour, il nous arrive quelque chose ? Je veux pas qu’il vive son enfance sans ses parents. C’est pas une enfance.

Et j’aime pas les entraves, bordel ! Un gosse dans l’existence, ça fout la merde ! On a réussi à trouver nos marques avec Alice, tout roule parfaitement, alors pourquoi elle m’a fait ce coup-là, putain ?

Je m’adosse au mur et me laisse tomber par terre. Je replie mes jambes contre moi.

Alice n’a pas le droit de m’imposer ça. Personne m’impose jamais rien. Même pas elle. Faut que je la raisonne, elle peut pas le garder. Elle se rend pas compte. Et puis, qu’est-ce que je lui ai balancé, bordel ? Qu’on pouvait en discuter plus tard ? Non ! J’ai pas le droit de lui donner de faux espoirs.

Je suis qu’un puissant salopard.

Je coupe l’eau et reste encore assis par terre, les yeux dans le vague, les pensées en vrac, le cœur déchiré.

Faut que je trouve une solution. Faut que je la convainque.

Je ferme les yeux. Putain ! Quelle merde ! Si je lui ordonne d’avorter, elle partira. Et si elle accepte de s’en débarrasser, elle finira par m’en vouloir un jour ou l’autre, et elle partira quand même. Et si c’est moi qui flanche… c’est moi qui le regretterai. J’ai pas d’amour à lui donner, à

ce gamin.

Je pousse un cri de rage. Quitter Alice ? La laisser élever un enfant seule ? Ne pas le reconnaître, avoir la paix, vivre ma vie comme je veux. Comme avant. Ne plus devoir attendre six semaines pour m’envoyer en l’air avec qui je veux, où je veux. Arrêter de m’inquiéter pour

Alice, de penser à elle, tout le temps…

Je serre les poings, les mords, je suis au bord de l’explosion. Putain ! Je peux pas la quitter ! Je veux pas la quitter ! Une existence sans elle,

ça vaut pas la peine de la vivre. Mais je suis égoïste, je veux pas partager Alice. Surtout pas avec un mioche.

Faut que je laisse sortir ma colère. Faut qu’elle éclate. C’est trop puissant, ça me ronge, ça me brûle, ça m’étouffe.

Je me relève et envoie mon bras valser contre le portant des savons, tout vole à travers la salle de bain.

Je me dirige vers l’armoire de rangement et la pousse dans un hurlement. Elle tombe lourdement par terre et j’entends le bois se briser. Ses tiroirs et ses placards s’ouvrent, déversant leur contenu sur le carrelage.

Je shoote rageusement dans les serviettes de bain, les produits de douche, les cosmétiques d’Alice. Les poudres volent, les bouteilles en verre explosent, y en a partout, je m’en fous. Faut que ça sorte. Encore.

Je soulève en partie l’armoire au sol et la projette de toutes mes forces contre le mur ; cette fois, des bouts de bois se mettent à voler en l’air.

Je rejoins le lavabo. D’un geste enragé, j’expédie tout ce qui se trouve sur le rebord : les verres à dents, nos parfums, des savons… Tout ce qui est en verre éclate en mille morceaux. Putain ! Encore une fois, autour de moi, c’est un véritable carnage.

Je me regarde dans le miroir et des larmes de fureur envahissent mes yeux.

T’es qu’un con, Pelletier, un puissant con ! Un égoïste, un tordu, un paumé.

Qu’est-ce qu’un môme pourrait faire d’un père comme moi ? Je fous le merdier partout où je passe, je refuse l’autorité et il faudrait que j’en fasse preuve sur quelqu’un ? Je supporte pas les limites, je cherche tout le temps à les repousser ; franchement, quel exemple serais-je pour un gamin ?

Je suis un danger pour moi-même. Alice l’a parfaitement compris. Alors elle peut pas me demander d’élever un gosse. Si je suis un danger pour moi, j’en serai un pour lui.

Je pose mon front contre le miroir et je ferme à nouveau les yeux.

Putain de bordel de merde !

Y a pas de hasard dans la vie. Les coïncidences, j’y ai jamais cru. Le bonheur… Le malheur… Le succès… L’insuccès… On les provoque, c’est tout.

Je supporte pas les abrutis quise plaignent tout le temps et quise bougent jamais le cul pour changer leur vie à la con.

J’ai mis Alice en cloque. Bordel ! Elle a raison… Je me suis jamais soucié de savoir si elle prenait sa pilule correctement. Je suis aussi responsable qu’elle de cette merde.

J’ouvre les yeux et fixe mon image dans le miroir. Un violent frisson me parcourt le corps. J’ai froid malgré les trente degrés qu’il doit faire dans cette foutue salle de bain. C’est quoi ce bordel ? À quoi tu joues, destin de merde ?

Alice a fait son test y a dix jours. Un jeudi matin. Mes mains se mettent à trembler. Je tente de contrôler ma respiration et de redevenir maître de moi-même, mais les idées s’entrechoquent dans mon crâne et me décontenancent complètement.

J’ai cru que j’avais largué ce rêve aux oubliettes, que c’était qu’un délire de mon inconscient, une mauvaise farce. C’était qu’un rêve, putain ! Un rêve à la con, un de plus, rien d’autre. Les dragons et Sarah ont déserté mes nuits depuis longtemps et voilà que je commencerais

à faire des rêves prémonitoires ?

Cinq heures de décalage entre ici et Montréal. Pendant qu’Alice faisait son putain de test, j’étais en train de rêver.

J’entrais dans une chambre dépourvue de toute décoration. Seul un lit trônait au centre. Alice y reposait, nue, avec un bébé dans les bras.

Elle souriait, elle était heureuse. Elle m’a tendu l’enfant en me disant : « C’est ton fils. »

J’ai pas réfléchi. Je l’ai pris. Il avait des yeux verts, comme moi. Il m’a regardé intensément et a crié : « Papa ! »

Il venait de naître, il était tout petit, il pouvait pas déjà parler ! Et moi, comme un con, je lui aisouri. Alice s’est levée, elle est venue vers moi et a posé sa main sur le dernier tatouage que je me suis offert.

J’y jette un œil. À l’instant précis, j’ai mal à le contempler. Le A calligraphié se met à danser devant mes yeux. Alice, c’est mon univers.

