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Pourtant, pensai-je tandis que j’attendais, pas même Plantain, roi de Ranter Bay, n’était parvenu à résister. Il avait repoussé l’expédition punitive de Matthews et l’avait humilié, pour la plus grande joie de tous les gentilshommes de fortune, conviant les officiers à un dîner somptueux pour ensuite reprendre la mer et recommencer à jouer au chat et à la souris avec la mort… ou la vie. Pourquoi, m’étais-je demandé à maintes reprises, n’était-il pas resté ici avec son or et ses femmes ? Pourquoi s’était-il lancé dans de nouvelles aventures ?

L’homme apparut dans le goulet du sentier, sans se douter de la proie facile qu’il représentait. Comme tant d’autres fois auparavant, j’avais en mon pouvoir et entre les mains la vie d’un homme, sans que cela fasse, à la longue, la moindre différence.

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Jack acquiesça une fois encore, comme si les mots importaient peu. J’avais fait mon possible pour lui apprendre l’anglais, de façon à pouvoir bavarder avec lui de presque tout ce qui se trouve entre la terre et le ciel. Après la mort de Dolores et avant de me mettre à écrire, je ressentais le vif besoin d’avoir quelqu’un avec qui échanger. Je ne sais pas ce que je serais devenu si j’avais été privé de la parole. Si Deval m’avait coupé la langue plutôt que la jambe, il aurait eu la vengeance qu’il cherchait. Je me serais sans aucun doute pendu, pour la plus grande satisfaction de toutes les parties, moi compris. Jack se fichait des mots, il s’en méfiait. En cela il n’avait pas tort et préférait s’en passer, surtout en ma compagnie. Il apprenait, mais à contrecœur, pour me plaire.

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Ecrire, dans le meilleur des cas, peut être une façon de se libérer de ses dettes devant la mort, de rendre la monnaie de sa pièce, de jeter à la mer une fois pour toutes les cadavres entassés dans la cale et de les supprimer des listes, de s’en débarrasser avec la tête de mort que les capitaines ont pour habitude de dessiner dans le journal de bord pour chaque marin décédé. Je me demande si l’acharnement à écrire d’un homme tel que moi n’est pas la seule chose qui le tienne encore en vie. Continuerai-je donc, pour ainsi dire, de vivre sur mon cadavre vivant jusqu’à ma mort ?

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Mais je fus interrompu par une visite inattendue dont je me serais bien passé. Elle m’ôta tout désir d’écrire et de me souvenir. Je fis de mon mieux pour la rendre aussi brève que possible et ensuite oublier qu’elle avait eu lieu, sans apporter ni joie ni profit pour quiconque. Oui, je souhaitais oublier que j’avais encore devant moi un semblant d’existence que je devrais vivre jusqu’au bout, que j’en aie l’envie ou non.

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England, Deval et moi-même ne passâmes jamais maîtres dans l’art et le métier de contrebandier, quelles qu’aient été nos intentions et nos ambitions. Vivre de la contrebande d’alcool, surtout pour des naïfs tels que nous, était devenu presque impossible depuis le traité d’Utrecht. La paix eut donc aussi son lot de conséquences sur une existence telle que la mienne. Une découverte désagréable, sachez-le, pour un homme convaincu de pouvoir éviter tous les écueils qui surgiraient sur sa route.

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