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Tout le monde dispose d'une alcôve intérieure, un recoin où se cachent ses démons. Ce n'est qu'à condition de l'ouvrir et de les affronter que l'homme devient libre.
Afficher en entier— Non, répéta-t-il le matin suivant. Je préfère ne pas vous vendre ce livre.
Il reprit doucement La Nuit des mains de sa cliente. Parmi les innombrables romans que l’on trouvait sur sa péniche-librairie appelée La pharmacie littéraire, elle avait réussi à jeter son dévolu sur le fameux best-seller de Maximilian, alias Max Jordan. Le type aux protège-oreilles du troisième étage du 27, rue Montagnard.
Afficher en entierIl les écoutait depuis vingt ans. Il connaissait si bien ses voisins qu’il s’étonnait parfois de réaliser le peu que ceux-ci savaient de lui (mais il s’en félicitait secrètement). Ils ne se doutaient pas que Perdu ne possédait quasiment pas de meubles, hormis son lit, sa chaise et sa penderie sommaire. Pas de bibelots, pas de musique, pas de tableaux ni d’albums photo, pas de coin canapé ni de vaisselle pour plus d’une personne. Ils ne savaient pas, non plus, que leur voisin avait délibérément choisi cette austérité. Les deux pièces qu’il habitait encore étaient si vides que cela résonnait quand il toussait. Le seul élément qui meublait son salon était le puzzle immense qui gisait au sol. Dans sa chambre à coucher, un matelas, la planche à repasser, une lampe de lecture et une tringle à rideaux sur roulettes comportant trois jeux de tenues identiques : un pantalon gris, une chemise blanche, un pull en V marron. La cuisine comptait une plaque de cuisson, une boîte métallique contenant du café et une étagère avec quelques vivres. Rangés par ordre alphabétique. Il était peut-être préférable, à bien y réfléchir, que personne ne voie cela.
Afficher en entierSur la pointe des pieds, il effectua quelques allers-retours entre son appartement et celui de sa nouvelle voisine. Il savait parfaitement à quel point ce fier et vieil immeuble pouvait se révéler traître, avec son plancher qui grinçait de partout, ses murs aussi fins que du carton et ses conduits d’aération cachés qui faisaient office de caisses de résonance.
Afficher en entier— C’était la femme de ce type, vous savez bien de qui je parle : ce Le P., là…
Non, il n’en savait rien. Perdu ne suivait pas les rumeurs parisiennes. Un jeudi soir, Catherine Le P. – vous savez bien de qui je parle – avait voulu rentrer chez elle après une longue journée de travail de presse à l’agence de son mari, un artiste de renom. Curieusement, elle n’avait pu insérer sa clé dans la serrure. Une valise trônait sur le paillasson, et sur celle-ci, les papiers du divorce. Son mari avait déménagé sans laisser d’adresse, avec leurs vieux meubles et sa nouvelle femme.
Afficher en entierLes herbes aromatiques du jardinet de M. Goldenberg, du thym, du romarin. À ces senteurs se mêlait celle des huiles de massage de Che, le podologue aveugle qui « chuchotait à la plante des pieds » de ses clients. Un parfum de crêpes, aussi, qui se mélangeait au fumet épicé de viande grillée du barbecue africain de Kofi. Et, dominant toutes les autres, celle, plus douce, de Paris au mois de juin, Paris qui, à cette époque, fleure bon le tilleul en fleurs et l’attente heureuse.
Afficher en entierIl avait pris l’habitude de remplacer son prénom par ***. Un silence dans le murmure continu de ses pensées, un espace blanc dans les images de son passé, une zone d’ombre dans l’éventail de ses sentiments. Il avait appris à penser l’absence de mille manières différentes.
Il regarda autour de lui. Comme cette chambre était silencieuse ! Si pâle et terne, malgré le papier peint lavande. Les années qui s’étaient écoulées derrière cette porte fermée avaient lavé la couleur des murs.
La lumière venant du couloir ne rencontrait que peu de résistance, aucune ombre ne se projetait sur les murs hormis celle d’une chaise de bistrot. De la table de cuisine. D’un vase garni d’un bouquet de lavande cueillie à la dérobée deux décennies plus tôt sur le plateau de Valensole. L’ombre d’un quinquagénaire qui s’assied lentement sur la chaise, les bras croisés comme pour se réchauffer.
Afficher en entierIl posa une main sur sa bouche. Ce n’était pas une mauvaise idée. Débarrasser tous ces livres de leur poussière, les remettre sagement à leur place et oublier cette porte. Acheter une table et continuer exactement comme il l’avait fait durant ces deux dernières décennies. Dans vingt ans, il aurait soixante-dix ans. Une fois tout ce chemin parcouru, il viendrait bien à bout de ce qu’il lui resterait à vivre ! S’il avait de la chance, il ne mourrait pas vieux.
Afficher en entierLe libraire se demanda ce qui pouvait être plus utile qu’un livre, mais promit tout de même de faire quelque chose pour la nouvelle locataire. Après tout, il avait une table dont il ne se servait pas.
Afficher en entierM. Perdu enfila sa cravate entre les deux premiers boutons de la chemise blanche qu’il venait de repasser et commença à en retrousser les manches en les repliant soigneusement vers l’extérieur, pli après pli, jusqu’au coude. Son regard était rivé sur l’étagère chargée de livres, dans le couloir. Derrière celle-ci se cachait une pièce qu’il n’avait pas ouverte depuis vingt et un ans.
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