Avec ce dessin, cette fille, je l’ai dans la peau à tout jamais. Je me suis même pas posé de questions. C’était une évidence. C’est tout.

Dans le rêve, quand ses doigts ont frôlé ma peau, le A s’est mis à scintiller, puis s’est embrasé. Alice a soufflé doucement sur les flammes.

Quand elles ont disparu, entremêlé au A il y avait un D.

Je secoue la tête. J’aurais dû me méfier. Ces derniers jours, en parlant avec elle, j’avais bien remarqué qu’elle était différente. Elle a jamais su me mentir, ma demoiselle. Mais ça… Je crois que j’ai pensé à tout sauf à cette mauvaise blague.

Putain ! On est vraiment dans la merde ! Non, rectification : je suis dans la merde.

Au fond de moi, je sais qu’elle refusera d’avorter. C’est une fichue tête de mule, cette gonzesse. Et en plus, elle l’a vu. Fallait que son connard de gynéco le lui montre ! Et on voit quoi d’abord, à même pas deux mois ? C’est rien, c’est qu’un vague point ! Il sentira même pas qu’ils’en va.

Je me dégoûte. Alice porte une vie en elle. Et je veux qu’elle s’en débarrasse, parce que j’ai peur. Peur de perdre ma liberté, peur de pas

être à la hauteur, peur de trop aimer.

Je pose mes mains contre le miroir et respire profondément.

Ouais, Alice porte la Vie et cette Vie, c’est moi qui la lui ai implantée. C’est pas un hasard. La Vie trouve toujours son chemin.

C’est quoi ce bordel ?

75

Punaise ! Je crois que Fred est en train de démonter la salle de bain ! Je fixe mes yeux sur la porte.

Cela fait un moment que l’eau a cessé de couler, mais par contre, j’entends les objets voler et Fred crier.

C’est pas de la colère, c’est de la rage. Violente, incontrôlable. Faut que je le rejoigne, faut que je l’apaise.

Alors que je m’apprête à me lever, le bruit cesse. Je retiens mon souffle. Et si j’appelais Elsa ? Elle saurait peut-être trouver les mots pour l’aider. Ou Mickaël, il est même sacrément mieux placé. Mais avant que j’aie le temps de poser un pied par terre, la porte de la salle de bain s’ouvre et Fred apparaît, une serviette blanche autour de ses hanches parfaites. Il a les yeux rouges, il a pleuré. Et ça me bouffe.

J’ai mal pour lui. Je n’avais pas le droit de lui faire ça. C’est une impasse, une saloperie d’impasse.

Je suis tellement désolée, gueule d’ange.

Nos yeux se rencontrent. Il semble déphasé. Moi aussi. Au moins, en ce moment même, nous avons ça en commun.

Il s’avance vers moi, mais s’arrête à quelques pas du lit. Son regard descend sur mon ventre.

— T’as mal ?

J’écarquille les yeux. Je n’imaginais pas vraiment ce genre de question comme entrée en matière. Je secoue la tête.

— Non, pas du tout. Je ne suis pas malade, Fred.

— T’as dit que t’avais des nausées.

Je me prends à sourire.

— Le matin, si je ne mange pas quelque chose rapidement. Et je suis assez vite fatiguée, je pleure pour un oui ou pour un non et…

Il lève sa main et désigne mon ventre du menton.

— Stop ! N’aggrave pas son cas, à celui-là !

J’observe Fred avec attention, incapable de comprendre dans quel sens je dois prendre cette réplique.

Son visage est fermé, ses yeux sont froids. Je tente de lui sourire, mais peine perdue, il reste de marbre.

Six semaines qu’on ne s’était pas vus et il faut que les retrouvailles se déroulent ainsi !

La boule d’angoisse au creux de mon ventre s’est agrandie, elle déborde sur ma poitrine. J’ai la désagréable impression d’être enfermée dans un étau. Je sens les larmes à nouveau si proches, j’ai envie de vomir. Pas à cause du bébé, mais parce que j’ai terriblement mal de ne pas pouvoir lire sur les traits de son visage.

Il finit par faire un pas vers moi.

— Alice, je peux pas.

Je détourne mon regard. Mes lèvres commencent à trembler. Non ! Un peu de temps, gueule d’ange, laisse-nous en juste un peu !

Je secoue la tête et murmure :

— Je suis désolée.

Je ne sais pas quoi dire d’autre. Fred avance encore. Son ton est autoritaire :

— Regarde-moi, Alice !

C’est difficile, mais j’obéis. Oh ! Putain ! Ce regard ! Il me fait froid dans le dos.

— Vérité vraie, demoiselle : tu l’as fait exprès ou pas ?

J’ouvre la bouche, sidérée par sa question. Il me connaît donc si mal ? Je m’offusque :

— Tu crois que je t’ai fait un enfant dans le dos ?

— Vérité vraie !

— Non ! Non ! Comment peux-tu penser une chose pareille ?

Ses prunelles me fixent intensément. En même temps, c’est peut-être légitime de sa part de me demander ça. Mais je ne suis pas ce genre de femme, il devrait le savoir.

Il finit par détourner la tête et jette un œil par la baie vitrée.

— Je voulais être sûr.

Je prends l’échographie dans la main et passe mon doigt dessus. Je dois faire quoi, moi, maintenant ?

— Je suis perdue, Fred.

Enfin, il se tourne vers moi et c’est une puissante détresse que je lis dans ses yeux. Je ne cherche plus à

retenir mes larmes.

— Moi aussi, je suis perdu. Dans ma tête, ça a toujours été très clair, Alice. Je fais un métier de cinglé, tu le sais aussi bien que moi. Ça me prend trop de temps pour penser à un enfant. Je serai pas présent.

— Quand on s’est connus, tu m’as tenu le même genre de discours par rapport à une éventuelle relation avec moi. Tu te souviens ?

Il ne répond pas, je sais que je viens de marquer un point.

— Tu avais peur de ne pas être là pour moi, Fred, mais tu l’as toujours été. Cette fois, c’est pareil, à la différence que tu n’es pas seul pour gérer ça. Je suis là et je serai dans la même galère que toi.

Il soutient mon regard et me jette :

— Je suis pas prêt, Alice, tu comprends ça ? Pas maintenant !

*

Putain ! Faut que j’arrête de lui dire ça ! Je suis pas prêt aujourd’hui, je le serai pas plus demain !

