Extraits

J'écris cela : je danse toujours. Et ma vie apparaît entière et ronde sur les lignes. Ma vie se lève de moi, un mot après l'autre.

Il ne me regarde pas. C'est une fin d'été. Il joue avec une rose sèche. Il se tait. Mais quand il se lève, l'air bouge. Je sais qu'il se rappelle. Et je lui crie quand il s'éloigne : et le premier jour, qu'est-ce que tu pensais de moi ?

A regarder son dos, sa tête inclinée dans l'espace, je sais qu'il sourit.

Quand il sort, j'écoute son dernier pas dans la cour, je le prolonge du pas des inconnus qui rentrent chez eux, je le fais passer, repasser, s'arrêter sous ma fenêtre. Et le bruit de la pluie, c'est encore lui, toute la nuit à faire les cents pas dans l'air.

Attends un peu, c'est presque fini.

J'ai eu les chagrins qu'il faut. J'ai été inconsolable. Et le lendemain, tu t'allonges au soleil sur un mur.

J'ai écrit cette vie entière, cette pelote serrée de laine rose, une femme qui dit : à mon âge. Qui dit : je danse encore.

Et moi qui ne chanterai plus.

J'écris cela : une vie. Et elle parle derrière moi.

Les mots qui résistent, cette petit vie roulée dans le papier. Ils m'auront vivante.

Je l'ai vu dans le petit café de la rue des Ecarts.

Il serait là. Je ne savais rien d'autre de lui.

Ni son nom, ni ses vêtements, ou quelque chose qu'il tiendrait dans la main, chapeau, journal, parapluie pour le reconnaître. Rien. Je savais qu'il serait seul aux Ecarts.

Je dessine cette ombre avec mes mains sur la machine, loin devant moi, cette âme qui vient sur le papier. Une femme qui raconte les jours, bavarde et vieille, qui dit juste à côté : je me souviens de tout. Il y a au-dessus de moi sa voix, ses joues étoilées.

J'ai aimé les soirs. Le vent se calme, écoute. Les draps, le matin, sur la fenêtre. L' étendard de nos nuits, au soleil.

Pleurer des souvenirs. Attendre le jour. Qui dira ce que j'étais ? Mon corps étendu des deux côtés de la guerre. Maintenant le temps est venu. Les miroirs ont gardé un film de moi.

Je veux être vieille. Ralentir devant les miroirs.