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Fontaine, qui des Sycomores,
Le beau nom t'en vas empruntant,
Tu m'as vu jadis si content,
Et pourquoi ne le suis-je encores ?
Quel erreur puis-je avoir commis
Qui rend les Dieux des ennemis ?
Sont-ils sujets, comme nous sommes,
D'être quelquefois envieux ?
Ou le change propre des hommes
Peut-il atteindre jusqu'aux Dieux ?
Jadis sur tes bords, ma Bergère
Disait, sa main dedans ma main :
‒ Dispose le sort inhumain
De notre vie passagère,
Jamais, Céladon, en effet
Le serment ne sera défait,
Que dans cette main, je te jure.
Et vif et mort je t'aimerai,
Ou, mourant, dans ma sépulture,
Notre amitié j'enfermerai.
Feuillage épais de ce bel Arbre,
Qui couvres d'ombre tout l'entour,
Te ressouviens-tu point du jour
Qu'à ses Lis mêlant le Cinabre,
De honte elle allait, rougissant,
Qu'un Berger près d'elle passant,
Parlant à moi l'appela belle,
Et l'Heur, et l'Honneur de ces lieux ?
Car je ne veux, me disait-elle,
Ressembler belle qu'à tes yeux.
Afficher en entierAuprès de l'ancienne ville de Lyon, du côté du Soleil couchant, il y a un pays nommé Forests, qui en sa petitesse contient ce qui est de plus rare au reste des Gaules : Car étant divisé en plaines et en montagnes, les unes & les autres sont si fertiles, & situées en un air si tempéré, que la terre y est capable de tout ce que peut désirer le laboureur. Au cœur du pays est le plus beau de la plaine, ceinte comme d'une forte muraille des monts assez voisins, & arrosée du fleuve de Loyre, qui prenant sa source assez prés de là, passe presque par le milieu, non point encore trop enflé ni orgueilleux, mais doux & paisible. Plusieurs autres ruisseaux en divers lieux la vont baignant de leurs claires ondes : mais l'un des plus beaux est Lignon, qui vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source, va serpentant par ceste plaine depuis les hautes montagnes de Cervières & de Chalmasel, jusques à Feurs, où Loyre le recevant, & lui faisant perdre son nom propre, l'emporte pour tribut à l'Océan.
Or sur les bords de ces délectables rivières on a vu de tout temps quantité de Bergers, qui pour la bonté de l'air, la fertilité du rivage, & leur douceur naturelle, vivent avec autant de bonne fortune, qu'ils reconnaissent peu la fortune. Et croit qu'ils n'eussent d'en envier le contentement du premier siècle ; si Amour leur eût aussi bien permis de conserver leur félicité, que le Ciel leur en avait été véritablement prodigue. Mais endormis en leur repos ils se soumirent à ce flatteur, qui tôt après changea son autorité en tyrannie. Céladon fut un de ceux qui plus vivement la ressentirent, tellement épris des perfections d'Astrée, que la haine de leurs parents ne peut l'empêcher de se perdre entièrement en elle. Il est vrai que si en la perte de soi-même on peut faire quelque acquisition, dont on se doive contenter, il se peut dire heureux de s'être perdu si à propos pour gagner la bonne volonté de la belle Astrée, qui assurée de son amitié, ne voulut que l'ingratitude en fut le payement, mais plutôt une réciproque affection, avec laquelle elle recevait son amitié & ses services. De sorte que si l'on vit depuis quelque changement entre eux, il faut croire, que le Ciel le permit, seulement pour faire paraître que "rien n'est constant que l'inconstance, durable même en son changement". Car ayant vécu bien-heureux l'espace de trois ans, lors que moins ils craignaient le fâcheux accident qui leur arriva, ils se virent poussez par les trahisons de Semyre, aux plus profondes infortunes de l'Amour : d'autant que Céladon désireux de cacher son affection, pour décevoir l'importunité de leurs parents, qui d'une haine entre eux vieille, interrompaient par toutes sortes d'artifices leurs desseins amoureux, s'efforçait de montrer que la recherche qu'il faisait de cette Bergère était plutôt commune que particulière. Ruse vraiment assez bonne, si Semire ne l'eût point malicieusement déguisée, fondant sur cette dissimulation la trahison dont il déçut Astrée, & qu'elle paya depuis avec tant d'ennuis, de regrets, & de larmes. "L'Astrée", livre 1.
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