Contre toute attente, Alice sourit et ça me déstabilise. Elle se lève et s’avance vers moi. Ses joues sont remplies de larmes et c’est à cause de moi.

Je te mérite vraiment pas, demoiselle.

Elle pose ses mains contre mon torse et ce contact me réchauffe. J’ai vraiment besoin d’elle, putain ! Je veux pas la perdre !

Elle murmure :

— De toi à moi, gueule d’ange, on sait pertinemment que tu fais partie de ces hommes qui ne seront jamais prêts.

Je la dévore des yeux. Elle a raison et elle le sait parfaitement. Je peux trouver toutes les excuses minables que je veux, y en a aucune qui tienne la route. Y a qu’une seule vérité et y a qu’à cette femme que je peux l’avouer.

Je prends une de ses mains et caresse sa joue.

— J’ai peur, demoiselle.

— Je sais. Je commence à te connaître un peu.

Pour la première fois depuis le début de notre engueulade, je parviens à sourire. Je pose mon front contre le sien. Je suis bien quand je fais

ça. J’ai l’impression, à chaque fois, qu’y a plus qu’elle et moi au monde.

— J’ai perdu mes parents et je veux pas qu’il lui arrive la même chose.

Elle passe ses mains autour de ma tête et cherche mon regard. Ses larmes lui illuminent le bleu de ses yeux. Elle est si belle, bordel ! Et sa voix est si douce et rassurante quand elle me sort :

— Nous ne sommes pas tes parents. Tu m’as dit un jour que les peurs sont irrationnelles et que nous avons peur de ce que nous ne connaissons pas. C’est légitime, mon amour. Moi aussi, j’ai peur.

Elle se souvient de ça ? Trop bonne mémoire, cette gonzesse ! Elle plante ses yeux dans les miens et j’y lis toute l’angoisse qu’elle ressent à

l’instant précis et ça m’écorche le cœur.

— Fred, j’ai peur de changer, parce que je vais changer. J’ai peur que tu ne me désires plus et que tu ailles voir ailleurs.

J’y connais pas grand-chose, mais ça, je crois que c’est le classique des meufs en cloque. Même Flavia avait tenu ce discours à Mike. Je m’en rappelle : ça le saoulait tellement qu’il m’en avait parlé. Et moi, à l’époque, j’en avais vraiment rien à foutre. Je crois même que j’avais fini par le renvoyer chier. Mais je peux dire quoi face à ça, maintenant ? J’en sais rien. J’arrive pas à imaginer Alice avec un gros bide. C’est surréaliste !

À son regard, je sais qu’elle attend que je la rassure, mais je trouve pas les mots. Je suis pas doué pour ce genre de truc. La seule chose que je parviens à dire, c’est :

— Tu veux vraiment le garder, hein ?

Elle hoche la tête.

Putain ! J’avais pas imaginé un avenir pareil avec elle. Je savais qu’on risquait de se prendre la tête sur le sujet, un jour, mais pas maintenant, pas si vite et pas devant le fait accompli.

À court d’arguments potables, je sors :

— Un môme, ça braille et ça pue.

*

Je m’offusque.

— Arrête ! Ça ne pue pas !

— Si, ça pue.

Il est sérieux ou il commence à plaisanter ? Serait-il… Nom d’une pipe ! Ce pourrait-il qu’il change d’avis ?

« Pas de faux espoirs, Alice ! C’est Fred. Il est tenace et tu le sais. »

Oui, et il parvient généralement à ses fins.

Je pose une main sur mon ventre. Il me regarde faire et recule.

— T’as vraiment un truc là-dedans ?

— On appelle ça un embryon. Et il t’entend, alors un peu de respect.

Il lève les yeux au ciel.

— Là, tu racontes des conneries. Il peut pas entendre ! Il ressemble même pas à un bébé, c’est un sosie d’Alien !

Bon, d’accord, j’exagère. Mais moi, je suis sûre qu’il ressent déjà tout ce qu’il se passe autour de lui.

Et s’il sentait que Fred n’en veut pas et qu’il décide de s’en aller ? Une nouvelle peur panique s’empare de moi. Je me dirige vers le lit et prends l’échographie. Je la tends à Fred. Intrigué, il la saisit et fronce les sourcils.

— Je suis censé voir quoi ?

— Son cœur.

Il me regarde du genre « t’as fumé quoi ? ». Je soupire et me place à ses côtés. Je pointe mon doigt sur un tout petit point blanc.

— L’embryon était encore trop petit pour qu’on le distingue. Mais les battements de son cœur étaient visibles. Ça faisait comme un petit phare.

Fred jette encore un regard, puis me rend l’échographie en secouant la tête.

— Et toi, un gyrophare miniature sur un écran, ça t’a mise dans tous tes états ?

— C’était un cœur, Fred ! Un battement de cœur ! Une vie !

Il baisse les yeux.

*

Je visualise l’image dans mon crâne et je parviens même à entendre le son. C’est quoi pour un bordel ?

Je peux pas faire ça. Je peux pas lui demander ce sacrifice. Elle l’aime déjà, ça se sent, ça se voit. Et moi, je l’aime, elle. Quelle merde !

Putain ! Ça va être rock’n’roll !

Je m’avance vers elle, lui prends la main et l’oblige à se coucher sur le lit. Il est temps que j’affronte ma plus grosse phobie.

Les mots sortent de ma bouche et j’ai de la peine à croire que c’est moi qui les prononce :

— Tu crois que… je saurai me débrouiller ?

Les yeux d’Alice s’éclairent. Elle a compris. Elle passe sa main dans mes cheveux.

— Comme un chef.

— Et s’il me déteste ?

— Tout le monde t’aime, gueule d’ange.

Je souris.

— Non, pas ta mère.

Et c’est réciproque. Joséphine Lagardère, moins je la vois, mieux je me porte, même si on fait un effort pour Alice, d’un côté comme de l’autre. J’ai toujours pas compris si je lui sors par les yeux parce que j’ai mis sa fille en danger, y a trois ans, ou parce qu’elle sait que j’épouserai jamais Alice. Le mariage, pour cette femme, c’est sacré, et je suis persuadé qu’elle regrette que sa fille soit jamais tombée amoureuse de l’autre crétin blond en Alfa Roméo.

