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Extrait ajouté par Underworld 2020-01-09T00:20:17+01:00

** Extrait offert par Joanne Rock **

Chapitre 1

Bretagne, printemps 1345

Ce jardin me semble valoir mieux que cet homme auquel on me destine, pensa Elysia Rougemont en embrassant du regard les parterres magnifiques du château de Vannes, espérant ainsi se changer les idées et oublier quelques instants l’imminence de son mariage. Partout, ce n’étaient que romarin, marjolaine, menthe et euphorbe ; l’air vibrait de leurs enivrantes senteurs.

Mais qu’avait-elle à faire de tout cela ? Hormis ce jardin, rien ne trouvait grâce à ses yeux dans ce château lugubre qui deviendrait, dès la nuit prochaine, sa demeure définitive — après qu’elle aurait épousé Jacques Saint-Siméon, le vieillissant comte de Vannes.

Tournant les yeux vers le bâtiment lui-même, elle en contempla la structure massive, qui rappelait plus un château fort du temps des premières croisades qu’un simple manoir fortifié. Il paraissait construit pour soutenir un siège, avec ses mâchicoulis, ses coursives d’où tirer sur l’ennemi à l’abri des créneaux, ses meurtrières nombreuses et redoutables. Son futur mari se prétendait homme de paix, mais, à voir sa demeure, on pouvait en douter.

Du pied, elle tâta la terre noire. Quelle différence avec la terre grasse et généreuse du château où elle vivait avec sa mère depuis la mort de son père, six ans plus tôt ! Quoiqu’elles y fussent toutes deux soumises à la volonté de leur suzerain, Elysia aimait sa vie là-bas, en Angleterre. Elle considérait comme un véritable exploit d’être parvenue à créer un commerce de lin, avec l’aide de sa mère. Cela était pour elle une victoire remportée sur le monde de brutes qui l’entourait, et dans lequel on tenait les qualités féminines pour méprisables et sans importance.

Bien qu’à présent sa fortune égalât celle de la plus riche héritière du royaume, elle ne pouvait en toucher un sol. Seul son suzerain avait des droits sur cet argent, et ce privilège serait très bientôt celui de son époux.

Si son frère n’avait pas eu la mauvaise idée de mourir l’automne passé avant de pouvoir lui trouver un mari, elle se serait trouvée à cette heure occupée à surveiller ses champs de lin plutôt qu’à s’interroger sur ce qu’elle pourrait faire de toutes ces herbes aromatiques…

Une voix masculine vint interrompre sa rêverie.

— Réjouissez-vous, milady, et chassez de votre minois ce déplaisir qui vous va si mal. Le comte a déjà un pied dans la tombe.

Elysia se retourna vivement, cherchant des yeux celui qui prononçait de si rudes paroles. Bouche bée, elle regarda l’homme qui se tenait derrière une haie de buis.

— Que dites-vous ?

— Avec un peu de chance, vous serez débarrassée de lui avant la fin de l’année, poursuivit l’inconnu.

Quelle horreur !

Bien sûr, elle ne désirait pas épouser le comte de Vannes ; pour autant, elle ne pouvait souhaiter sa mort. Elle cherchait une réponse cinglante lorsque l’intrus enjamba la haie pour s’approcher. De près, il semblait encore plus impressionnant.

Grand, bien bâti, c’était un guerrier dans la fleur de l’âge. Vêtu pour le mariage, il ne portait de son attirail militaire que son épée, dans le fourreau accroché à sa taille. Sa chevelure fauve flamboyait dans la lumière crue du soleil de Bretagne, tout comme éclatait le blanc immaculé de sa tunique. Il avait l’air d’un homme sur lequel le ciel étendait ses bienfaits avec une prodigalité sans limites.

Elysia recula instinctivement, inquiète de se trouver seule avec un inconnu, quelque intriguant qu’elle trouvât l’éclat profond de ses yeux bleus.

Sous l’impulsion d’une peur diffuse, elle retint sur ses lèvres le commentaire acerbe qu’elle lui destinait.

