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Mais pleurer sur le lait répandu était à peu près aussi utile que souhaiter avoir pêché un barracuda alors qu’on venait de remonter une sardine. Au marché, on vendait ce qu’on avait – bien content que ça ait mordu.

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Comme toujours, elle faisait de son mieux pour ignorer Joline. Ces derniers temps, cependant, toutes les deux semblaient prêtes à s’arracher le cœur – en toute cordialité et toute sérénité, bien entendu. Entre elles, les Aes Sedai ne se mangeaient pas le nez. Un jour, Mat avait eu droit à un sermon pour avoir qualifié de « prise de bec » ce qu’elles nommaient un « débat ». Doté de plusieurs sœurs, le jeune flambeur savait pourtant très bien ce qu’était une prise de bec.

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Le sens de l’orage

Renald Fanwar était assis sous son porche, occupant le robuste siège en chêne que lui avait fait son petit-fils deux ans auparavant. Son regard était tourné vers le nord.

Vers les nuages noirs et argent.

Il n’en avait jamais vu de semblables. Ils recouvraient tout l’horizon nord, et s'élançaient haut dans le ciel. Ils n’étaient pas gris. Ils étaient noirs et argents. Une masse sombre, grondante, vertigineuse enclume orageuse aussi sombre qu'une cave de marchand à minuit. Avec, en son sein, des éclairs projetant des lueurs argentées dans un profond silence.

L'air était épais. Avec des relents de poussière et de saleté. De feuilles séchées et de pluie qui ne voulait pas tomber. Le printemps était là. Et pourtant rien ne poussait. Aucun germe n’osait percer le sol.

Il se leva lentement, dans un grincement de bois, laissant la chaise se balancer doucement derrière lui, puis s'avança jusqu'à l'extrémité du porche. Il tira sur sa pipe, bien qu'elle soit éteinte. Il ne se souciait pas de la rallumer. Ces nuages le pétrifiaient. Ils étaient si sombres. Comme la fumée d'un feu de broussailles, bien que cela ne puisse pas s'élever aussi haut. Et que dire de ces nuages argentés ? Globes saillants dans la masse noire, comme autant d'endroits où de l'acier poli brillerait au travers d'une couche de suie.

Il se gratta le menton, baissant les yeux sur son morceau de terre. Carré d’herbe et d’arbustes qu’entourait une basse clôture blanchie. Les arbustes étaient morts maintenant, tous. N'avaient pas tenu l'hiver. Il lui faudrait les arracher prochainement. Et l'herbe... et bien, ce n’était rien d’autre que du chaume. Il n'y avait même pas trace d'une mauvaise herbe.

Un coup de tonnerre le secoua. Pur, vif, comme le fracas de deux énormes pièces métalliques s'entrechoquant. Les fenêtres de la maison vibrèrent, le plancher du porche trembla, il crut sentir la secousse jusque dans ses os.

Il recula vivement. Le coup n'était pas tombé bien loin—peut-être sur sa propriété. Il fut tenté d'aller inspecter les dégâts. Un feu d'orage pouvait tuer un homme, le brûler sur sa propre terre. Dans les Terres Frontalières—les Marches, disait-on (*selon l’ancienne traduction)—tant de choses pouvaient malencontreusement s’enflammer—vieilles herbes, graines sèches, bois mort.

Mais les nuages étaient toujours distants. La foudre n’avait pas pu tomber sur sa propriété. La masse noire et argent roulait et bouillonnait, se consumant et se nourrissant.

Il ferma les yeux, se calma, et prit une longue inspiration. Avait-il imaginé le tonnerre ? Dérapait-il, comme s’était toujours moqué Gaffin ? Il ouvrit les yeux.

Et les nuages étaient là, surplombant sa maison.

Comme s’ils s’étaient brusquement avancés pour frapper alors qu’il détournait le regard. Ils dominaient le ciel maintenant, s’étendant de loin en loin dans toutes les directions, massifs et écrasants. Il pouvait presque sentir leurs poids augmenter la pression de l’air tout autour de lui. Il aspira un air lourdement chargé de cette humidité soudaine, et son front fut piqué de sueur.

Les nuages s’agitèrent, sombres nuées noires et argentées secouées d’explosions blanches. Ils descendirent soudain en bouillonnant, telle une tornade dirigeant son vortex sur lui. Il laissa échapper un cri, levant la main, comme un homme l’aurait fait pour se protéger devant une puissante lumière. Cette noirceur. Sans fin et suffocante. Elle allait le prendre. Il le savait.