D’ailleurs, cet abruti aussi pourrait sortir de la vie de ma demoiselle, je m’en porterais pas plus mal.

Alice soupire.

— Quel enfant n’aime pas son père ?

Je tressaille.

*

Et merde ! Boulette ! Pourtant, à ma grande stupéfaction, Fred ne se fâche pas. Il murmure avec nostalgie :

— Je pense que j’ai dû l’aimer. Et que je l’aimerais encore malgré tout, s’il était là.

Quand je dis que cet homme est incroyable !

Il pose une main distraite sur la bretelle de mon débardeur, puis plonge son regard dans le mien.

— J’ai foutrement la trouille, d’accord ? Et je veux pas qu’on en parle aux autres.

— Si tu ne dis rien, je ne dirai rien.

Il paraît sceptique.

— C’est pas moi, le roi des gaffeurs, je te rappelle.

— Fais-moi confiance, s’il te plaît !

Il me fait de gros yeux et je détourne les miens. Bon d’accord, c’est peut-être un peu gonflé de ma part de lui balancer ça après le coup que je viens de lui faire. Je me demande même jusqu’à quel point il sera prêt désormais à m’accorder du crédit dans quoi que ce soit.

Fred se couche près de moi et chuchote en passant ses doigts dans mes cheveux :

— Tu m’auras vraiment poussé dans tous mes retranchements, toi.

J’hésite à poser la question qui me brûle les lèvres, je redoute tellement sa réponse.

— Tu… Pourquoi tu…

Son nez vient caresser le mien.

— Je peux pas te demander ça. T’as de l’amour à revendre et tu serais malheureuse.

— Mais toi ?

Un rire nerveux s’échappe de sa bouche, ses yeux se perdent dans les miens et leur puissante lumière d’amour me consume.

— Moi ? Tu sais bien que je finis par m’adapter à toute situation. Il me faut juste un peu de temps.

— Sept mois et demi, ça te suffira ?

Il grimace.

— Non. Mais t’as raison, demoiselle : je serai jamais prêt. Alors c’est comme le saut à l’élastique, ça sert à rien d’hésiter en regardant en bas. Faut lever les yeux et plonger.

Alors ça !

— C’est pas un sacrifice ?

— Non. Je crois qu’on appelle ça de l’amour.

*

Elle se jette sur moi et m’embrasse à pleine bouche. Mais où vais-je tout le temps chercher des conneries pareilles, moi ? Et ça la met dans tous ses états, à chaque fois. Et le comble, c’est que mes déclarations à la con, je réalise que j’y crois.

Putain ! Et j’ai foutu ma salle de bain en l’air pour cet Alien ! Quand Alice arrête de m’embrasser, je lui demande, embarrassé :

— Tu m’as entendu, t’à l’heure ?

Elle hoche la tête. Je suis vraiment instable. Faut que j’apprenne à gérer ma colère, ou peut-être que je m’achète un punching-ball.

— T’éviteras d’y mettre les pieds. Je vais nettoyer ça après.

— Je vais t’aider.

— Non, ce sont mes conneries, j’assume. C’est plus fort que moi, Alice, faut que ça sorte. Je contrôle rien.

— On est rock ou on ne l’est pas, non ?

— Ça, c’est pas du rock, demoiselle, c’est de la connerie pure.

Elle m’embrasse encore une fois, je ferme les yeux et l’enlace. J’ai envie d’elle. Et elle m’entend. Elle passe sa main sous la serviette et ses doigts s’emparent de ma queue.

C’est toujours ça que je préfère dans nos prises de bec : la baise réconciliatrice. Et plus ça gueule avant, plus j’ai envie de la faire jouir comme une démente après. Mais là, c’est sa bouche à elle qui me baise, et putain ! ce que c’est bon ! J’en oublie l’Alien, j’en oublie ma salle de bain, j’en oublie le futur. Y a plus qu’Alice, moi et sa délicieuse langue.

Je veux lui faire du bien, moi aussi. Et je sais qu’elle aime foutrement ça. Je l’attire à moi, elle se laisse faire et écarte ses jambes. Je m’enivre de son odeur, de son humidité. Je la lèche, elle gémit.

J’adore jouer avec elle. La faire aller jusqu’à la limite, puis calmer le jeu pour mieux abattre le coup de grâce au moment où elle s’y attend le moins. Ça la rend dingue et moi, je pourrais jouir rien qu’à l’entendre hurler. Mais c’est pas comme ça que je veux prendre mon pied. Je veux la baiser, lui faire l’amour, me perdre en elle.

Je retire ma langue, lèche mes doigts et les introduis dans sa chatte. Elle lâche ma queue et je sais qu’elle se mord la lèvre. J’en profite pour me relever et la pousser en avant. Elle gémit plus fort.

Je pose mes lèvres sur sa nuque et je respire à pleins poumons.

— Tu sens si bon, demoiselle. Putain ! J’ai envie de toi.

— Mmmh…

J’enfonce mes doigts, les tourne, cherche son point G. Je me retiens de les retirer tout de suite pour la pénétrer. Je laisse ma main libre jouer avec ses seins. J’embrasse sa peau, la mords. Je l’entends sourire, geindre, elle prononce mon prénom.

— Fred… prends-moi…

Non ! Je veux encore qu’elle me supplie. Je retire mes doigts, les amène à sa bouche. Elle les suce, ça m’excite. Je les repose sur sa chatte humide. Elle pousse un râle.

— Dis-moi ce que tu veux, demoiselle.

— Toi.

Je souris en frôlant sa peau du bout des lèvres.

— Je suis là.

Je caresse son clitoris, il est gonflé à bloc ; si je continue, dans quelques secondes, elle jouit.

Elle se penche en avant. Putain ! Je vais plus résister très longtemps.

— Baise-moi, Fred.

Elle sait que j’aime quand elle dit ça. Je me penche à son oreille pour lui murmurer :

— Et si je te fais l’amour ?

— Alors, fais-le jusqu’à t’en perdre.

OK ! Elle a gagné ! Je laisse ma queue entrer en elle. Putain ! Ce bonheur !

Je la pilonne lentement. Je veux l’entendre gémir, encore et encore. Ce que c’est bon ! Elle est chaude, trempée, elle ne désire que moi.