— Pardonnez-moi, messire, je ne crois pas que…

L’homme tira de Dieu sait où un petit couteau et la jeune femme sursauta. Où courir, et comment échapper à un colosse pareil ?

Il se pencha sur un buisson de roses et coupa une fleur superbe qu’il lui tendit d’un geste courtois.

— Je n’ai d’autre intention que de vous complimenter pour ce mariage, milady, lança-t-il avec un sourire moqueur qui disait exactement le contraire, en s’inclinant devant la future maîtresse des lieux. Il y a fort à parier cependant que, d’ici à Noël, votre époux fera de vous une veuve fortunée.

Effarée par cette audace, Elysia contempla la rose qu’elle tenait à la main.

— Vous raillez, messire. Quoi qu’elle fasse, une femme ne peut jamais se considérer comme telle : ses biens sont toujours entre les mains d’un homme, qu’elle soit veuve ou non.

L’inconnu fit un pas vers elle. La raison lui criait de s’enfuir, mais elle resta immobile, comme figée sur place par la fascination qu’il exerçait sur elle.

D’un doigt caressant, il effleura l’émeraude énorme qui ornait sa gorge, cadeau de son futur mari pour leurs fiançailles. Ses yeux luisaient d’une émotion qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer. Elle crut y voir de la mélancolie lorsqu’il contempla le pendentif somptueux, avant de lever son regard sur elle.

— Vous êtes en situation d’hériter de biens plus que centenaires, milady. Je ne vois point de raison de vous plaindre d’une telle union, et vous savez aussi que la naissance d’un héritier améliorerait encore votre sort.

Qu’est-ce qu’un rustaud comme lui pouvait bien comprendre aux rêves d’une jeune femme entreprenante ? Et à quoi bon en discuter ?

— Il suffit, marmonna-t-elle, trop irritée pour crier.

De toute façon, ses propos ne différaient en rien de ceux tenus deux mois plus tôt par le comte Arundel, son suzerain, quand il avait annoncé qu’elle devait épouser Saint-Siméon.

D’un geste rageur, elle jeta la rose à terre, se griffant le pouce au passage sur ses épines.

— Ainsi, vous croyez que j’ai intrigué pour obtenir ce mariage ?

Depuis la mort de son père, elle se jurait chaque jour de ne s’unir qu’à un homme capable de reconnaître la vraie valeur d’une femme, et non simplement le montant de sa dot. Ses parents s’aimaient passionnément, et, quoiqu’elle eût souffert horriblement de la mort de son père, elle se consolait un peu en pensant à leur bonheur d’antan.

— D’où vous vient cette audace, messire, et comment osez-vous me parler de la sorte ?

— Vous vous trompez, milady, répliqua l’inconnu. Sachez que les commérages vont bon train, et que les mauvaises langues s’interrogent. Si par malheur le comte venait à trépasser, ce qui ne saurait tarder, vous pourriez quitter ces lieux en emportant d’immenses richesses, après n’avoir passé que quelques mois — au mieux — aux côtés du seigneur de cette contrée bénie.

Elle pensa un instant briser là, s’enfuir, mais craignit d’offenser l’un des invités de son futur époux. Il fallait désormais penser en ces termes humiliants, et ne jamais oublier ce que dirait de ses actions ce vieillard qui ne voyait en elle que le fardeau dont il devait s’encombrer pour toucher la dot qu’elle apportait.

Qu’ils semblaient loin, ses rêves de jeune fille !

L’inconnu lui prit la main pour examiner la blessure de son pouce, d’où coulait un peu de sang rouge vif. Il l’essuya d’un doigt léger en s’approchant encore.

Elle n’avait pas souvenir que quiconque, jamais, l’eût touchée avec tant d’audace, ni se fût tenu si près qu’elle pût sentir la chaleur de son corps sur sa peau.

— Que la mariée reçoive de ma bouche les vœux de bonheur les plus sincères et les plus empressés, murmura-t-il en portant la main de la jeune femme à ses lèvres.

Elle frissonna à ce contact, mais la pudeur reprit bientôt le dessus dans son esprit troublé et elle lui arracha sa main.

— Je vous souhaite bonne chance, damoiselle, souffla-t-il en s’inclinant de nouveau devant elle.

