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Moi, évidemment, je n’ai pas connu cette époque. Depuis, Woodfoll est devenu une communauté prospère de plus de vingt-cinq mille habitants où de l’avis de la plupart il fait bon vivre. Or, récemment, alléchés par de très importantes subventions, le lieutenant-gouverneur général et le Parlement provincial du Manitoba ont accepté du gouvernement fédéral l’implantation d’un asile pénitentiaire proposé à notre province en raison de son isolement, de son faible taux d’occupation, égal à un virgule neuf habitant au mètre carré, des cent dix mille lacs qui recouvrent quarante-cinq pour cent de son territoire, des immenses forêts de conifères boréaux, de mélèzes, de pins rouges et d’épicéas qui se partagent les quarante-huit pour cent restants de sa surface, de la rigueur de son climat l’hiver, rendant quasi impossible l’évasion d’une population carcérale dont les autorités apprirent trop tard qu’elle était jugée dangereuse.
On donna à ce centre particulier le nom de 3AP, qui signifie, en jargon administratif, « troisième asile pénitentiaire du pays », sans que personne se soit soucié de sa signification.
À Woodfoll, je dirige les forces de l’ordre qui comptent une douzaine d’officiers de police (huit hommes, quatre femmes) et six policiers auxiliaires. Nous dépendons de la Gendarmerie royale du Canada. Elle couvre d’est en ouest un vaste territoire s’étendant de Chesterfield Inlet et Rankin Inlet près de la baie d’Hudson, qui ne sont que d’anciens relais de trappeurs, jusqu’aux bourgs de Baker Lake, Dubawn Lake et Greenknife, côté océan. En outre, deux postes de policiers volontaires stationnent pour l’un à Dubawn, et pour l’autre à Greenknife. Notre capitale provinciale, Winnipeg, est bien trop loin pour que l’on s’en soucie.
La région est relativement paisible, et l’on s’occupe d’accidents de motoneiges, de squads, de chasse, volontaires ou non, de bagarres qui peuvent parfois tourner au carnage quand l’alcool brouille les esprits, de violences conjugales et de querelles de voisinage qui s’enveniment. Les crimes de sang sont rares.
Dans les lieux habités par plus de deux cents personnes, on appelle la police, dans les autres, campements ou relais de passage, l’on règle généralement soi-même ses affaires.
Nous, les flics, on a profité avec bonheur lors de l’installation de la 3AP des généreuses subventions allouées par l’administration judiciaire pour nous équiper en matériel dernier cri. Troquant nos Winchester Garand M1, datant de la Seconde Guerre mondiale et tirant des balles 30-06, contre des fusils d’assaut israélien Tavor, de conception Bullpup, à canon court, envoyant des cartouches de 5,56 Otan dans un chargeur courbe. Nos pick-up Ford tapant les trois cent mille kilomètres au compteur qui grinçaient comme des os de vieillards et nous faisaient craindre la panne quand on roulait seul dans la toundra, furent remplacés par des Range Rover Tigre à six places, noires comme des corbillards, qui nous firent monter au plafond.
Mais quand arrivèrent les bus emmenant les soixante convicts, nous comprîmes que la générosité du gouvernement fédéral n’était pas gratuite.
Je m’appelle Louise, j’ai quarante et un ans et tout le monde m’appelle Lou sans que j’aie jamais su si c’était parce que mon prénom ne plaisait pas ou pour toute autre raison.
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