Et les nuages n’étaient plus là.

Sa pipe heurta le plancher du porche dans un cliquetis léger, répandant le tabac sur les marches de l’escalier. Il l’avait laissée glisser à son insu. Renald hésita, levant les yeux vers un ciel dégagé, réalisant qu’il ne s’inclinait devant rien.

Les nuages se trouvaient de nouveau à l’horizon, à près de deux-cents kilomètres. Il tonnait doucement.

Il ramassa sa pipe d’une main tremblante et tachetée par l’âge, halée par ces années passées au soleil. Tu te fais des idées, Renald, se dit-il. Tu dérapes, aussi sûr qu’un œuf est un œuf.

Il était sur les nerfs à cause des récoltes. Bien qu’il restât optimiste lorsqu’il s’adressait aux garçons, tout cela n’avait rien de naturel. Quelque chose aurait dû pousser maintenant. Il avait cultivé cette terre pendant quarante ans ! Barley n'avait pas mis tout ce temps pour faire pousser quelque chose. Qu’il brûle, mais ce n’était pas le cas. Que se passait-il dans le monde ces jours-ci ? Les plantes refusaient de pousser, et les nuages ne restaient pas à leur place.

Il se força à se rasseoir sur la chaise, les jambes tremblantes. Je… deviens vieux, pensa-t-il.

Il avait travaillé à la ferme toute sa vie. Cultiver la terre dans les Terres Frontalières n’était pas chose facile, mais si on travaillait dur, on pouvait obtenir de belles récoltes et s’assurer un avenir brillant. « Un homme a autant de chance qu’il a de semis dans ses champs » lui répétait son père.

Et bien, Renald comptait parmi les meilleurs fermiers de la région. Il avait prospéré au point de racheter deux fermes à proximité de la sienne, et à chaque printemps il n’était pas rare de le voir préparer une trentaine de chariots pour le commerce. Il avait maintenant six bons hommes à son service, labourant la terre, dressant des clôtures. Non qu’il n’avait plus à marcher dans la boue chaque jour pour montrer de quoi il en retournait. Il ne fallait pas laisser un petit succès vous ruiner.

Certes, il avait travaillé la terre, l’avait vécue, comme disait son père. Il avait autant que possible saisi les rouages du temps. Il n’y avait rien de naturel dans ces nuages. Ils grondaient doucement, comme un animal tapi dans l’obscurité nocturne des bois environnants.

Il sursauta au retentissement d’un nouveau coup de tonnerre qui semblait trop proche. Deux-cents, avait-il dit ? En y regardant mieux, ces nuages étaient plutôt à une cinquantaine de kilomètres.

« Ne sois pas comme ça », grommela-t-il. Entendre sa propre voix lui fit du bien. Elle était réelle. Elle lui changea du grondement lointain et des volets grinçants au vent. N’aurait-il pas dû entendre Auaine l’appeler de l’intérieur pour le souper ?

« Tu es fatigué. C’est ça. » Il fouilla dans la poche de sa veste et en sortit sa blague à tabac.

Un grondement plus faible vint de sa droite. D’abord il prit cela pour l’orage. Mais c'était un grincement trop régulier. Comme des roues qui tournent.

Effectivement, à l’est, tiré par des bœufs, un grand chariot passait au sommet de la colline de Mallard, comme il l’avait lui-même nommée. Toute bonne colline a besoin d’un nom. La route s’appelait bien la Route de Mallard. Alors pourquoi pas la colline ?

Il se pencha en avant sur son siège, ignorant ostensiblement les nuages alors qu’il plissait les yeux pour tenter de distinguer le visage du conducteur. Thulin ? Le forgeron ? Que faisait-il, là-haut, sur un chariot chargé ? Il était censé travailler sur sa nouvelle charrue !

Il aurait pu passer pour maigre auprès de ses pairs, n’empêche qu’il était deux fois plus musclé que la plupart des ouvriers agricoles. Il avait les cheveux noirs et la peau bronzée d’un Shienaran, respectait à peu près leur façon de se raser, mais ne portait pas de chignon. Sa famille avait peut-être des liens avec les guerriers Frontaliers, mais il n’était qu’un homme de la campagne, comme tous les autres. Sa forge se trouvait à Oak Water, quelque huit kilomètres à l’est. Ensemble ils avaient joué au jeu des pierres durant les soirées d’hiver.