Irritée par cette impertinence, elle ne put tenir sa langue un instant de plus. Qui était cet homme ? Et qui croyait-il être pour l’accabler de son mépris ?

— Soyez certain que le comte entendra parler de votre impudence, messire, menaça-t-elle en se félicitant que sa voix ne tremble pas autant que ses jambes.

Elle avait beau le trouver insolent et terriblement blessant dans ses paroles, elle ne pouvait s’empêcher de regretter que son futur époux ne lui ressemble pas un peu plus, ou même beaucoup, tant qu’à faire. Il ne devait avoir que dix-huit ans au plus.

— Puis-je lui dire qui, parmi ses invités, le tient en si piètre estime et le craint si peu qu’il se permet d’insulter sa promise et les liens sacrés qu’il s’apprête à nouer avec elle ?

L’homme eut un sourire charmant, comme s’il connaissait son pouvoir sur les femmes et savait en jouer.

— Dites-lui que son neveu, Conon Saint-Siméon, a eu le bon goût de souhaiter la bienvenue à sa promise anglaise. Je suis certain qu’il n’aura que louanges pour ma démarche…

— En êtes-vous si sûr, milord ? rétorqua Elysia, que la colère rendait à chaque instant plus hardie, au point qu’elle refusait d’envisager un instant que ce colosse pût devenir son neveu par alliance. Je doute que mon futur époux apprécie vos prédictions quant à son prochain trépas. Il vaudrait mieux pour vous que vous gardiez vos distances à l’avenir.

— Peut-être vaudrait-il mieux, repartit-il, que vous teniez votre langue là-dessus. Je puis vous assurer que mon oncle ne trouvera point votre babil aussi plaisant que moi.

Et, sur une ultime révérence, il disparut derrière un bosquet d’ifs.

Quel goujat !

En tout cas, ils s’accordaient au moins sur une chose : ce mariage n’avait pas leurs faveurs et ils s’y opposaient tous deux avec la même passion.

Ele ramassa la rose jetée à terre et en caressa les pétales soyeux ; pour lui avoir été offerte par un butor, cette fleur délicate ne méritait pas pour autant de finir dans la boue.

Son mariage avec Saint-Siméon risquait-il de faire perdre à Conon la position dont il jouissait dans sa famille ? Peut-être fallait-il voir là l’explication de sa grossièreté. Mais ne voyait-il pas qu’il pouvait, lui, poursuivre ses rêves comme il l’entendait, ne dépendant pour les atteindre de l’autorisation de personne ?

Car, quelque succès qu’elle rencontrât dans son commerce, elle savait depuis le premier jour que son suzerain lui volerait le fruit de son industrie, à un moment ou à un autre, en lui faisant épouser l’un de ses vassaux.

Et, à présent que ce mariage allait advenir, elle trouvait parfaitement détestable que Conon vienne le lui reprocher, quand lui-même ne pouvait être forcé à rien par quiconque.

Elle passa rêveusement la rose sur sa joue. Bah ! En vouloir à ce jeune homme ne changerait rien à son sort…

Qu’elle le veuille ou non, elle allait épouser un homme plus vieux que son père, eût-il vécu, et devenir comtesse de Vannes.

Son père… Que Dieu l’ait en Sa sainte garde !

Lui vivant, jamais ce mariage n’aurait eu lieu, pensa-t-elle avec un sourire amer. Et, sans la mort prématurée de son frère, elle aurait sans doute pu avoir voix au chapitre dans le choix de son promis. Las, trop heureuse de pouvoir s’absorber dans son travail, elle avait remis à plus tard une décision qu’elle regrettait affreusement aujourd’hui de n’avoir pas prise en temps et en heure. La vie semblait résolue à lui faire payer chèrement cette erreur de jeunesse.

Une chose pouvait encore arrêter le cours des événements. Une seule. Qu’elle allait essayer de ce pas.

Notre Père, qui êtes aux cieux, faites, par pitié, que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve. Et que je me réveille dans mon lit de Nevering avec une longue journée de labeur devant moi…

Mais l’arrivée des hôtes et les préparatifs de la cérémonie firent fondre comme neige au soleil ses espoirs en une intervention divine.

