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En parlant de l'oncle de Léonardo
Francesco n'a qu'une passion, la vie, la vie même. Passion constante et très calme. La vie qu'il a sculptée, une vie simple, sans encombre ni embarras. Il aime la vie plus que tout. Lui non plus, Léonard ne l'aurait pas choisi comme parent, il est à l'opposé de ce qu'il cherche à devenir, mais au moins l'intéresse-t-il. Un noyau dur, quelque chose d'entier, d'intègre. Pourtant, ce qui définit Francesco, il le proclame, c'est de n'avoir aucune ambition. Pas le moindre ambition sociale, professionnelle, mondaine... ni même familiale. Et aussi, ajoute-t-il sans forfanterie, de savoir jouir du temps qui passe, savoir s'en pourlécher.Installé sur le versant heureux de la vie, côté sud de l'existence, il s'y tient en équilibre et tâche de n'en descendre jamais. Toute la beauté du monde, la merveille des paysages, parfois des visages sont incrustées dans son regard. Il voit tout au travers d'un prisme de son amour pour la vie. La chance et les économies de son père lui ont permis de ne jamais aliéner sa liberté au gagne-pain.Il sait vivre bien dans une réelle frugalité, qui lui convient mieux que toutes les promesses d'abondance. Léonard se jure de conserver ceci du modèle: aucun encombrement superflu, ni gourmandise ni dilapidation pour les choses matérielles. S'imposer, certes, mais ne jamais peser, rester léger, mobile, ne rien posséder, ne faire que passer.
Afficher en entierAu milieu de ce climat terriblement fièvreux, Léonard rencontre fra Luca Pacioli. Le plus célèbre mathématicien d'Europe. Lequel est ébaubi par le génie mécanique de Léonard. Comment fait-il jouer ses poids, ses contrepoids, comment les calcule-t'il? Comment peut-il connaître d'instinct les lois qui règlent l'équilibre des forces, comment s'y prend t-il pour ne pas faillir lors de ses nombreux va-et-vient mentaux qui, pour un homme comme lui, représente des mois de calcul? L'empirisme et l'instinct, l'observation et l'expérimentation à la sauvage sont les uniques techniques de Léonard, qui l'avoue sans gêne. Il a cessé d'avoir honte d'être un "homme sans lettre", c'est à dire ignorant le latin.
Afficher en entierLéonard dissèque exclusivement des cadavres de femmes mortes en couche, des sexes de femmes, de jeunes filles... Il cherche à comprendre d'où il vient et comment se fabrique, au chaud des matrices, le genre humain. Comme une fatalité.
Ainsi pense-t-il tenir ses sentiments à distance. La certitude que la reproduction de l'espèce n'est pas une affaire d'amour, d'affects, d'attirance, mais de mécanique pure et simple. Et si belle, juge-t-il en approchant davantage. C'est comme la génération, ça n'a rien de sentimental. Ce n'est que de la technique. Cette histoire des origines le travaille terriblement. Il dissèque toujours plus vite, toujours plus précisément. Par chance, les femmes meurent beaucoup en couches. Il cherche à juguler l'émotion incontrôlée qu'a déclenchée la présence de sa mère. Comment mieux la contenir qu'en dédramatisant ce qui constitue la maternité ? Il croit ainsi mettre un bâillon sur l'émotion.
Maintenant que le grand cheval d'argile est prêt et attend d'être fondu, Léonard étudie passionnément le dedans du corps des femmes, pour quelques commandes privées, prétexte-t-il. Qui n'ont à voir ni de près ni de loin avec des femmes nues, des sexes de femmes ou leurs anatomies écorchées. Ce sont des madones qu'on lui a commandées !
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