Thulin avait de l’expérience—Il n’avait pas autant vécu que Renald, mais on l’avait entendu parler retraite au cours des derniers hivers. La forge n’était pas un lieu pour un vieil homme. Bien entendu, le travail à la ferme non plus. Quel travail était fait pour un vieil homme ?

Le chariot de Thulin s’avançait le long de la route de terre tassée, s’approchant de la clôture de Renald. Ça c’est bizarre, pensa-t-il. Cinq chèvres et deux vaches suivaient le chariot. Des caisses de poulets aux plumes noires étaient attachées sur les côtés, et sur le dessus s’empilaient sacs et tonneaux. La plus jeune fille de Thulin, Mirala, était assise à ses côtés, ainsi que son épouse aux cheveux d’or, originaire du sud. Même après vingt-cinq ans de mariage, Renald la considérait toujours comme « cette fille du sud ».

Toute la famille était dans le chariot, emportant leur meilleur bétail. Manifestement pour un long voyage. Mais vers où ? En visite dans la famille ? Lui et Thulin n’avait pas joué au jeu des pierres depuis… oh, au moins trois semaines. Pas beaucoup de temps pour les visites, avec l’arrivée du printemps et le besoin pressant de semer. Quelqu’un devrait réparer les charrues et aiguiser les faux. Qui le ferait en l’absence de Thulin ?

Renald tassa une pincée de tabac dans sa pipe pendant que Thulin longeait les terres de Renald. Le noueux forgeron aux cheveux gris passa les rênes à sa fille, puis descendit du chariot, soulevant une gerbe de poussière en touchant le sol. Au loin derrière lui, l’orage continuait de gronder.

Thulin poussa la porte de la clôture, puis enjamba les terres jusqu’au porche. Il avait l’air distrait. Renald ouvrit la bouche pour le saluer, mais Thulin le devança.

« J’ai enterré ma meilleure enclume sur l'ancien carré de fraises de Gallanha, Renald, » dit le grand forgeron. « Tu te souviens de où ça se trouve, n’est-ce pas ? J’y ai aussi mis mes meilleurs outils. Lubrifiés comme il faut et dans mon meilleur coffre, bien au sec. Cela devrait leur éviter de rouiller. Du moins pour quelques temps. »

Renald referma la bouche, sa pipe à moitié remplie à la main. Si Thulin avait enterré son enclume… et bien, il n’avait pas prévu de revenir de si tôt. « Thulin, qu’est-ce… »

« Si je ne reviens pas, » dit Thulin, regardant au nord, « pourras-tu déterrer mes affaires et vérifier que tout est en bon état ? Revends-les à quelqu’un de soigneux, Renald. Je ne voudrais pas que n’importe qui batte le fer sur mon enclume. J’ai passé vingt ans à rassembler ces outils, tu sais. »

« Mais Thulin ! » bafouilla Renald. « Où vas-tu ? »

Thulin se retourna, s’appuyant d’une main sur la rampe du porche, ses yeux marron emprunt de gravité. « Un orage se prépare, » dit-il. « Alors j’imagine que je dois me diriger vers le nord. »

« Un orage ? » demanda Renald. « Celui-là, à l’horizon ? Thulin, ça s’annonce mal—que mes os brûlent, très mal—mais on n’a pas besoin de s’enfuir. On en a déjà connu de bien méchants. »

« Pas comme celui-là, mon vieil ami, » rétorqua Thulin. « Pas du tout le genre d’orage qu’on puisse ignorer. »

« Thulin ? » Demanda Renald. « De quoi parles-tu ? »

Avant qu’il ne puisse répondre, Gallanha appela depuis le chariot. « Tu lui as dit pour les pots ? »

« Ah, » Dit Thulin. « Gallanha a frotté sa collection de pots au fond en cuivre que ton épouse a toujours aimés. Ils sont sur la table de la cuisine, pour Auaine, si elle les veut. » Sur ces mots, Thulin salua d’un signe de tête, puis repartit vers le chariot.

Renald s’affaissa sur son siège. Thulin ne mâchait jamais ses mots ; il disait ce qu’il avait à dire, puis passait à autre chose. C’est ce que Renald appréciait chez lui. Mais le forgeron pouvait aussi engager la conversation comme un rocher déboulant sur un troupeau de mouton, laissant tout le monde dans la confusion.