J’accélère le mouvement, elle resserre ses jambes. C’est bon, ça ! Ça devient étroit, ça me fait du bien.

Je pose à nouveau mon doigt sur son clito et elle chante pour moi. Ma somptueuse sirène, ma demoiselle, ma reine !

Alors je me lâche, ma queue explose et je me vide en elle.

— Mmmh… Alice !

Je me laisse tomber contre son dos et la dévore de baisers. Elle se retourne, m’entoure de ses jambes et ma queue se tend à nouveau. Cette fille, je pourrai jamais m’en passer. Je le sais. Alors, je la prends encore une fois, plus tendrement, puis je me couche sur elle.

Elle m’enlace, passe sa main dans mes cheveux ; j’embrasse son cou, ses seins. Je descends vers son ventre, mais je me retiens. Non, ça, je peux pas.

Je remonte vers elle. Vais-je vraiment y arriver ? Je cherche la réponse au fond de ses yeux. Ils me sourient, elle est heureuse. Et moi, j’ai une putain de boule dans la gorge. Sept mois. C’est rien. À peine le temps de dire ouf.

« Ouf. Tu vois ? Tout va bien. »

Alice est là, elle éclate de bonheur. Elle m’aime. À en crever. Elle et moi, c’est une fusion depuis le premier jour. Une évidence. Tant qu’elle sera à mes côtés, je serai capable de me sublimer.

Elle ferme les yeux. Je me pose à côté d’elle et elle vient se blottir contre moi. Elle frissonne. Je rabats la couette sur nous.

La lumière de l’après-midi nous éclaire, mais n’empêche pas Alice de s’endormir. Je la regarde, me délecte de son image, passe ma main dans ses boucles.

Quand je suis sûr qu’elle dort profondément, je me lève sans bruit. Et je pars.

*

J’ouvre les paupières. Aucun bruit. Je suis seule. Je jette un œil au réveil. Un peu plus de 18 heures.

— Fred ?

Pas de réponse.

Je me lève, m’étire, me rhabille, puis rejoins la salle de bain. En ouvrant la porte, je me rappelle que ma gueule d’ange l’a mise sens dessus dessous un peu plus de deux heures auparavant. Je soupire et ferme les yeux. Ça faisait longtemps qu’il n’avait plus rien cassé. Je n’aime pas ses débordements borderline, mais je sais que c’est plus fort que lui. C’est un besoin animal, primaire. Sa fêlure, son point faible.

J’entre et j’en reste bouche bée : la salle de bain est nickel. S’il n’y avait le meuble à moitié détruit dans le coin, près de la baignoire, on ne se rendrait pas compte que le tsunami Pelletier est passé par là

dans l’après-midi.

Je m’approche de l’étagère. Il ne l’a pas loupée ; un des placards ne ferme plus et le bois a éclaté. Je crois que je suis bonne pour aller chez Ikea un de ces quatre.

Après être passée aux toilettes et m’être lavé les mains, je retourne dans la chambre.

Où est ma gueule d’ange ?

« Tu sais où il est. »

Je souris et rejoins le couloir. À peine la porte de la chambre ouverte, j’entends un bruit lointain.

Je descends au rez-de-chaussée, embarque une pomme dans la cuisine au passage, puis me dirige vers la salle de musique. Les caisses de la batterie résonnent de plus en plus fort. C’est que Fred a fait des progrès sur cet instrument, en trois ans. Déjà qu’à l’époque il était doué, là, Mickaël a du souci à se faire.

Moi, il m’épate.

Il a laissé la porte ouverte, mais avec le bruit d’enfer qu’il fait, il ne m’entend pas arriver. Je reste debout sur les marches et l’observe jouer. Il est tellement concentré qu’il ne se rend pas compte de ma présence ou en tout cas, il feint de l’ignorer.

Il a enfilé son vieux jean noir troué et un tee-shirt noir avec une lune et un chat aux poils hérissés dessus. Représentation de son humeur du soir ?

Ses cheveux partent dans tous les sens, il a sa barbe de trois jours et mon cœur fond d’amour. Il a eu

30 ans il y a quelques semaines, pourtant je n’ai pas l’impression qu’il a pris une ride depuis que je l’ai rencontré. Il est toujours aussi beau, aussi timbré, aussi rock.

Avant de partir de l’autre côté de l’Atlantique, il s’est enfin décidé à accrocher le disque d’or qui dormait derrière son étagère depuis quatre ans et au-dessus de Wilson, il a suspendu le double disque de platine reçu pour le dernier album.

Sur le piano et à côté des classeurs de l’étagère, il a déposé les nombreuses récompenses que Dark

Moon a remportées au fil des mois. Serge en a d’autres dans son bureau. Des nids à poussière, comme les surnomme Fred, mais je sais qu’au fond de lui, malgré tout, il en est fier.

Je sursaute et me rends compte que la musique a cessé. Ma gueule d’ange me regarde intensément.

Mince alors ! Depuis combien de temps s’est-il arrêté de jouer ? Il tape sur ses cuisses, je le rejoins et m’assois sur ses jambes. Il m’offre les baguettes et passe ses mains sur les miennes. Il me guide. Je souris aux anges. J’ai fait des progrès, moi aussi.

À la fin de notre improvisation, je lui rends les baguettes, il m’embrasse dans le cou et je lui jette :

— La prochaine fois que tu as des envies de démolition, viens plutôt calmer tes nerfs sur la batterie.

— Je suis pas sûr que Mickaël apprécierait.

— Plus que ton porte-monnaie. On est bon pour racheter une armoire.

Il me regarde, confus.

— Je suis désolé, princesse. Je t’ai fait peur ?

Je passe ma main sur son visage. Pfff… Même pas une toute petite ride… La nature est trop injuste !

— J’ai peur pour toi quand tu es comme ça.

Je dépose un petit baiser sur ses lèvres. Ses yeux sont réellement attristés.

— Je sais pas ce qui me prend. C’est… J’ai besoin de détruire, de casser, d’imploser ! Ça me fait du bien.

— Oui, mais de devoir refaire la déco à chaque fois, c’est un peu une perte de temps, non ?

Il me serre contre lui.

— Je vais tenter de faire des efforts, demoiselle. Promis.

Il se met debout, me porte dans ses bras et nous amène sur Wilson. Je caresse le vieux cuir du canapé

en rougissant.

