Extraits

Quand le com carillonna, le capitaine rêvait de son ex-femme. D’une cabine qu’ils avaient occupée dans les docks de Ganymède – un minuscule réduit que le service logistique de la Spatiale qualifiait pompeusement d’« hébergement partagé ».

Katrina. C’était le nom de sa femme, à l’époque.

Le sien était toujours Erich Doltrane.

La chevelure blond diaphane de Katrina – morte depuis près de dix ans – fut brusquement remplacée par le gris austère des cloisons. C’en était presque déchirant. Doltrane se réveilla d’un rêve chaleureux et lumineux pour retrouver la sombre réalité d’un croiseur de bataille de l’Alliance. Et pas n’importe lequel : le sien – le Hanovre, un vaisseau de la Confédération européenne. C’était d’autant plus pesant, en un sens, car le sort de chacun des deux mille membres de son équipage relevait de sa responsabilité en tant que commandant.

Il attendait cet appel, mais il n’en était pas moins terrifié.

« Je suis debout », marmonna-t-il, sachant que le système de communication interne du bord détecterait sa réponse verbale. « Je suis réveillé.

— Bonjour, commandant, fit l’intelligence artificielle du VCE Hanovre de sa voix onctueuse, au bord de la suffisance.

— Bon ? Ça reste à voir », lâcha-t-il. L’IA incarnait l’esprit mécanique du vaisseau, et Doltrane refusait de se fier à une machine dont les capacités intellectuelles dépassaient à ce point les siennes.

Il s’assit sur le bord de sa couchette en s’efforçant de dissiper les brumes du sommeil. Fatigué, il se frotta les yeux d’une main calleuse. Il évita délibérément de regarder les infoplaques empilées sur son bureau, toutes couvertes de formes géométriques bizarres et de symboles extraterrestres à vous nouer l’estomac. Une sirène d’alarme mugissait en fond sonore et résonnait d’un pont à l’autre.

« Le centre d’opérations a lancé une alerte urgente, déclara l’IA. Priorité alpha. Votre présence immédiate est requise.

— Bien sûr. »

Doltrane songea combien la voix de l’IA ressemblait à celle de son ex-femme. Froide, calme, inexplicablement posée. Et puis morte, aussi.

« J’ai bien dit “immédiate”, insista la machine d’un ton pressant.

— Quelle emmerdeuse, pesta Doltrane en enfilant ses bottes avant de fermer la veste de son uniforme. J’ai déjà dit que j’étais réveillé.

— Je ne comprends pas votre réponse, commandant.

— M’étonne pas. On est là, au milieu de nulle part, et tu t’en fous.

— Nous sommes pourtant bien quelque part, commandant. Nous avons atteint les coordonnées. »

Les plafonniers à LED s’allumèrent tandis que Doltrane titubait jusqu’au miroir accroché au-dessus d’un minuscule lavabo dans un angle de la chambre. Avoir son propre coin toilette était l’un des rares avantages dont pouvait se targuer le commandant d’un croiseur de bataille de la Confédération européenne.

« Herr Kapitän, fit une autre voix – clairement humaine, cette fois –, interrompant la sirène. Si vous avez fini votre nuit, ça ne peut pas attendre. » C’était la lieutenante Javovitch, et elle avait l’air dans tous ses états.

« J’arrive, lieutenante. »

Doltrane s’aspergea le visage de l’eau tiède recyclée qui stagnait dans le lavabo. Certain que la liaison com était coupée, il ajouta : « Voilà ce qui arrive quand on poursuit des fantômes, Katrina… »

Il aurait juré entendre la voix de son ex-femme par la bouche d’aération au-dessus de lui, et son gloussement aigu qui l’avait tant amusé à une époque.