Renald se leva brusquement, laissant sa pipe sur le siège et suivit Thulin vers le chariot. Par le feu, pensa Renald alors qu’il jetait de nouveau un coup d'œil à l’herbe séchée et aux arbustes morts. Il avait travaillé dur cette terre.

Le forgeron vérifiait les attaches des caisses de poulet. Renald était à quelques pas derrière lui, presque à portée de main, lorsque Gallanha attira son attention.

« Ici, Renald, » l’appela-t-elle de sa place. « Prends ça. » Elle tendit un panier rempli d’œufs, une mèche dorée sortant de ses cheveux ramenés en chignon. Renald allongea le bras pour le saisir. « Donne-les à Auaine. Je sais qu’à cause de ces renards vous manquez de poules depuis l’automne dernier. »

Renald prit le panier d’œufs. Il y en avait des blancs et des marron. « Oui, mais où allez-vous, Gallanha ? »

« Au nord, mon ami, » dit Thulin. Il passa devant, posant une main sur l’épaule de Renald. « Une armée va se rassembler, je suppose. Ils auront besoin de forgerons. »

« Je t’en prie, » dit Renald, faisant des gestes avec le panier. « Prends au moins un moment. Auaine vient d’enfourner des pains épais au miel, ceux que tu aimes. On peut en parler en faisant un jeu de pierres. »

Thulin hésita.

« Nous devrions y aller, » dit Gallanha doucement. « L’orage approche. »

Thulin hocha la tête, puis remonta sur le chariot. « Tu pourrais te décider à venir aussi, Renald. Dans ce cas, prends tout ce que tu peux. » Il fit une pause. « Tu as suffisamment de talent pour travailler un peu le métal avec les outils dont tu disposes ici, alors prends tes meilleures faux et fais-en des faux de guerre. Deux de tes meilleures faux ; ne lésine pas et ne commence pas à choisir les secondes meilleures ou les troisièmes meilleures. Prends ce que tu as de mieux, parce que c’est l’arme que tu vas utiliser. »

Renald fronça les sourcils. « Comment sais-tu qu’une armée se prépare ? Thulin, que je brûle, je ne suis pas un soldat ! »

Thulin ignora sa réaction et continua. « Avec une faux de guerre, tu peux éjecter quelqu’un de sa selle et le poignarder. Et, maintenant que j’y pense, tu pourrais prendre ta troisième meilleure faux et en faire une paire d’épées. »

« Qu’est-ce-que je sais sur la fabrication des épées ? Et sur leur maniement, d’ailleurs ?

« Tu peux apprendre, » dit Thulin, se tournant vers le nord. « On aura besoin de tout le monde, Renald. Vraiment tout le monde. Ils viennent pour nous. » Il refit face à Renald. « Ce n’est pas si compliqué de faire une épée. Tu extirpes la lame d’une faux, et tu rajoutes une garde en bois, de sorte à ce qu’une lame ennemie ne puisse glisser sur ton fer et remonter jusque ta main. Tu possèdes globalement déjà tout ce qu'il faut. »

Renald cligna des yeux. Il ne posa plus de questions, mais elles déferlaient en lui. Comme un troupeau essayant de sortir par une seule porte.

« Apporte tout ton stock, Renald, » dit Thulin. « Ça te nourrira—ou nourrira tes hommes—et tu seras content d'avoir du lait. Et dans le cas contraire, tu trouveras toujours là-bas quelqu’un qui puisse t’en échanger contre du bœuf ou du mouton. La nourriture sera rare, avec tout ce qui se gâte et le peu qui subsiste de l’hiver. Apporte tout ce que tu as. Haricots secs, fruits secs, tout. »

Renald recula pour s'appuyer contre la porte de la clôture. Il se sentait faible et mou. Finalement, il trouva la force de poser une seule question. « Pourquoi ? »

Thulin hésita, puis s’écarta du chariot, posant une nouvelle fois la main sur l’épaule de Renald. « Je suis désolé d’être si brusque. Je … et bien, tu me connais, moi et les mots, Renald. Cet orage, je ne sais pas ce que c’est. Mais je sais ce que ça signifie. Je n’ai jamais tenu une épée, mais mon père a participé à la Guerre des Aiels. J’appartiens aux Terres Frontalières. Et cet orage veut dire que la fin est proche, Renald. On se doit d’être présent. » Il se tut, puis se tourna vers le nord, observant la colossale structure nuageuse comme un fermier regardant un serpent vénéneux découvert au milieu du champ. « Que la lumière nous protège, mon ami. On doit y être. »

Sur cette dernière parole, il retira sa main et remonta sur le chariot. Renald les regarda s'installer confortablement, et les bœufs se mirent à tirer le chariot vers le nord. Il regarda longtemps, engourdi.