— Tu sais que la première fois que je me suis retrouvée ici, je n’avais qu’une envie.

— Laquelle ?

— Que tu me sautes dessus et que tu me fasses un tas de trucs par sérieux.

— On s’est bien rattrapés depuis.

Il se rapproche de moi, les yeux étincelants de désirs et d’idées probablement très cochonnes.

Les souvenirs m’envahissent. Nous sommes assis sur Wilson, comme le jour où j’ai découvert qui il

était. Et aujourd’hui, malgré le temps passé, j’ai toujours autant envie de lui. Même encore plus. Chaque fois que je pense à lui, mes papillons se réveillent et battent des ailes comme au premier jour. Peut-être parce que la vie à ses côtés est loin d’être monotone.

Je m’empare de sa main, et avant que ses lèvres ne frôlent les miennes et me fassent totalement perdre la tête, je lui demande :

— Que penses-tu de ma proposition, alors ?

*

Je fronce les yeux. Elle parle de quoi, encore ? Voyant que je suis paumé, elle précise :

— Ma candidature à un nouvel emploi.

Je recule. Je suis sur le cul.

— T’étais vraiment sérieuse ?

Elle devient toute rouge et acquiesce.

— Mais t’adores ton boulot !

— Oui, mais toi, je t’aime beaucoup plus que lui.

Merde alors ! Quand je suis sur les routes, loin d’elle, elle me manque, elle m’obsède. Mais j’aurais jamais cru qu’elle serait réellement capable de lâcher la bibliothèque pour vouloir me suivre.

— Alice, c’est pas facile comme vie. On bouge sans arrêt, on passe une bonne partie des journées dans les cars ou dans les avions, et le reste du temps, on est dans les salles de concert. On fait pas du tourisme, on…

Ses yeux s’illuminent. Putain ! Elle veut vraiment le faire ! Elle veut venir avec moi ! Mon cœur se tord. Elle est prête à changer de vie pour moi. Bordel !

Cette fois, c’est elle qui vient poser son front contre le mien.

— Je sais ce qui m’attend, gueule d’ange. Je veux simplement savoir si toi, tu es d’accord. J’ai des compétences, je suis sûre que je pourrai me rendre utile. Je suis organisée, j’ai le contact facile, je sais mettre en place des événements…

Je me mets à rire.

— T’es vraiment en train de me vendre ton CV, là ?

Elle hausse les épaules dans une moue contrite. Mes yeux se posent sur son ventre. Je redeviens sérieux.

— Tu veux le faire pour moi ou… pour lui ?

Elle relève son visage et passe ses mains autour de mon cou. Son regard parle pour elle, je sais qu’elle triche pas et, putain ! elle sait me toucher !

— La vérité vraie ? Ça fait un moment que j’y pense sérieusement, mais je n’osais pas t’en parler. Quand tu n’es pas là, j’ai un vide immense. Je n’aime pas être séparée de toi. C’est complètement démentiel et ça fait longtemps que j’ai arrêté d’essayer de comprendre. Tout ce que je sais, Fred, c’est que je veux partager ta vie, entièrement. Et…

Elle pose une main sur son ventre.

— Depuis dix jours, je n’ai plus d’hésitation.

— C’est pas un sacrifice ?

Elle sourit tendrement et secoue doucement la tête.

— Non. Y a un mec qui m’a dit qu’on appelle ça de l’amour.

Je ris nerveusement.

— Ce que je peux en dire des conneries quand je suis avec toi, demoiselle !

— Je les aime bien, tes conneries.

Je la prends sur mes genoux et passe ma main dans ses boucles.

— Mon assistante personnelle ?

— Hum hum…

— Faut que je réfléchisse au cahier des charges, alors. Tu sais que je suis exigeant comme patron ?

— Exigeant, intransigeant, complètement fêlé, ingérable, et foutrement rock’n’roll !

— Et tout ça, ça te plaît ?

En réponse, elle m’embrasse sauvagement. Je la couche sur le canapé.

— Et tes exigences salariales ?

— Oh ! Je ne cours pas après les sous. Disons…

Elle lève les yeux en l’air, fait mine de réfléchir, puis plonge son beau regard bleu dans le mien.

— … de quoi m’acheter de temps en temps des sous-vêtements dignes de faire triquer tout un cimetière.

— Ça, c’est un argument qui vaut des points. Vous savez vous vendre, mademoiselle Lagardère.

D’un coup, son regard devient inquiet.

— Alors ? Tu es d’accord ?

— Tu veux une vérité vraie ?

Elle arrête de respirer. Je luisouris et me penche lentement vers elle.

— Ça fait un sacré moment que j’attendais que tu me le proposes.

Elle me sourit en retour et ses yeux s’imprègnent de larmes.

Putain ! Je crois que pour la première fois de ma vie, je comprends réellement ce que c’est que le bonheur. Le mien, ils’appelle Alice.

*

Il a dit oui ! La vache ! J’en tremble et j’en pleure. Ça fait un moment que je l’imaginais, mais cette fois, je vais vraiment le vivre !

Les idées commencent à s’entremêler dans mon esprit. Il faudra que j’écrive ma lettre de démission et que je l’annonce à mes collègues. Ils vont être tristes. Et puis, comment réagiront les autres membres du groupe ? Et Serge ? Lui, pas sûre qu’il soit très content… Et Flavia ? Et ma mère ? Punaise ! Elle va m’en faire une vie ! Je la préviendrai au dernier moment, ou après l’annonce du bébé. Oui, ça, c’est une bonne idée.

Le bébé…

C’est trop pour une journée. J’attire Fred à moi et me laisser aller contre son épaule.

— Hé ! Alice !

Il passe une main douce dans mes cheveux. Mes idées deviennent subitement irrationnelles. Foutues hormones !

Je sanglote.

— Et si dans un an, tu décides que tu en as marre de moi et que… tu ne supportes pas le bébé et…

Sa voix se fait velours.

— Rien n’arrive par hasard, demoiselle. S’il a décidé de venir jouer les trouble-fêtes, cet Alien, c’est qu’il doit en être ainsi.

Je recule pour lui faire face, passant mes doigts sous mes yeux afin d’en chasser les larmes.

— Tu sais que tu me surprends un peu plus chaque jour, gueule d’ange ?

