Extraits

Depuis ma toute petite enfance, je n’avais connu que de fausses promesses. Je ne croyais plus en rien ni en personne. Je n’avais plus confiance en qui que ce soit et j’avais l’impression qu’une menace constante planait au-dessus de ma tête. J’en vins à ne plus être capable de supporter qu’une personne marche derrière moi. Je m’imaginais qu’on regardait mes fesses. J’accélérais le pas, je longeais les murs le plus possible et je marchais légèrement de côté pour que personne ne puisse m’observer de dos. J’avais peur d’être violée à tout moment, surtout par les adultes. Évidemment, me faire un amoureux était hors de question et de l’ordre de l’impossible. Je me sentais beaucoup trop laide et surtout beaucoup trop sale. La honte me poursuivait à longueur de journée et à longueur de nuit. Je me haïssais et, plus je me haïssais, plus, paradoxalement, je priais Dieu de me donner le courage de continuer à vivre.

Un jour, j’ai vraiment cru que j’allais mourir. Maman était partie tout près cueillir des framboises avec ma sœur et mon frère. Mon père, je ne me souviens plus trop par quel moyen, avait réussi à m’enfermer dans le chalet avec lui. J’entendais ma mère parler à travers les minces parois qui formaient les murs. Il m’a obligée à m’étendre sur son lit: c’était dans cette pièce qu’on entendait le mieux ce qui se passait dehors. Il pourrait ainsi réagir plus vite si jamais quelqu’un décidait de revenir.

C’était contre moi-même et principalement contre Dieu que je me révoltais, ce Dieu qu’on disait d’amour et que je considérais comme responsable de tous mes malheurs.

J’avais cinq ou six ans. Un matin, maman me réveilla très tôt. Elle avait résolu de m’amener à Rouyn rencontrer un pédiatre, je ne sais trop pour quelle raison précise. Trouvait-elle que j’avais mauvaise mine? La chose est bien possible, étant donné le manque de sommeil dont je souffrais continuellement et l’angoisse qui me poursuivait jour et nuit.

Le médecin nous a fait entrer dans son bureau privé. Il y avait juste derrière lui une autre pièce meublée d’un drôle de petit lit avec comme des bras métalliques placés de chaque côté. Après un bref échange, le médecin me demanda de passer dans cette pièce. Il me dit de retirer mes sous-vêtements et de m’étendre sur le petit lit. Je fus prise de panique et les battements de mon cœur s’accélérèrent. Allait-il me faire subir les mêmes traitements que mon père? J’eus un mouvement de recul, mais je sentis, au regard de ma mère, que je n’avais pas le choix. Et puis, après tout, la présence de ma mère dans le bureau était rassurante. Le pédiatre ne pouvait rien me faire tant qu’elle demeurait dans la pièce juste à côté et que seul un rideau nous séparait.

Je m’allongeai et le médecin me fit mettre les pieds sur les espèces de bras. J’étais très mal à l’aise, ainsi, les jambes écartées et le sexe bien en évidence. Mais l’examen fut vite terminé, à mon grand soulagement. Le médecin eut un air triste et me pria de me rhabiller et d’aller dans la salle d’attente pendant qu’il parlerait avec maman.

Je m’assis tout près de la porte du bureau, espérant attraper quelques bribes de la conversation. Mais le lieu était bien insonorisé. Une fois de plus, un sentiment de honte m’envahit. Mon cœur se mit à battre encore plus vite. Il savait ce qui se passait et il allait le dire à maman. J’aurais dû me réjouir, mais mes sentiments demeuraient confus. J’étais tiraillée entre la joie d’être enfin libérée et l’appréhension des éventuelles conséquences.

Je ne sus jamais rien de l’échange, mais j’étais certaine que le médecin avait vu et qu’il savait. Maman est sortie en trombe du bureau. Selon toute évidence, elle était très en colère. Sans un regard vers moi, elle a dit: «Viens-t’en; on s’en va!» Je n’ai plus jamais revu ce médecin.

Prologue

"Au nom de la loi, je vous arrête..."

Il est midi. Les cloches de l'église Saint-Joseph retentissent sur toute la ville. Il sera arrêté cet après-midi.

Je tourne le regard vers la fenêtre; le soleil m'éblouit, mais je vois l'horizon les nuages qui se rassemblent. Avant la fin de la journée, il y aura de l'orage.

Le dernier coup résonne. Des larmes glissent le long de mes joues. L'heure de sa condamnation est arrivée; la fin de la mienne commence. Je pourrai enfin respirer cet air de liberté qui m'a tant manqué. Bientôt, le cauchemar sera terminé.

Je quitterai la longue et douloureuse hibernation ou je survis depuis mon enfance pour renaître enfin. Interminable moment d'attente: 42 ans de prison qui s'achèvent enfin. La vie reprendra son cours, mais le soleil ne brillera plus jamais de la même façon pour moi. Que vais-je faire? Que deviendrai-je? Je n'en sais rien. Mais bientôt on me remettra les clés de ma cellule et c'est à moi, moi seule qu'il appartiendra de déterminer si ma résurrection est possible.

Dans la cour, je vois mon mari et mes enfants qui me tendent la main. Je vois mes amis. Je vois la vie.

"Sèche tes larmes et va. La porte s'ouvre devant toi. Va et répands la bonne nouvelle. Tu es ressuscitée d'entre les morts. Va et aide tes semblables à faire de même."

Il y a longtemp que je n'ai vu le soleil, les fleurs, les oiseaux et ceux que j'aime. Noyée dans mon mal d'être, j'étais sourde, insensible et aveugle à tout ce qui m'entourait. Et voilà que je vais reprendre contact avec la réalité, que je vais découvrir le monde. Je suis émerveillée comme une enfant.

J'entends des pas dans le corridor. On vient me chercher. L'heure a sonné. Une dernière fois, je dois raconter mon histoire avant que la sentence ne soit prononcée.

Une dernière fois ?

Non! Il n'y aura plus jamais de dernière fois.

«Je sortais des soins intensifs, après qu’il m’ait agressé dans une voiture. Ce fut la dernière fois. J’ai souffert et je souffre toujours du syndrome post-traumatique. Je garde des images en tête, des odeurs, des couleurs, des sons et même la forme des endroits où j’ai été agressée», raconte celle qui a encore une boule d’émotion dans la gorge en se souvenant.