Un coup de tonnerre se fit entendre au loin, comme un géant fouettant les collines.

La porte de la ferme s’ouvrit et se referma. Auaine était sorti le rejoindre, les cheveux gris attachés en chignon. Ils avaient pris cette coloration depuis des années ; très tôt en fait, et Renald avait toujours aimé. Argent, plutôt que gris. Comme les nuages.

« Était-ce Thulin ? » demanda Auaine, regardant le chariot s’éloigner en soulevant de la poussière. Une plume noire de poulet traversa la route en virevoltant.

« Oui. »

« Et il n’est pas resté, même pour bavarder un peu ? »

Renald secoua la tête.

« Oh, mais Gallanha a laissé des œufs ! » Elle prit le panier et commença à mettre les œufs dans son tablier pour les rapporter à l’intérieur. « Elle est adorable. Laisse le panier par terre ; je suis sûre qu’elle enverra quelqu’un le récupérer. »

Renald regarda au nord.

« Renald ? » demanda Auaine. « Qu'est-ce qui te prend, vieille souche ? »

« Elle a astiqué ses pots pour toi, » dit-il. « Ceux avec le fond en cuivre. Ils sont sur sa table de cuisine. Si tu les veux, ils sont à toi. »

Auaine se tut. Puis il entendit le son clair de quelque chose qui se brise, et il regarda par-dessus son épaule. Elle tenait moins fermement son tablier, et les œufs étaient en train de glisser pour finir au sol dans un craquement sec.

D'une voix très calme, Auaine demanda, « Elle n'a rien dit d'autre ? »

Il se gratta la tête, les cheveux s’y faisant rares à dire vrai. « Elle a dit que l'orage arrivait et qu'ils devaient aller au nord. Thulin a dit que nous devrions y aller aussi. »

Ils se tinrent là un moment. Auaine releva le bord de son tablier, préservant la majorité des œufs. Elle ne jeta même pas un œil à ceux tombés. Elle fixait le nord.

Renald se retourna. L'orage avait encore fait un bond en avant. Et il était, en quelque sorte, plus sombre.

« Je pense qu’on devrait les écouter, Renald, » Dit Auaine. « Je vais… je vais rentrer pour préparer tout ce qu’il nous faut. Tu peux rassembler les hommes. Ont-ils dit combien de temps on sera parti ? »

« Non, » dit-il. « Ils n’ont même pas dit pourquoi. Juste qu’il faut aller au nord pour l’orage. Et… que c’est la fin. »

Auaine inspira fortement. « Bon, assure-toi que les hommes soient prêts. Je m’occupe de la maison. »

Elle partit s’affairer à l’intérieur, et Renald s’obligea à se détourner de l’orage. Il fit le tour de la maison et entra dans la basse-cour, appelant les travailleurs. C’étaient une bande de bons hommes, tous vigoureux. Ses propres fils avaient cherché la fortune ailleurs, mais ils les considéraient pratiquement comme tels. Merk, Fadivan, Rinnin, Veshir et Adamad formèrent un demi-cercle. Toujours engourdi, Renald en envoya deux rassembler les animaux, deux autres pour récupérer ce qu’il restait de grains et de provisions, et le dernier alla chercher Geleni, parti au village en quête de nouvelles semences au cas où le problème de récolte venaient de leur propre réserve.

Les cinq hommes se dispersèrent. Renald resta un moment dans la cour, puis entra dans la grange à la recherche de sa forge légère et la tira au soleil. Ce n’était pas une simple enclume, mais une véritable forge, compacte et mobile. Elle était sur roues ; on ne pouvait pas s’en servir dans une grange. Avec toute cette poussière qui pouvait prendre feu. Il poussa sur les poignées et la conduisit jusqu’à l’alcôve—faite de bonnes briques—située à l’extrémité de sa propriété, et où il pouvait procéder à quelques réparations mineures quand il en avait besoin.