— Je crois que c’est surtout moi, le premier surpris. Tu me fais vraiment faire n’importe quoi, demoiselle.

Il m’attire à nouveau contre lui et pose son menton dans le creux de mon cou.

Je demande d’une petite voix :

— Tu dis toujours il, mais c’est peut-être une fille.

À ma grande surprise, il secoue la tête et affirme avec certitude :

— Non, c’est un mec.

Je relève la tête et l’observe attentivement. Ses yeux brillent de mille feux et une petite flamme malicieuse scintille au fond de ses prunelles vertes. C’est moi ou il a l’air heureux ? Waouh ! Finalement, casser des trucs, ça lui fait peut-être réellement du bien. Ce n’est jamais le même après ses éclats de colère.

— Comment peux-tu être aussi sûr de toi ?

Il sourit mystérieusement.

— Je le sais, c’est tout.

Il n’en dira pas plus, mais je suis certaine qu’il me cache un truc. Encore un secret ? Non, il n’a pas le droit ! Je laisse tomber pour cette fois, mais je ne m’avoue pas vaincue. Je finirai bien par le découvrir aussi, celui-là.

Mes yeux se posent sur le tatouage de son avant-bras. Je passe mon index dessus. Fred frissonne. Il est beau, ce A. Fin, gracieux, on dirait qu’il danse parmi les feuilles de lierre. Je me prends à rêver d’une seconde lettre en dessous.

À moitié songeuse, je jette :

— J’aime bien Danny.

Au regard exorbité que Fred me lance, j’ai l’impression d’avoir fait une bourde. Il cligne des yeux plusieurs fois. Je n’aurais peut-être pas dû dire ça. Il y a quelques heures à peine, je lui balance qu’il va

être papa et maintenant, je commence déjà à délirer sur un prénom ! Va falloir que je me contrôle sérieusement. Je crois surtout qu’il faudra que je planque le livre acheté il y a deux jours et qui trône sur la bibliothèque de la salle de jeux : La grossesse, mois après mois. Si Fred voit ça, il fuira sur-le-champ.

Il déglutit et je secoue la tête.

— Laisse tomber. C’est… Je m’excuse. J’arrête de parler bébé.

Son regard s’adoucit.

— Même Flavia, elle arrive pas à parler d’autre chose. Alors, toi…

— Je vais tenter de faire des efforts, promis.

Il m’embrasse avec toute la douceur dont il est capable.

— Je te rappellerai à l’ordre, demoiselle.

Je m’accroche à son cou et il me bascule contre Wilson. Ses lèvres et ses doigts courent sur ma peau.

Mon corps s’enflamme, une fois encore.

À ma plus grande surprise, Fred soulève mon débardeur au-dessus de mon nombril. Il pose sa main sur le bas de mon ventre. Nom d’une pipe ! Je crois que je vais défaillir !

C’est moi où il tremble un peu ?

— Tu vas avoir un gros bide.

Je grimace. Merci pour le romantisme, il repassera. Et pour enfoncer le clou, il ajoute :

— Ça va pas être pratique pour danser le pogo.

— Foutrement pas, non.

— Et quand je t’emmènerai dans des soirées, tu pourras plus te bourrer au champagne à la vue des célébrités.

— Là, t’es cruel, gueule d’ange !

Il me fait son sourire de démon et mon cœur s’emballe. J’aime quand il fait son beau diable.

Il soupire.

— Putain ! Rose sera hystérique.

— On parie que ma mère le sera plus ?

Ses yeux deviennent espiègles.

— Celui qui perd donne du plaisir à l’autre ?

— Pari tenu.

Pour une fois, je suis sûre de gagner.

Il pose son regard sur mon ventre. Là, c’est moi qui tremble. Il hésite, puis frôle ma peau de sa bouche.

Je frémis.

Il passe un doigt vers mon nombril et j’hallucine complètement quand il se penche en avant et murmure :

— T’as remarqué qu’en quelques heures, p’tit Alien, t’as déjà foutu un sacré bordel ? Finalement, peut-être qu’on pourra s’entendre.

Il remonte son visage vers moi.

— Tu sais quoi, demoiselle ?

Je secoue la tête et me noie dans son sublime regard. Même après plus de trois ans, il parvient encore à

me faire oublier comment je m’appelle.

— Je peux rien te promettre et tu sais que j’aime pas penser à l’avenir, mais y a une chose dont je suis sûr.

Il remet une de mes boucles derrière mon oreille. Ça me rend toute chose. J’ai chaud, j’ai froid, j’ai envie de lui.

— Quoi ?

Son sourire illumine ses traits. Nom de nom ! Ce qu’il est beau ! Un ange ténébreux, un vrai ! Le mien !

— Putain ! Ça va être sacrément rock’n’roll !

Je lui rends son sourire.

— Je crois qu’on n’imagine même pas à quel point !

Alors, doucement, il s’incline vers moi et m’embrasse. Avec délice, j’entrouvre les lèvres et laisse sa langue passer. Elle est sucrée, passionnelle et si sauvage ! Ce baiser-là, c’est du 100 % Fred Pelletier !

Il est mien… Je suis sienne… La vérité vraie ? Je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie. Et tout ça, c’est grâce à lui. Ma gueule d’ange ! Mon amour ! Mon Frédéric !

Je crois que lui et moi, on n’a pas fini d’en voir de toutes les couleurs et je m’en réjouis d’avance.

Je souris… Une vie rock’n’roll… Qui l’aurait cru ? Sûrement pas moi.

Les mains de Fred viennent caresser ma peau. Je laisse les miennes se glisser sous son tee-shirt. Il n’en faut pas plus pour que mon entre-jambes se mouille d’envie et que mon cerveau s’invente de nouveaux scénarios puissamment cochons.

Dans quelques minutes, je sais qu’un nouvel orgasme m’attend.

Fred est peut-être un homme dangereux, instable, absolument déjanté, mais au fond de lui, c’est surtout un mec rempli de tendresse et d’amour.

Et l’amour, bordel ! qu’est-ce qu’il me le fait bien !

FIN

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Extrait ajouté par Ziela 2015-11-17T22:25:32+01:00

— Excuse-moi. Je ne suis pas très présente. Je pensais aux relations et aux différents couples que je connais. Johanna et Marc, contrairement à tes amis, ils sont très autonomes.

