Extraits

Trémaine avançait à pas mesurés sur le chemin bordé d’un côté par le canal vert et empuanti, de l’autre par l’affleurement rocheux où poussait un feuillage sombre et dense. Elle était épuisée, ses pieds la faisaient souffrir, et pour l’heure elle en avait vraiment par-dessus la tête. « Tout ce qu’ils ont à faire, c’est embarquer sur ce fichu bateau. Est-ce que ce sera vraiment si dur que cela ? s’écria-t-elle, exaspérée.

— C’est à cause des yeux », répondit Giliead en se tournant à moitié.

Tous fixaient la mer. Perplexe quelques instants, Trémaine finit par voir ce qui avait capté leur attention : à trois cents mètres du rivage, la silhouette basse et sombre d’une canonnière gardière voguait silencieusement dans le brouillard.

Oh non, pensa Trémaine dont l’estomac se contracta comme elle rejoignait le groupe. Il ne s’agissait pas de la canonnière du port gardier de l’autre côté de l’île, même elle s’en rendait compte. Ce bateau-là était plus long et disposait d’un canon supplémentaire à la poupe.

— Ils refusent d’avancer ! » Elle désigna les Gardiers d’un geste impuissant. Elle se demanda si l’assistance goûtait l’ironie de la situation où ces barbares de Syprians empêchaient la Riénane civilisée de tirer sur les prisonniers. Quelques-uns des anciens esclaves s’étaient arrêtés pour regarder, espérant probablement qu’elle irait jusqu’au bout. André, Basimi, la brigade de militaires aussi, écarquillaient les yeux, incrédules. Pourquoi ont-ils tous l’air de trouver mon idée si mauvaise ? « Nous ne pouvons pas les laisser ici, ils en savent trop sur nous ! Qu’est-ce que nous allons faire ?

— Pas cela. » En cet instant, Giliead lui parut bien trop raisonnable. « Ce ne sont pas des magiciens, dit-il patiemment. Et ils sont sans défense. » Il tenait le fusil à distance de son corps, sa répugnance pour ce qu’il considérait comme une arme magique sautait aux yeux, mais elle ne voyait pas comment elle aurait pu le lui prendre.

« Eh bien, libérez-les et je les abattrai quand ils s’enfuiront. »