Extraits

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- C'est ce qui m'obsède depuis tout ce temps, Abby. Sur la plage, ce soir-là, il y a un an, tu m'as dit que tu m'aimais, et j'ai eu peur. En fait, j'étais terrifié. Je savais combien je tenais à toi comme amie. Mais aussi que si je me laissais aller à tomber amoureux de toi, ça reviendrait à te dévoiler mon cœur. Je me retrouverais sans défense. Alors j'ai préféré résister. Tout garder pour moi. Et je croyais avoir réussi. Je croyais que je ne ressentais pas les même élans que toi envers moi. Mais c'était juste parce que je ne me rendais pas compte de ce que provoquait l'amour. Je croyais qu'il s'agissais d'une émotion qui surviens lors d'une première rencontre. Tu sais, celle qui disparait aussi vite qu'elle est apparue. Je continuais à ne rechercher que ça. Je sortais avec des filles er, oui, j'y trouvais parfois un peu d'amour. Mais je n'étais jamais heureux. Je me sentais vide. Jusqu'au moment où tu es partie ; là, j'ai compris. Ce désir intense de rendre l'autre heureux, quoi qu'il puisse arriver. Je me suis rendu compte que c'étais toi, Abby, qui avait déjà emporter mon cœur. Et je ne demande que ça. Je t'aime.

- Pourquoi tu t’intéresses tant à mes peurs ? Tu devrais peut-être analyser ton propre cas, Abby, tes propres peurs. Fouille ta cervelle pour une fois. Cherche pourquoi tu passes ton temps à peindre la même chose. Cherche ce qui te retient.

Je déglutis, surprise. Rien ne me retenait.

- Je suis complètement transparente.

Arrivée à la maison, je feuilletai mes dessins, puis j’en combinai quelques-uns et peignis un arbre avec ses souvenirs – une branche cassée pour représenter l’os brisé, deux branches tordues en forme de cœur pour représenter le baiser, des mots gravés dans le tronc pour les livres, et j’ajoutai une chaîne en bas. Qui représentait Lance. Je pris pour ça l’une de mes plus grandes toiles et les branches emplirent tous les coins. À présent, je savais pourquoi Elliot sculptait souvent des arbres, c’était fabuleux.

Pourtant, il manquait quelque chose car ce n’était pas à un arbre que j’allais m’enchaîner.

- Il faut que j’achève cette liste.

- La liste magique.

Il la regarda de plus près, l’étudia quelques instants.

- Pourquoi tu as déjà coché « me faire briser le cœur » ?

J’en eus le souffle coupé. Voilà un an qu’on esquivait ce sujet. Fallait-il vraiment le remettre sur le tapis maintenant ? Je parvins à soutenir le regard de Cooper.

- Parce que c’est fait.

Il baissa un instant les yeux, les releva. Il savait.

- C’est une longue histoire. J’essaie de trouver de nouvelles perspectives pour m’aider dans ma peinture.

- Vraiment ?

- Je sais, ça peut sembler bizarre.

- En fait non, je suis juste étonnée parce que je fais souvent ça moi-même.

- Ah bon ? dis-je en me redressant sur mon lit.

- Oui, avec quelques amis du théâtre. On s’impose des situations nouvelles pour élargir nos perspectives. Ça aide à définir ce qui se passe, nous sort de nos ornières et de nos modes de pensées habituelles.

- Exactement.

Tout d’un coup, je me sentais comprise et ça me faisait du bien. Décidément, j’avais toujours droit à des surprises avec Lacey. Le courant passait entre nous.

- Ce n’est sûrement pas vrai, mais autant que tu sois consciente de tes points faibles.

- Oui, j’en ai beaucoup.

- Et lui ?

On venait d’entrer dans l’allée des soupes et des légumes en boîte, lorsque grand-père désigna un garçon en train d’inspecter les rayons. Sur le moment, je crus qu’il me demandait si ce type faisait partie de mes points faibles et je ne compris pas.

- Tu devrais peut-être découvrir son histoire.

- Je croyais que ma liste ne devait pas m’aider à rencontrer quelqu’un mais à grandir.

- Je croyais qu’une de tes étapes consistait à tomber amoureuse.

Je faillis m’étrangler.

- Chut ! soufflai-je au bord de la quinte de toux.

Il avait dit ça trop fort. Le type se retourna, peut-être juste parce que j’avais failli m’étouffer, mais impossible de le savoir. Comme on se rapprochait, je m’aperçus que je le connaissais, et ça me soulagea.

Je relisais la liste. J’espérais que les plus belles qualités des gens qui composent ma vie s’y assembleraient, de sorte à former une version harmonieuse du monstre de Frankenstein : celle qui ne faisait pas peur. Onze éléments composaient cette liste. Enfin, techniquement dix, si je ne comptais pas celui que j’avais déjà éliminé. Comment devenir un cœur profond en dix étapes… ou moins ? J’espérais que ce serait moins.

J’avais quatre semaines… Vingt-huit jours pour prouver à M. Wallace que je méritais ma place dans son expo. Si je me lançais un nouveau défi tous les 2,8 jours, en plus d’effectuer cinq peintures dans la foulée, ça devrait marcher. Pour la première fois depuis deux jours, je sentis s’apaiser les tensions dans mes épaules. J’avais un plan. Qui allait fonctionner.

- J’ai quelque chose pour toi, dit-il au milieu des planches.

- Ah bon ? Quoi ?

Mon cœur se remit à battre, malgré moi.

Cooper sortit un mouchoir blanc de sa poche et me le tendit. Il y avait un numéro de téléphone écrit dessus. Déçue, je déglutis.

- J’ai déjà ton numéro.

- Ha, ha ! C’est celui d’Elliot. Ne me remercie pas.

- Tu te prends pour un entremetteur !

- Je suis super doué.

- Elliot m’a donné son numéro il y a six mois, mais merci quand même.

Je savais bien qu’à l’époque il avait envie de sortir avec moi, mais je l’avais plus ou moins envoyé promener en refusant d’aller plus loin que quelques textos.

- Parce que vous n’êtes pas prête. Vos œuvres ne sont pas encore à la hauteur.

J’en perdis ma respiration. Comme si je venais de prendre un coup de poing dans le ventre.

- J’ai de bonnes raisons de croire qu’elles le deviendront. Mais vous n’y êtes pas encore.

- Comment ça ? Qu’est-ce qu’il manque à mes peintures ?

- L’expérience… le cœur.

- Le cœur ?

- Techniquement, elles sont bonnes mais on a l’impression que vous avez copié un tableau. Je voudrais ressentir quelque chose lorsque je regarde vos œuvres. Il leur manque une dimension et c’est compréhensible. Vous êtes jeune, vous manquez d’expérience de la vie pour pouvoir apporter ce genre de profondeur. Ça viendra. Vous vous trouvez exactement là où vous devriez être en tant que future artiste. Continuez comme ça. Vous allez y arriver.

- Explique-moi pourquoi tu ne m’en as pas parlé.

- Aucune idée. Plus j’exprime ça à haute voix, plus ça devient réel. Je ne voulais même pas le raconter à Cooper. Il m’a forcé la main.

- Allons donc ! Ce garçon n’a pas besoin de te forcer en quoi que ce soit.

- D’accord. C’est sorti tout seul. Je n’ai aucune volonté devant lui. Et ne va pas crier ça sur tous les toits.

Elle sourit. Maman était au courant de mes sentiments pour Cooper ; c’était auprès d’elle que j’avais pleuré l’été dernier, après cette promenade de nuit fatidique sur la plage où j’avais avoué mes sentiments… et qu’il avait tant ri.