Je ne tiens plus son regard pénétrant et détourne les yeux, le corps échaudé.

— Et pourquoi tu penses à ça ?

— Parce que... je me demande ce qu’on est, toi et moi. Je sais que c’est ridicule, parce que ça ne fait pas longtemps qu’on se connaît. Eux, ils ont du vécu. Nous...

Sa main vient se poser sur la mienne. Des frissons me parcourent aussitôt la peau. Son regard est doux, intense, il m’électrise. Je perçois mon cœur battre violemment.

— Nous, c’est nous, demoiselle. Nous compare pas aux autres. À chacun son histoire, y a pas de jugement à avoir.

Il a tellement raison. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’est notre histoire, à nous.

— Je suis d’accord, c’est juste que... J’ai l’impression que ça va telle- ment vite, toi et moi...

Fred fronce les sourcils, visiblement étonné par ma remarque.

— Tu veux qu’on ralentisse ?

— Non !

Un petit pincement me noue l’estomac et mes pensées s’affolent.

Non, je ne veux pas ralentir ! Surtout pas ! Si tu savais comme j’ai besoin de toi auprès de moi, gueule d’ange !

Je reprends d’une voix plus douce :

— Je réalise seulement que plus ça va, et plus j’ai de la peine à me passer de toi. Et je me demande si c’est vraiment normal.

Il me sourit tendrement en se penchant vers moi.

— Alors, on est deux, demoiselle. Et je crois que moi, j’en ai encore plus la trouille que toi.

Je tends mon corps vers lui et ferme les yeux. Lorsqu’il m’embrasse, j’ai envie de pleurer tellement ce que je ressens pour lui implose dans mon cœur.

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Extrait ajouté par Ziela 2015-11-15T18:03:25+01:00

Fred s’appuie contre le mur, dévasté. Et moi, j’ai juste envie de le prendre dans mes bras, de le cajoler, de me noyer dans ses yeux, de le dévorer de baisers, mais mon corps refuse de bouger, je suis littéralement pétrifiée sur place.

Dans un murmure, je demande à nouveau en cherchant son regard :

— Fred, que s’est-il passé cette nuit-là ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

Lentement, ses yeux remontent vers moi. Ils sont remplis d’une lumière effroyablement malheureuse et moi, je me ramasse une gifle en pleine face.

Non ! Pas cette fois ! Je ne veux pas capituler ! Tu ne m’auras pas, gueule d’ange !

Il secoue la tête.

— Je peux pas, Alice.

— Fred, je suis là pour t’aider, j’ai besoin de comprendre. J’en peux plus de m’inventer des histoires et de m’imaginer le pire !

Mais il s’obstine dans son silence. Alors je recule vers le lit et récupère mes habits que j’enfile à toute vitesse.

— Alice, tu fous quoi ?

— Je rentre chez moi.

Il me regarde, sonné.

— Il est 3 heures du mat’. Tu vas pas partir maintenant ?

— Et pourquoi pas ? Comme ça, tu seras tranquille et tu pourras finir ta nuit tout seul. De toute façon, demain je travaille tôt et toi, tu pars à Paris. Alors, ça change quoi ?

Je ne le regarde pas, si je le fais, je vais craquer, je le sais. Et puis, de toute manière, il va me retenir. C’est obligé !

Je ramasse mon sac et me dirige vers la porte. Pourquoi il ne dit rien ?

J’abaisse la poignée et me retourne brièvement. Fred me scrute dans un regard d’incompréhension mêlé à un puissant sentiment de colère contenue. Et moi aussi, c’est exactement ce que je ressens en ce moment même. Alors pourquoi je me tire, bordel ? Qu’est-ce qui me prend ? Il faudrait plutôt en profiter pour crever l’abcès, même si les mots risquent d’être blessants. Mais c’est trop tard, j’ai déjà franchi la porte de la chambre. Je la referme et attends. Il va venir.

Mais il ne vient pas. Alors je longe le couloir en pensant à ses trois amis dormant paisiblement de l’autre côté du mur, sans se douter un seul instant de la dispute virulente qui s’est jouée à quelques mètres d’eux.

Je descends les escaliers, lentement, à l’affût du bruit de la porte de Fred. Mais qu’attend-il ? Pourquoi ne vient-il pas ?

Je me dirige vers le vestibule, m’enveloppe dans mon manteau, enfile mes chaussures, puis sors. Le froid me prend aux tripes. Bordel ! Ça caille puissamment.

Je reste plantée là, de longues minutes. Je ne parviens pas à croire qu’il me laisse partir comme ça. Dans toutes les histoires, lors d’une violente dispute, les amoureux finissent toujours par se courir après. C’est obligé. C’est le happy end.

Je ferme la porte, m’y adosse, puis libère enfin mes larmes. Je pleure dans l’attente de Fred venant me serrer dans ses bras en s’excusant. Et je m’excuserai aussi. Je suis allée trop loin. Tout est de ma faute. Je peux encore faire marche arrière. Mais j’avance jusqu’à ma voiture. Il fait si froid à l’intérieur, mais pas autant que dans mon cœur.

Putain ! J’ai mal !

Fred m’a laissée partir, sans chercher à me retenir. Qu’est-ce que je représente vraiment pour lui ?

J’allume les phares, démarre le moteur et recule dans l’allée. Mes yeux sont brouillés de larmes et je crie en tapant le volant comme une forcenée.

Quelle conne ! Quelle puissante conne !

Je vais rentrer chez moi, je vais dormir et au réveil tout ira mieux. On aura pris le recul nécessaire et on se rendra compte que nous ne sommes que deux imbéciles. Et il m’appellera.

Je l’ai trahi... C’est ma faute... Mais c’est la sienne aussi. Pourquoi s’obstiner à se taire ainsi ? Pourquoi refuser de m’ouvrir les portes ?

Je dois lui laisser du temps. Il a besoin de se retrouver. Quand il sera prêt, il me fera signe.

N’est-ce pas ?

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Extrait ajouté par Arwenetoiledusoir 2024-04-19T13:17:02+02:00

Si cet homme devait un jour disparaître de ma vie, ma Rose intérieure n'y survivrait pas.

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Extrait ajouté par Arwenetoiledusoir 2024-04-02T13:19:40+02:00

Je pleure, parce que ta douleur devient la mienne. C'est ça, l'amour aussi.

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