La blessure de son pouce la rappelait étrangement à ses devoirs futurs de comtesse de Vannes : le baiser du jeune Conon brûlait encore sa peau à cet endroit, tout autant sinon plus que la piqûre de l’épine…

* * *

A quoi pensait-il, par le ciel, d’aller embrasser cette donzelle de la sorte ?

Il pestait contre lui-même en regagnant les appartements de son oncle, à travers des couloirs où sifflaient des courants d’air glacés. Leur dédale compliqué ajoutait à la confusion de son esprit… Jacques Saint-Siméon avait englouti des sommes considérables pour faire construire ce labyrinthe. Cela semblait un luxe à l’époque, mais constituait également un progrès technique important en matière d’architecture.

En abordant la future comtesse, il avait seulement voulu se présenter à elle et évaluer sa personnalité, selon les recommandations de son oncle.

Il la trouvait superbe, en dépit de son attitude quelque peu roide et réservée. Sa longue chevelure sombre et bouclée et l’ovale splendide de son visage semblaient presque incongrus chez une femme d’apparence aussi sévère.

Pourtant, il émanait d’elle une sorte de courage qui la rendait terriblement désirable, d’autant plus que, dans son regard fier, il lisait une tristesse fort émouvante. Elle avait du cran, et le guerrier en lui aimait cela, comme il aimait aussi rêver de la protéger.

Et puis, quel Français digne de ce nom oublierait de baiser la main d’une inconnue ? Il connaissait assez les us de la cour pour savoir qu’un chevalier se devait de se montrer galant, même si, comme lui, il n’avait ni les biens ni les titres qui accompagnaient d’habitude cette honorable condition. Conon la devait à ses seuls exploits sur les champs de bataille. La force et la précision meurtrières de ses coups valaient toutes les terres de France, quand il fallait mettre l’ennemi en déroute.

Devant la porte de la chambre de son oncle, il hésita. Il n’aimait guère rencontrer celui-ci, mais lui faire face aujourd’hui lui semblait encore plus fâcheux qu’à l’ordinaire, surtout après ce qui venait de se passer dans le jardin…

Mieux valait abréger cette visite, pensa-t-il en chassant de son esprit ces pensées douces-amères.

Une voix forte lui ordonna d’entrer.

La pièce avait beau être richement meublée et tendue de tapisseries, l’air y empestait toujours comme dans la dernière des tavernes à soldats. Vautré sur son lit, Jacques l’attendait, une chope de bière posée sur son ventre généreux.

— Bienvenue, Conon, éructa-t-il.

Depuis la mort de sa femme, la vitalité de ses jeunes années semblait s’être enfuie sans rémission.

— Désires-tu te joindre à moi ? dit-il d’un geste large qui répandit de la bière à ses pieds sans qu’il s’en émeuve le moins du monde.

— Non, merci, mon oncle, répondit le neveu, que l’idée même de boire dans cette chambre fétide révulsait. Je suis venu vous informer que j’ai rencontré votre promise.

— N’est-elle point belle comme le jour ? fit le maître des lieux, un sourire carnassier aux lèvres. Et riche à foison avec ça ! Et as-tu remarqué ce corps de vierge ? Ah, j’ai bien fait, n’est-il pas vrai ?

Conon resta abasourdi de sentir une vague de jalousie l’envahir à ces mots. Imaginer la belle Elysia Rougemont subissant les assauts de cette barrique de bière ! Cela semblait tout bonnement dégoûtant, et pour tout dire intolérable.

— Elle est charmante, en effet.

— Elle a des hanches pleines, faites pour produire de beaux rejetons, affirma Saint-Siméon d’une voix pâteuse en se resservant une chope à pleins bords.

Conon retint de toutes ses forces l’envie de frapper du poing tout ce qui se trouvait à sa portée. Jacques était si impatient de se donner un héritier qu’il en oubliait sa promesse de pourvoir son neveu d’un petit château, en remerciement de ses bons et loyaux services.

