Extraits

- T’es sûre que tu te sens bien ?

À ma connaissance, j’avais un comportement tout à fait normal. Je n’étais pas en train de crier, de pleurer ou de gesticuler comme une forcenée. Et surtout, je me sentais de mieux en mieux à chaque seconde depuis qu’on était sortis de cet hôpital. Mais de toute évidence, je dégageais des ondes qui laissaient entendre que je n’étais pas dans mon assiette.

Tout s’est bien passé, jusqu’à ce qu’on pénètre concrètement à l’intérieur du bâtiment. J’appelle ça « le syndrome du parc aquatique »

(...) comme tout rescapé de naufrage se ferait un plaisir de vous le dire, l’eau et les espaces clos ne font pas vraiment bon ménage. Ajoutez à cela l’aspect glissade en chute libre et vous obtenez une combinaison que notre cerveau reptilien abhorre. Ce dernier dit non. Mauvaise idée. Il dit Tu vas dégringoler puis te noyer, voire les deux en même temps.

À ce stade, le véritable risque était que des élèves se rendant en classe me voient, mais ça, je ne pouvais rien y faire. Mon seul espoir était que, du fait que j’allais courir et ne serais pas en uniforme, ils ne me reconnaissent pas.

Ça me paraissait extrêmement improbable mais, de temps en temps, je préfère me bercer d’illusions pour me rendre la vie plus agréable.

à Londres, cité de pierre, pluvieuse et magique. Je comprenais mieux, par exemple, pourquoi ils aimaient tant le rouge ici. Les bus, les cabines téléphoniques, les boîtes aux lettres tranchaient brutalement avec la grisaille du ciel et des pavés. Le rouge était la couleur du sang et des cœurs qui battent. Et moi j’étais forte

Mais aujourd’hui, si l’Éventreur revenait – ce que je lui déconseillais –, je le réduirais en une gigantesque boule de lumière blanche et de fumée. Un simple effleurement de ma part et ce serait réglé. Cette histoire m’avait rendue plus forte, au sens propre. Voilà le souvenir que je devais garder. J’étais plus coriace et plus mauvaise que tous les fantômes qui croisaient mon chemin. C’était la première fois que je voyais les choses sous cet angle : les revenants feraient bien de me craindre. Je n’avais jamais suscité la crainte jusqu’à ce jour.

Pour être franche, même après le coup qu’il venait de me faire, ça me faisait toujours aussi plaisir de voir Stephen à cet instant. Et pour être tout à fait franche, ça m’amusait un tout petit peu de le torturer. Et après ces dernières semaines, j’avais bien mérité de m’amuser un peu, quelle que soit la manière.

C’est là que j’ai entendu un cri perçant et compris que Jazza était arrivée. En me retournant, je l’ai vue remonter l’allée à toute allure vers nous. Jazza me faisait toujours un peu penser à un golden retriever. C’est un compliment, hein. Simplement à cause de la façon dont ses longs cheveux (lisses et brillants en toute circonstance, bizarrement) rebondissaient joyeusement quand elle se précipitait pour m’accueillir et parce qu’elle respirait sincèrement le bonheur. Elle a bien failli me faire tomber à la renverse en m’enlaçant de toutes ses forces.

J’ai pris soin de ne pas m’approcher trop près de lui. Faire accidentellement sauter un ami potentiel, bon, ça pouvait arriver. En faire sauter un autre serait de la pure négligence.

Claudia les a reconduits à la voiture. J’ai finalement compris pourquoi elle exerçait ce métier : elle savait y faire avec les parents. La femme qui murmurait à l’oreille des parents, c’était elle.

– Mieux vaut anticiper l’avenir que ressasser le passé.