Une heure plus tard, il entretenait le feu. Il n’était pas aussi doué que Thulin, mais il avait appris de son père que faire un minimum de ferronnerie soi-même faisait une grande différence. Quelquefois, on ne pouvait pas se permettre de perdre le temps que coûte un aller et retour en ville juste pour une charnière cassée.

Les nuages étaient toujours là. Il essaya de ne pas les regarder en sortant de l’alcôve pour retourner à la grange. Ils étaient comme des yeux, lorgnant par-dessus son épaule.

Dans la grange, de la lumière filtrait au travers du mûr et tombait sur la poussière et le foin. Il avait construit la structure lui-même quelque vingt-cinq ans auparavant. Il projetait toujours de remplacer certaines planches tordues du toit, mais pas maintenant.

Debout devant ses outils accrochés au mur, il leva la main vers sa troisième meilleure faux, et s’immobilisa. Prenant une profonde respiration, il décrocha sa meilleure faux à la place. Il retourna à sa forge et, en quelques coups, dégagea la lame du long manche.

Comme il jetait le morceau de bois, Veshir—le plus âgé de ses travailleurs—s’approcha, tirant une paire de chèvres. Quand il vit la lame courbe sur la forge, son expression s’assombrit. Il attacha les chèvres à un poteau, s’approcha de Renald à grandes enjambées, mais ne dit mot.

Comment faire une faux de guerre ? Thulin avait dit que c’était efficace pour éjecter un homme de sa selle. Bien, la lame devrait être emmanchée droite sur un plus long manche en frêne. Son extrémité à rebord s’étendrait au-delà du talon de la lame, taillée en pointe de lance et renforcée d’une pièce d’étain. Puis il devrait chauffer la lame et la frapper environ au milieu pour n’en garder qu’une moitié, en lui donnant une forme de crochet qui servirait à tirer un homme de son cheval et peut-être le couper en deux dans la foulée. Il glissa la lame dans les braises, puis attacha son tablier.

Veshir resta debout une minute ou deux, observant. Finalement il s’approcha, attrapant Renald par le bras. « Renald, que sommes-nous en train de faire ? »

Renald secoua son bras libre. « Nous allons au nord. L’orage arrive et nous allons au nord. »

« Nous allons au nord pour un simple orage ? C’est de la folie ! »

Renald avait pratiquement dit la même chose à Thulin. Le tonnerre gronda au loin.

Thulin avait raison. Les récoltes… le ciel… la nourriture qui se gâte sans prévenir. Même avant de discuter avec Thulin, il avait su. Au plus profond de lui. L’orage ne ferait pas que passer. Il fallait s’y confronter.

« Veshir, » dit Renald, se remettant à son travail, « tu as été une aide dans cette ferme pour… quoi, quinze ans maintenant ? Tu es le premier que j’ai recruté. Comment t’ai-je traité, toi et les tiens ? »

« Vous m’avez bien traité, » répondit Veshir. « Mais que je brûle, Renald, vous n’avez jamais pris la décision de quitter la ferme avant ! Ces récoltes, elles vont sécher et tomber en poussière si on les abandonne. On n’est pas dans une ferme humide du sud. Comment peut-on simplement partir ? »

« Parce que, » dit Renald, « si on reste, que l’on ait planté ou non n’aura pas d’importance. »

Veshir fronça les sourcils.

« Fils, » continua Renald, « tu feras comme je dis, il n’y à rien à rajouter. Rassemble le reste du stock. »

Veshir s’éloigna, mais suivit les ordres. C’était un homme bon, même si impétueux.

Renald retira des braises la lame d’un blanc éclatant. Il la coucha sur la petite enclume et commença à frapper sur la zone bosselée qui reliait le fil au talon, pour l’aplanir. Les coups de marteau sonnaient plus fort que ça ne l’aurait dû, ils rappelaient le tonnerre, les bruits se mélangeant. Comme si chaque coup était un morceau d’orage.

Alors qu’il travaillait, le martèlement sembla former des mots. Comme quelqu’un murmurant sur sa nuque. La même phrase, encore et encore.

L’orage arrive. L’orage arrive…

Il continua de marteler, gardant le côté vers la faux, mais redressant la lame pour la terminer en crochet. Il ne savait toujours pas pourquoi. Mais c’était sans importance.

L’orage arrivait et il devait être prêt.

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