La bière lui mangeait le cerveau petit à petit, et sa mémoire tout comme son sens de l’honneur s’effaçaient un peu plus chaque jour.

— Je suis sûr qu’elle vous donnera bientôt le fils que vous désirez tant, milord, quoique, à la vérité, elle m’ait semblé aussi chaleureuse qu’un hiver anglais. Sera-ce tout, mon oncle ? ajouta Conon en serrant les dents pour s’éviter d’inutiles commentaires.

— Non, répondit Jacques en se levant lourdement de sa couche profonde.

Le neveu se précipita au-devant de lui, ayant pris le pli de donner la main à un vieil homme, quel qu’il soit.

Le comte se dressa sur ses pieds, quoique son équilibre fût précaire, en s’agrippant aux épaules de Conon.

— J’ai un cadeau pour toi, mon garçon. Je crois que tu apprécieras.

— Merci, milord, souffla Conon, toujours ulcéré de se voir rappeler sa condition de neveu sans le sou — quand bien même ces mots faisaient naître un sourd espoir en lui.

Le présent de son oncle lui permettrait peut-être de voir venir sans trop de soucis le moment où il pourrait louer son bras au plus offrant.

Jacques Saint-Siméon s’esclaffa de nouveau, renversant derechef sa bière sur le pourpoint de Conon.

— Tu me remercieras, mon garçon, quand tu sauras que j’ai fait venir pour toi lady Marguerite ! rugit-il en riant de plus belle. Elle devrait être à ton goût, surtout qu’on te dit avide de femmes.

Conon encaissa la pique sans réagir. Si tout le monde savait qu’il connaissait d’innombrables aventures — pour la bonne raison qu’il ne pouvait se marier, faute de moyens —, il sentait dans les paroles de son oncle une critique, ou une moquerie, ce qui ne valait pas mieux.

Il prit congé la rage au cœur, en s’inclinant aussi peu que nécessaire. Ainsi, son seul cadeau, pour services rendus, serait cette jeune veuve lubrique qui le poursuivait depuis des mois ?

Sans prévenir, l’image de la future épouse de son oncle lui vint à l’esprit. Il aurait parié qu’elle n’était pas le genre de femme à s’autoriser une liaison…

Mais à quoi pouvait-il s’attendre de la part de son oncle ? Depuis toujours, celui-ci le considérait comme un agréable compagnon de beuverie, rien d’autre. Comment aurait-il pu soudain éprouver du respect pour ce neveu sans terres et sans titres ?

Conon regagna sa chambre en fendant le flot des invités et des serviteurs qui s’affairaient aux préparatifs, l’air sombre et la mâchoire crispée. Arrivé dans la petite pièce, il frotta son surcot tout crotté. Quoiqu’il fût bien né, il savait s’acquitter des tâches les plus viles, et pouvait s’estimer heureux d’avoir toujours su se débrouiller pour survivre, y compris sur le champ de bataille. Sa réputation dépassait maintenant les frontières de sa Bretagne natale et, avec un peu de chance, il pourrait trouver à se louer comme mercenaire pour un maître qui saurait récompenser justement sa bravoure.

Quand il en eut terminé avec son vêtement, il s’approcha de la meurtrière qui donnait sur le jardin.

Son regard tomba aussitôt sur Elysia, occupée à confectionner un bouquet. Au milieu des parterres de fleurs aux couleurs vives, sa robe blanche en faisait une apparition divine. Le cœur de Conon bondit dans sa poitrine lorsqu’il aperçut, dans l’éclatante brassée que la jeune femme tenait contre elle, une rose moins fraîche que les autres. Se pouvait-il qu’il s’agît de celle qu’il avait cueillie pour elle quelques minutes plus tôt ?

Il ne put se garder de s’étonner d’un tel prodige. Après tout, elle pouvait très bien avoir elle aussi le cœur gonflé de rêves inassouvis, et n’être pas la coureuse de fortune qu’il croyait…

Raison de plus, songea-t-il, pour quitter la région au plus vite. Que Jacques profite bien de son héritière aux hanches pleines pendant que lui, Conon, quitterait le royaume pour d’autres cieux.

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